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LE NUMÉRO PRÉFÉRÉ DES OUGANDAIS

La Boîte qui permettait de parler aux morts

Un Français vient de publier un livre sur le « nécrophone », la machine à parler aux morts jamais aboutie de Thomas Edison.

Thomas Edison devant son premier modèle de phonographe, 1878. Photo publiée avec l'aimable autorisation des éditions Jérôme Millon.

Edison est l'un des plus grands inventeurs de tous les temps. Enfant de la révolution industrielle de la fin du XIXe siècle, Edison a poussé l'idée d'invention tellement loin qu'il a déposé plus de 1000 brevets – yep,1 000 – et a créé sa propre compagnie industrielle, General Electric. C'est grâce à ce capitaliste impénitent que vous écoutez de la musique aujourd'hui (il a inventé le phonographe en 1877) et que vous possédez une collection de DVDs (il est l'un des inventeurs de l'enregistrement de l'image et donc du cinéma, en compagnie des frères Lumière).

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En revanche, l'histoire scientifique a tendance à oublier l'entreprise à laquelle il s'est dévoué corps et âme à la fin de sa vie. En effet, à partir des années 1910, déjà âgé et couvert de gloire (et d'argent), Edison s'est employé à créer une machine qui permettrait d'enregistrer les sons inaudibles envoyés par les morts depuis l'au-delà. Il ne l'a malheureusement jamais achevée – quoique certains collaborateurs aient eu la chance de tester plusieurs versions bêta.

Philippe Baudouin, auteur et réalisateur chez France Culture, vient de publier les écrits d'Edison sur au sujet de cette boîte à enregistrer les conversations des gens morts. Je lui ai posé quelques questions.

VICE : Comment avez-vous appris le développement secret de la machine à parler avec les morts de Thomas Edison ?
Philippe Baudouin : C'est une machine dont l'existence et la conception furent révélées par Edison en 1920 – mais il ne l'a jamais baptisée. Le terme même de « nécrophonie » est un terme que j'ai emprunté à un spécialiste de l'histoire du son. Je me suis donc aperçu qu'au tournant du XXe siècle, il y avait eu un intérêt assez important de la part d'inventeurs dont Thomas Edison fait partie – mais je pense aussi à Nikola Tesla, l'ennemi juré de Thomas Edison, le Français Branly ou l'Anglais Williams Crookes. Ces gens-là, à côté de leurs recherches, se sont engagés dans le domaine du spiritisme, avec une certaine fascination pour les voix d'outre-tombe et la question de l'invisible. Et surtout, ils partageaient un attrait pour l'électricité, laquelle permet de donner corps à cette invisibilité.

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À quel moment Edison s'est mis à travailler sur la boîte noire ? Il avait plus de 70 ans, il me semble.
En fait, à partir des années 1910, Edison est progressivement passé d'un discours purement critique à l'égard des religions et de la spiritualité à une démarche plus ouverte aux phénomènes occultes. Mais c'est au tournant des années 1920 qu'il a fait dans la presse une déclaration assez fracassante : Il a reconnu qu'il est en train de réfléchir, depuis plusieurs années, à la conception d'une machine pour converser avec les morts. On peut donc dire qu'il y travaillait depuis au moins 1915, voire 1910.

Comment la machine pouvait-elle, selon lui, fonctionner ?
Il partait de l'idée d'écrire et d'amplifier des voix prétendument venues de l'au-delà. Edison se ba- sait donc sur un principe assez simple, qu'il avait lui-même éprouvé et breveté, celui du phonog- raphe. À partir de cette logique d'amplification, Edison a écrit : « je vais concevoir mon appareil pour enregistrer la voix des morts sur le principe de la valve. Ce sera une technique d'amplification permettant de faire passer tout ce qui est inau- dible à l'audible. » Comme le microscope avait pu le faire pour la vision.

Edison a-t-il davantage travaillé sur le spiritisme et l'explication de la vie après la mort que les autres personnalités de l'ingénierie de son époque ?
Ce qui est certain, c'est qu'il a essayé d'y réfléchir aussi bien intellectuellement que sous son aspect pratique. Il y a été sensibilisé très jeune ; sa famille était composée de spirites notoires. Chez lui, on se réunissait régulièrement autour de la table familiale pour communiquer avec l'au-delà. Cependant, il était aussi extrêmement réticent à l'égard des spirites – c'était un scientifique.
En même temps, à côté de ça, il s'intéressait à la télépathie. Dans ses notes, il dit qu'il organisait des expériences avec ses collaborateurs ; il apposait leurs têtes sur des couronnes de fer et des fils électriques afin de lier ensemble les différents esprits des sujets. C'était un système assez abracadabrantesque, qui n'a jamais porté ses fruits.

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Edison a-t-il révélé, de son vivant, à quoi ressemblait le nécrophone ?
Non. Ce n'est que 30 ans après sa mort, à la fin des années 1950, qu'une revue en a publié un croquis de la boîte, qu'on a reproduit dans le livre. Ce croquis se basait sur les témoignages de quelques personnes, qui sous couvert d'anonymat, auraient dit : « oui j'ai assisté à des expérimentations au laboratoire d'Edison et en sa présence. J'ai vu cette machine et voilà à quoi elle ressemble. »
Selon eux donc, la machine avait l'air d'un énorme pavillon de phonographe, une trompette, avec une sorte de cône en aluminium, reliée dans un bac de permanganate de potassium à quelques câbles électriques et à une antenne très rudimentaire. C'était très naïf. Quand on voit le croquis, on peut penser à un dessin d'enfant. Toujours selon ces témoins, un effet de catalyse se produisait et permettait à des voix de surgir de cet énorme pavillon – qui ressemble à un pavillon de phonographe.

Qui étaient ces mystérieux comparses d'Edison ?
On peut penser qu'il s'agissait soit d'ouvriers, soit de collaborateurs professionnels. Dans tous les cas, des gens assez proches. Il y avait par eux un certain William Walter Dinwiddie, son bras droit. On sait aussi par la veuve de Thomas Edison que William Walter Dinwiddie et Thomas Edison avaient conclu un pacte. Ils travaillaient ensemble sur cette machine et ils se seraient mutuellement promis, une fois que l'un des deux en viendrait à mourir, de faire signe à l'autre de l'existence de l'au-delà par le biais d'une communication électrique. Via la machine, bien sûr.

Quel est aujourd'hui l'héritage scientifique des expérimentations de la dernière partie de la vie d'Edison ? Existe-t-il, en dehors du cercle spirite ?
C'est quelque chose qu'on a complètement oublié. En revanche la question de l'immortalité est devenue scientifiquement envisageable, notamment avec tout le courant transhumaniste, qui d'une certaine manière, prolonge la croyance et les fantasmes d'Edison ; il y a cette possibilité que certains avancent, de pouvoir peut-être un jour, sauvegarder notre âme sur un immense disque dur. En d'autres termes, il s'agit de matérialiser notre âme par-delà les siècles et les époques, en conservant un résidu de mémoire sur un support électromagnétique, informatique ou biologique.

Edison trouvait fascinant de pouvoir sentir la présence de quelqu'un qui physiquement n'était plus là. Quelque part, on cherche toujours ça à d'autres échelles aujourd'hui.

Le livre Le Royaume de l'au-delà de Thomas Edison, précédé de Machines nécrophoniques par Philippe Baudouin, est disponible aux éditions Jérôme Millon.