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J'ai vu un homme s'immoler par le feu dans les rues de Tel Aviv

Le 14 juillet 2011, une fille nommée Daphni Leef a planté sa tente en plein milieu de Rothschild Boulevard dans le centre de Tel Aviv.

Le 14 juillet 2011, une fille nommée Daphni Leef a planté sa tente en plein milieu de Rothschild Boulevard dans le centre de Tel Aviv. Elle manifestait contre le coût de la vie en Israël – à cause duquel elle ne pouvait plus payer son loyer – et contre le peu d'opportunités offertes aux jeunes, problème majeur qui avait conduit une de ses amies au suicide.

En l'espace de quelques semaines, plus d'un demi-million de personnes l'ont rejoint lors de la plus grande manifestation de l'histoire d'Israël. Il s'agissait du début d'un nouveau mouvement social, le « J14 » ; ses membres s'étaient retrouvés là pour officialiser la fin du règne des magnats de la finance et le retour de l'État providence dans le pays.

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Dimanche, le J14 organisait une manifestation d'envergure pour fêter son premier anniversaire. Il y avait moins de monde que l'an passé, mais quelques 10 000 personnes se sont retrouvées sur Rothschild Boulevard pour ensuite se diriger vers Kaplan Street et le quartier d'affaires, scandant des trucs type : « Plus de justice sociale pour le peuple ! » et « Les gens sont unis dans l'opposition ! ».

Daphni Leef (à gauche)

Quand la procession est arrivée à destination, elle s'est muée en une fête géante, avec de la musique et des chants résonnants de tous les côtés.

Soudain, des flammes ont jailli du sol. Mais ce n'était pas une poubelle à laquelle des enfants auraient mis le feu, comme le pensaient la majorité des manifestants qui accouraient pour voir ce qu'il se passait. Ils se sont retrouvés face à un homme en flammes, un mec d'une quarantaine d'année répondant au nom de Moshe Silman.

Les manifestants qui se trouvaient à côté de Silman lorsqu'il s'est immolé nous ont dit qu'il « distribuait des copies d'une lettre », jusqu'au moment où il s'est vidé une bouteille d'essence sur la tête avant de s'enflammer. Après quelques secondes de panique, les manifestants ont réussi à éteindre les flammes en lui versant de l'eau dessus avant que les secours arrivent.

Il était sévèrement brûlé mais pouvait encore bouger et, avant que l'ambulance ne l'amène à l'hôpital, il s'est assis à même le bitume pour manger une glace qu'un bon samaritain lui avait donné « pour se rafraîchir ».

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La lettre qu'il a distribuée juste avant de s'immoler était en réalité une lettre d'adieu. Elle contenait son nom et quelques détails le concernant ; la voici (traduite de l'hébreu) :

« L'État d'Israël m'a volé, me laissant démuni, et le tribunal de Tel Aviv m'a empêché d'obtenir réparation.

L'officier d'État civil a enfreint la loi, est allé à l'encontre des procédures légales habituelles, et ceci de façon condescendante.

Ne voulant même pas m'aider avec mon loyer, les deux comités du ministère du logement m'ont rejeté, alors que j'ai été victime d'une attaque cardiaque, et que j'ai une incapacité de travail permanente.

Demandez au manager d'Amidar [une agence immobilière publique], à Haïfa, sur Hanevi'im Street.

Je tiens l'État d'Israël pour responsable.

Je tiens B. Netanyahu pour responsable, je tiens [le ministre des finances] Yuval Steinitz pour responsable.

Ce sont tous deux des crapules, qui humilient quotidiennement les citoyens privés de leurs droits.

Ils prennent aux pauvres pour donner aux riches et aux fonctionnaires, et pour ceux qui servent l'État d'Israël.

Je tiens aussi pour responsable la Caisse de sécurité sociale et, en particulier, le directeur des réclamations du bureau se trouvant sur Lincoln Street à Tel Aviv, qui a illégalement saisi mes outils de travail et mon camion.

Et la Caisse des droits des travailleurs, en particulier sa branche d'Haïfa, qui a bafoué mes droits pendant 1 an avant que je ne sois déclaré handicapé.

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Je paie 2300 sheqalim par mois en assurance santé et encore plus pour mes médicaments.

Je n'ai plus d'argent, ni pour mes médicaments, ni pour mon loyer. Je ne peux plus gagner d'argent après tous les millions que j'ai dû payer en taxes. J'ai fait l'armée, et jusqu'à 46 ans j'étais réserviste.

Je refuse d'être SDF, c'est pour cela que je manifeste contre toutes les injustices que l'État m'a fait subir, et à tous les gens dans ma situation… »

La manifestation du J14 était censée être un moment important pour le mouvement de justice sociale israélien mais, au lieu de se terminer en une grande fête, elle s'est dispersée dans la tristesse. Daphni Leef a quitté les lieux en larmes un peu plus tard.

Il est encore trop tôt pour pouvoir dire de quelle façon l'acte désespéré de Moshe Silman affectera le mouvement. Et il est difficile de ne pas comparer cette immolation à celle du marchand de fruits tunisien Mohammed Bouazizi qui avait lancé le Printemps Arabe. Cet événement peut renforcer le mouvement et le durcir, ou il peut au contraire effrayer les manifestants.

Seul 50 personnes étaient présentes lors de la veillée à l'hôpital, toutes écœurées par la vitesse à laquelle la foule s'était dispersée. Un manifestant m'a dit :

« Il a fallu moins d'une heure à la police pour disperser les manifestants et rendre la rue de nouveau accessible aux voitures, et ce, malgré les demandes de quelques activistes qui voulaient rester sur place et se remettre de l'incident. La vie continue comme d'habitude pour les gens au pouvoir, et ce n'est pas surprenant. Ce qui me surprend en revanche, c'est notre attitude ; qu'est-ce que cette manifestation qui se déplace pour laisser passer les voitures ? »

« La distance entre Rothschild (une rue d'un quartier aisé) et Hatikva (un quartier populaire) est minime mais aujourd'hui, plus que jamais, j'ai senti la distance qui nous séparait réellement – malgré tous nos efforts pour la réduire, nous avons échoué. »

« Moshe Silman, l'homme qui s'est immolé, n'est pas un fou ou un marginal. Il est tout ce qu'il y a de plus normal, il est comme vous et moi ; il est tombé, et personne n'était la pour lui tendre la main. Ce genre de tragédies arrivent chaque jour, chaque heure, à beaucoup de personnes aux parcours différents – un réfugié soudanais, une femme palestinienne à Jaffa, un bédouin dans un village reclus. Ou à Moshe, d'Haïfa. »