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Bachar al-Assad, la dictature de la fête

Une après-midi à chanter l'horreur avec les partisans de Bachar al-Assad

La semaine dernière, on a tous été surpris d'apprendre que l'un des pires tyrans en activité – Bachar al-Assad, dictateur au pouvoir en Syrie et responsable de la mort d'environ 8 000 hommes, femmes et enfants – passait son temps à bouffer du houmous devant le dernier Harry Potter, achetait des bijoux hors de prix à sa femme et écoutait LMFAO en même temps qu'il envoyait l'ONU se faire foutre. De plus, on a découvert le penchant du « lion de Damas » pour New Order et on s'est demandé quel autre dictateur pouvait se permettre de fredonner Crystal au moment où son portable affichait 3 000 appels en absence de Kofi Annan. A priori, aucun.

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Alors que les jours au pouvoir d'al-Assad fils sont comptés et qu'il songe déjà à une retraite quelque part dans le désert arabique, les manifs d'opposition au régime syrien se multiplient partout en Occident. En revanche, il n'y a qu'à Paris qu'on ait trouvé une manifestation de « révolutionnaires pro-al-Assad », soit quelques dignitaires du régime exilés en France qui avaient envie de gueuler contre le monde entier sans qu'on ait compris ce qu'ils souhaitaient vraiment – sinon continuer d'envoyer des obus sur les tronches de milliers d'innocents. C'était samedi dernier dans le VIIe arrondissement parisien, à deux pas de l'École militaire.

Voilà ce qu'on a vu en arrivant sur les lieux de la contestation. Les manifestants (une cinquantaine de personnes) s'étaient tous regroupés, non pas devant le Centre culturel syrien comme annoncé sur Internet mais en face d'un magasin de bagels. Le propriétaire de l'établissement, visiblement peu concerné par les questions géopolitiques, avait l'air plutôt content d'accueillir cette nouvelle clientèle subversive.

On n'a pas exactement compris pourquoi le mot « état » était inscrit en plus petit que le reste du slogan et dénué de majuscule, ni à qui les participants faisaient référence lorsqu'ils utilisaient le terme « terroristes ». Quand on a demandé à l'une des porte-parole (elle portait un tee-shirt « I <3 Syrie » taille femme mais a refusé de se faire prendre en photo) quels étaient ces mystérieux personnages, elle nous a laissé entendre qu'il s'agissait des « barbus », les rebelles prétendument liés aux groupes islamistes radicaux – qui étaient en fait, on l'a compris plus tard, l'objet de ce rassemblement. Les gens présents représentaient tous la frange laïque, cultivée et bourgeoise de la population du pays, farouchement opposée aux musulmans pauvres et sans diplôme, soit les 95 % restants.

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Quand on a cherché sur Google Images qui était cet homme en train de répondre aux questions d'un journaliste, le moteur de recherche intelligent l'a associé à Axl Rose. On nous l'a par la suite présenté comme un simple « citoyen syrien », même si la totalité des journalistes présents – souvent des gens issus de médias arabes inconnus et d'autres, français, affiliés à la mouvance extrême droite Internet tendance Soral – a tenu à interagir avec lui. Cela dit, personne n'a eu envie de nous traduire ce qu'il disait. En revanche, on a fait la connaissance de « Catherine » – une franco-syrienne d'une quarantaine d'années – qui a employé toute sa bonne volonté à nous expliquer la situation à Damas. Très vite, elle a su activer les rouages complexes de la mécanique du mindfuck en utilisant pas mal de mots-valises et de questions rhétoriques de type « Et à votre avis, qui finance la campagne de Sarkozy ? », tout ça dans le but de ne pas répondre à des questions simples et concises comme « Qu'est-ce que vous foutez là ? »

Pendant que j'essayais de cadrer ce drapeau syrien surmonté d'une photo de Bachar al-Assad, Catherine continuait à me mettre en garde contre les mensonges de nos « élites mondialisées ». Quand je lui ai demandé à qui elle faisait allusion, elle m'a une fois de plus répondu par une question, qui signifiait, en gros, que l'Arabie Saoudite, le Qatar, les États-Unis, l'UE et Israël étaient impliqués dans le récent naufrage politique de la « république » syrienne. Irritée, elle nous a présenté à un libre penseur à catogan (lui aussi, franco-syrien d'âge moyen) qui semblait quelque peu réticent à l'idée de trop s'épancher sur le sujet. Manifestement, il en voulait aussi aux « berbères du Qatar », selon lui des « mecs en retard de 1 500 ans avec leurs turbans sur la tête ». S'est ensuivi un long et douloureux monologue au terme duquel il nous a démontré que la grande bourgeoisie qatarie « valait autant que ces cons d'Américains ». En revanche, il ne nous a pas plus éclairé sur l'implication possible de Lionel Messi dans le démantèlement du régime.

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Quelques minutes plus tard, après avoir bu un soda gazeux et accepté à mon tour un tee-shirt « I <3 Syrie », on est tombés sur ça. Je ne sais pas si vous avez déjà surpris 50 personnes en train de se laisser aller à un salut nazi devant vous, mais ça vous met dans un état étrange, quelque part entre la surprise, le début d'une crise d'angoisse et la peur la plus intense que vous ayez jamais ressentie. Cette scène a eu lieu après qu'un des organisateurs du rassemblement a lancé l'hymne syrien sur des enceintes d'ordinateur reliées à un ampli branché sur l'allume-cigare d'une voiture à proximité. Le chant était repris par l'ensemble de la foule ravie, excepté ce type à chapeau camouflage qui a passé l'après-midi à allumer des clopes en pestant contre « vous autres ». Notez aussi le regard plein d'insolence qu'adresse le « roi de Syrie » au logo de la BNP.

Scène de liesse après l'épisode de l'hymne. Cris, applaudissements et insultes lancés « à tous les rebelles du pays » tentant de faire vaciller le régime sanguinaire d'al-Assad. Ça fait déjà bien longtemps que Catherine a disparu, pour nous laisser seul à seul avec notre destin et une dizaine de sympathisants tous drapeaux et banderoles dehors. Pas un instant on ne nous a suggéré de nous mêler aux festivités. On a en revanche entendu des tas de rires moqueurs que l'on a interprétés comme autant d'insultes lancées à nos faces républicaines.

Aux alentours de 17 heures, les forces de police françaises ont coupé net les derniers chants partisans et ont dispersé tous les joyeux drilles sans que quiconque n'essaie de prolonger la fête. Épuisés et terrorisés par la normalité de ces complices satisfaits du pire dictateur de la saison 2011-2012, on a aussi décidé de plier bagage. Il ne nous restait plus qu'à nous livrer à une dernière blague, afin de contenter notre rédacteur en chef et célébrer dignement la sortie du numéro Mode.