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reportage

La peste noire est de retour à Madagascar

On s’est rendu dans le village de Beranimbo, nouvel épicentre de cette maladie moyenâgeuse que tout le monde croyait disparue.

Des scientifiques pratiquent une autopsie sur un rat soupçonné de transmettre la peste. Photo : Lucian Read

Alors que l'hélicoptère qui me transportait était sur le point de se poser, j’ai contemplé Beranimbo, un village d'à peu près 80 huttes rassemblées au beau milieu des montagnes du nord de Madagascar. Mon pilote, un expatrié allemand prénommé Gerd, avait déjà tenté de se poser quelques minutes auparavant. Mais sa tentative s’était avérée vaine, car les pales de rotor avaient soulevé tellement de poussière que notre atterrissage était devenu impossible.

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Quelques heures auparavant, lors de notre départ vers Beranimbo – situé à trois heures de la capitale Antananarivo – Gerd semblait impatient. Cette mission était inédite pour lui, plutôt habitué à véhiculer des équipes de tournage de documentaires centrés autour de la vie passionnante des lémuriens de l'île. « Vous voulez que je fasse un passage ? » m'a-t-il demandé, sans que je comprenne vraiment ce qu'il voulait dire. Sans attendre ma réponse, il s'est mis à survoler les montagnes à très basse altitude. J’essayais de réprimer mes nausées en admirant la variété de la végétation, tout en remarquant de larges parcelles déforestées, l'une des plaies de cette région.

Pourquoi étions-nous là, à survoler des territoires quasiment inhabités ? À l'automne 2013, Beranimbo avait été le centre d'une épidémie de peste noire ayant entraîné la mort de 90 personnes à travers le pays. On associe généralement cette maladie avec le Moyen-Âge, une époque durant laquelle la peste noire, propagée par les rats et les puces, avait décimé la population mondiale en provoquant le décès de 75 à 200 millions de personnes. Malgré cela, près de 2 000 cas sont recensés chaque année par les autorités sanitaires mondiales, principalement dans les pays du tiers-monde.

Depuis les années 1930, le recours massif aux antibiotiques a permis de faire disparaître cette menace dans les pays développés. Mais, depuis des années, les épidémiologistes soulignent la vulnérabilité de Madagascar face à une bactérie susceptible de se propager très rapidement. J'ai voulu savoir comment une maladie que les gens qualifient de « médiévale » pouvait encore constituer une menace de nos jours. C'est pour cette raison que j'ai pris la direction de Beranimbo.

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Alors que nous approchions de notre destination, Gerd paraissait de plus en plus nerveux. « C'est peut-être trop dangereux », a-t-il bredouillé alors qu'il tentait d’atterrir. Mais notre pilote ne se préoccupait pas tant de sa propre santé que de celle des 200 personnes rassemblées autour de l'appareil alors que le rotor continuait de tournoyer dangereusement. Les hélicoptères sont rares à Beranimbo et attirent inévitablement l'attention. La plupart appartiennent à la Croix-Rouge et transportent des humanitaires.

J'ai été rapidement introduit auprès du doyen du village, un vieil homme mince portant une veste claire et un chapeau de safari. Pour célébrer notre arrivée, il avait décidé d'abattre un zébu afin de préparer un repas de fête. « Le sacrifice du zébu scelle notre amitié, m'a-t-il dit. Cela marque notre reconnaissance. » L'animal a été décapité sous mes yeux. Par la suite, on m'a présenté Rasoa Marozafy, un homme âgé de 59 ans, père de sept enfants et vivant à Beranimbo depuis sa naissance. Rasoa avait contracté la peste noire quelques mois auparavant mais avait survécu.

À l'image des autres habitants du village, Rasoa était maigre, sans aucun doute à cause d'une malnutrition chronique. Il m'a observé avec attention avant de me serrer la main selon la coutume malgache, c'est à dire en saisissant le poignet. Puis il s'est mis à me raconter le récit de sa rencontre infortunée avec cette terrible maladie.

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Le village de Beranimbo, le point de départ de l'épidémie de peste noire qui a touché le nord du pays en septembre 2013.

Alors que la saison chaude et humide commençait, le village de Beranimbo a été touché par une épidémie mystérieuse au cours du mois de septembre 2013. La première victime à déplorer était un cousin de Rasoa, un fermier décédé quelques heures après être tombé malade. Les habitants avaient respecté la tradition qui consistait à ne pas enterrer le corps le temps que certains arrangements soient effectués, et ils l'avaient disposé au centre du village.

Quelques jours plus tard, Rasoa était pris d'une terrible fièvre et de maux de ventre douloureux. Le lendemain, il toussait et crachait un sang noirâtre. De petites lésions sont apparues sur ses aisselles – et le surlendemain, sa femme Veloraza développait les mêmes symptômes.

Le village céda à la panique en apprenant que le guérisseur était lui-même malade. Des habitants de Beranimbo prirent la direction de villages voisins sans savoir qu'ils répandaient la maladie à travers toute la région. Au début du mois d'octobre, des centaines de personnes avaient été contaminées. Par peur de transmettre la maladie à d'autres gens, Rasoa et Veloraza choisirent de s'isoler dans la jungle afin d'y mourir ensemble.

La maladie s’est donc répandue pendant plusieurs semaines avant que des villageois très affaiblis n'atteignent la ville de Mandritsara. Des tests préliminaires menés par des médecins locaux semblaient indiquer que ces décès étaient liés à des troubles caractéristiques de ces communautés isolées : la malnutrition, l'absence d'hygiène, etc. Sauf que tout a changé lorsqu'un malade fut déclaré positif à Yersinia pestis, la bactérie à l'origine de la peste noire.

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Des coordinateurs régionaux de la Croix-Rouge ont été alertés le 5 octobre 2013, ce qui a conduit à l'envoi de travailleurs humanitaires sur place. Rasoa et Veloraza, toujours isolés au milieu de la forêt, n'en savaient rien et des villageois ont été envoyés à leur recherche. Après une journée d'efforts, le couple a été localisé et transporté au village afin de se voir administrer de la tétracycline et de la streptomycine, deux antibiotiques très puissants. Ils étaient sur le point de mourir, mais en seulement quelques jours, tous leurs symptômes avaient disparu.

« Nous ne nous séparerons jamais », m'a dit Valoraza, assise aux côtés de son mari, les yeux embués de larmes. Avant d'être traitée, elle n'avait jamais entendu parler de cette maladie. Je lui ai demandé quelles avaient été les conséquences de la maladie sur son village. « Les conséquences ? » répéta-t-elle avec colère. « Des gens sont morts. Voilà quelles sont les conséquences. On pensait qu'on allait tous mourir. »

Les villageois préparent un zébu pour le repas

Je suis né l'année du rat. Quand j'étais enfant, c'était une grande fierté pour moi que d'appartenir au premier signe du zodiaque chinois. Je ne me considérais pas comme de la vermine insidieuse, mais plutôt comme un être instinctif et travailleur. Malgré cela, les gens voient généralement le rat comme un animal sale, tout en bas du royaume animal, aux côtés des êtres néfastes et inutiles. Si je suis persuadé que le rat ne mérite pas d'être comparé au cafard ou à la tique, j'admets que mêmes les pigeons ou les corbeaux sont regardés avec moins de mépris.

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Les rats ont toujours été craints pour leur propension à transmettre toutes sortes de maladies, comme la cryptosporidiose, des fièvres hémorragiques – et bien entendu la peste, la plus terrible des grandes pandémies de l’Histoire. On a évoqué cette maladie sous le nom de Mort Noire, Peste Noire ou encore Grande Peste, mais les gens connaissent généralement l'expression de peste bubonique, que l'on associe à des types qui se baladent en se flagellant, au Triomphe de la Mort de Brueghel ou encore aux Monty Python.

Bien sûr, la peste est bien éloignée de tous ces clichés pour ceux qui veulent bien s'y intéresser deux minutes. Comme de nombreux lycéens fans de fantasy, je me suis passionné pour le Moyen-Âge et pour une maladie qui a provoqué la plus grande catastrophe de l'histoire de l'humanité. Depuis sa première évocation en -1320 avant Jésus-Chris par les Philistins, on estime à 300 millions le nombre de victimes, et aucun vaccin n'a encore été trouvé. La bactérie Yersinia pestis s'avère impossible à éradiquer et elle sera sans doute encore présente sur Terre bien après la disparition programmée de l'espèce humaine.

« C'est une maladie adaptée à une époque et à un environnement particulier », m'a dit Tim Brooks, un épidémiologiste britannique que j'ai contacté juste avant mon départ. « En réalité, son heure n'est pas encore venue. » Si l'heure n'est pas encore au triomphe de la peste, cela ne veut pas dire que cette maladie attend sagement son tour pour rayer l'Homme de la surface du globe. On dénombre trois grandes pandémies de peste dans l'Histoire. La première s'est déroulée durant le sixième siècle de notre ère, la seconde correspond à la Peste Noire de 1347, et la dernière a débuté au 19ème siècle – certains épidémiologistes un poil pessimistes affirment qu'elle n'est toujours pas achevée. Elle touche d'ailleurs une poignée d'Américains chaque année, dans la partie ouest du pays. Le mois dernier, le département de la Santé du Colorado a annoncé que trois individus avaient contracté la peste pneumonique, sans doute propagée par une puce qui avait piqué le chien du premier malade.

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Depuis le début du XXIème siècle, il faut tout de même admettre que le nombre de cas est très faible. Des antibiotiques bon marché comme la doxycycline permettent une guérison dans quasiment 100% des cas. Mon docteur m'avait expliqué comment me comporter en cas d'infection tout en me rassurant : ma mort était très peu probable.

Malgré tout, « très peu probable » est une expression qui ne m’a pas totalement rassuré. Je m'imaginais tomber malade dans un coin reculé de Madagascar et être dans l'impossibilité d'aller chercher des secours. Je sais que les maladies se foutent du respect de la dignité humaine mais à mes yeux, la peste a tendance à rendre les derniers jours des malades particulièrement horribles. Voilà comment elle procède : une période d'incubation de deux à six jours précède l'apparition de symptômes violents, comparables à ceux de la grippe. Des lésions cutanées apparaissent, puis vos extrémités noircissent, vous toussez et vomissez du sang – puis vous mourrez.

La peste bubonique est la forme la plus commune de cette maladie, et tire son nom des bubons. La peste pneumonique, quant à elle, correspond à l'entrée de la bactérie dans les poumons et est très facilement transmissible, à l'image de la grippe. La peste septicémique existe, mais elle est plus rare et intervient lorsque le sang est directement infecté.

Une fois arrivé à Madagascar, j'ai réalisé que la plupart des habitants savaient ce qu'était la peste. Ils étaient au fait de sa capacité à instaurer le chaos. Ils savaient également qu'elle proliférait grâce à la saleté, aux rats, à la malnutrition, et qu'elle pouvait se répandre très rapidement sur l'île avant d’atteindre la côte orientale de l'Afrique.

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Comme l'Histoire nous l'a appris, lorsque vous classez une maladie comme étant une « pandémie », il est déjà trop tard. C'est pour cela que je me suis rendu sur place, afin de me rendre compte de la situation par moi-même.

Rasoa Mazorafy et sa femme Veloraza, tous deux d'anciens malades de la peste.

En arrivant à l'aéroport international d'Antananarivo, j'ai tout de suite remarqué l'odeur très particulière qui régnait sur place. En fait, ce n'était pas vraiment une odeur, plutôt une âpreté qui m'a poursuivi pendant tout mon séjour. S'il m’est arrivé d'être écoeuré par les effluves d'ordures et de sueur humaine, le pays semblait surtout être empli d’émanations que l’on peut sentir lorsque l’on passe un peu de temps dans une poterie.

« Madagascar ressemble à l'empreinte d'un immense pied gauche avec un gros orteil gigantesque qui pointe vers le nord », m'a expliqué Sir Mervyn Brown, l'ancien ambassadeur britannique à Antananarivo. Le pays a une superficie totale de près de 600 000 kilomètres carrés et son climat est chaud, avec des hivers très doux.

Il y a à peu près 88 millions d'années, l'île s'est séparée du supercontinent du Gondwana, et elle se situe aujourd’hui à 400 kilomètres des côtes du Mozambique. C'est l'un des seuls endroits sur Terre qui a préservé son écosystème. Plus de 75% des espèces de la faune et de la flore locale sont endémiques, même si on déplore la disparition de nombreuses espèces à cause des techniques agricoles utilisées par les premiers colons et encore pratiquées aujourd'hui.

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La peste est presque impossible à éradiquer à Madagascar, à cause d’une interaction complexe de facteurs socioculturels et naturels. Selon un rapport de 2013 publié par un centre d’études américain, le pourcentage élevé d’animaux porteurs de la maladie pose les bases d’une future contamination, et les conditions socioéconomiques sur l’île favorisent la transmission entre les individus.

Des cas de peste surgissent souvent au sein de villages situés à une altitude supérieure à 800 mètres et s’expliquent par les pratiques des fermiers. L’organisation agricole de ces territoires augmente les risques : les maisons en haut de collines, les haies autour des stocks de nourriture et les champs de riz situés en contrebas des villages constituent des milieux favorisant la prolifération de Yersinia pestis. De plus, les pénuries alimentaires épisodiques font chuter la population de rats et incitent les puces à trouver de nouveaux hôtes : les êtres humains.

Dans le nord de l’île, la peste frappe d’octobre à avril, quand les températures ne descendent presque jamais en-dessous de 20 degrés. L’humidité favorise l’augmentation de la population de Xenopsylla cheopis, aussi connu sous le nom de puce orientale du rat, qui est le premier vecteur de transmission de la maladie.

Si ces petites bêtes sont souvent vues comme les responsables des épidémies de peste, les êtres humains ne sont pas innocents pour autant. Dans les villages, les récoltes sont souvent stockées dans les maisons pour empêcher les vols, ce qui attire les rats et les puces. La déforestation force les rats à se réfugier dans les villages. De plus, la paupérisation de ces communautés entraîne une émigration importante, ce qui est un facteur important de la propagation d’une maladie.

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Les cérémonies funéraires malgaches favorisent aussi les épidémies, car les défunts sont exhumés de temps à autre afin de pratiquer des cérémonies traditionnelles. Des pics de contamination sont souvent décelés après de telles cérémonies, ce qui a incité le ministère de la Santé à demander à la population d’attendre au moins sept ans avant d’exhumer les victimes de la peste.

Malgré cela, le gouvernement a arrêté de collecter des données en 2006 à cause de graves problèmes financiers. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une seule source fiable de collecte de données au sujet de la peste : l’institut Pasteur d’Antananarivo.

Mis en place par l’administration coloniale française au début du XXème siècle, cet institut est un acteur crucial dans la lutte contre la propagation de cette maladie. Son statut privé lui a permis de ne pas subir le contrecoup de la décrépitude économique d’un pays désormais exsangue. Une visite là-bas était indispensable pour que je puisse mesurer le danger d’une possible épidémie.

Abdavamamba, un bidonville d’Antananarivo dont le nom signifie « la bouche du crocodile »

« Il y a une puce ! » s’est exclamé un jeune laborantin de l’institut alors qu’il pratiquait l’autopsie d’un rat sur une table en plein air. Il venait tout juste de briser la nuque de l’animal avec une pince, puis il l’avait ouvert avec un scalpel et des ciseaux et s’était servi d’une pince à épiler pour extraire le foie de la carcasse.

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Une petite brosse de poche lui avait permis de faire tomber une puce à l’intérieur d’une petite boîte. Certains scientifiques avaient inconsciemment reculé, comme si cette toute petite créature pouvait provoquer un chaos imminent. J’ai demandé à Michel si cette puce était susceptible de porter la maladie. « Oui, m’a-t-il répondu, car elle se nourrit du sang de rat, qui peut contenir la bactérie. »

L’Unité Peste de l’institut Pasteur est composée de têtes brulées qui travaillent avec un sérieux à toute épreuve. En tant qu’unique unité scientifique du pays s’occupant de Yersinia pestis, ils ont sans doute l’un des pires jobs du monde. Tous les jours, ils se rendent dans des zones à risques pour prélever des rats, puis ils les autopsient pour déterminer si la peste est présente dans tel ou tel endroit.

Tous les gens que j’ai rencontrés à Madagascar ont exprimé leur inquiétude au sujet d’une possible épidémie massive. Il m’a paru évident que si la peste devait atteindre Antananarivo, les conséquences seraient terribles. La surpopulation et la promiscuité qui règnent dans la ville permettraient à la bactérie de se répandre bien plus rapidement que dans les campagnes. Le directeur de l’Unité Peste, le docteur Christophe Rogier, m’a déclaré à ce sujet : « Il est urgent que cette maladie tant négligée soit enfin prise au sérieux. Vu que la contamination a pour le moment lieu dans des zones éloignées, personne ne s’en préoccupe. Mais avec les déplacements de population, ce qui était auparavant un problème local peut devenir un problème national. »

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Les bidonvilles de la capitale partagent de nombreux points communs avec les cités médiévales densément peuplées qui ont été rayées de la carte au cours du XIVème siècle. Parmi les deux millions d’habitants d’Antananarivo, des dizaines de milliers de personnes vivent dans des taudis sans eau courante. « Si la peste atteint les bidonvilles, m’a déclaré Rogier, il pourrait y avoir des milliers de victimes. » Un tel évènement pourrait faire basculer dans le chaos un pays déjà très instable.

Michel Ranjalahy de l’Unité Peste, tient un rat potentiellement porteur de la peste. 

Les hommes et les femmes d’Antananarivo se baladent pieds nus depuis des siècles. Le problème, c’est que les rues ressemblent à des immenses traînées de boue délimitées de part et d’autre par des égouts à ciel ouvert dans lesquels s’entassent ordures et détritus. Tous les canaux de la ville sont encombrés par des déchets, ce qui ne décourage pas les enfants de jouer et de nager à travers les sacs plastiques à la recherche d’un objet pouvant avoir un peu de valeur.

Le lendemain de mon retour de Beranimbo, j’ai pu me balader dans l’un des pires bidonvilles de la capitale aux côtés d’Andriambeloson Solofo Pierre – dit Billo – un agent de sécurité de 28 ans, père de trois enfants. Je l’ai rejoint dans un café décrépit du quartier d’Andavamamba. Billo gagne entre 3 et 5 dollars par jour. Comme de nombreuses autres familles du pays, la sienne ne possède aucune couverture santé. « J’ai peur pour ma famille », m’a-t-il avoué en regardant le soleil se coucher au-dessus d’un canal rempli d’ordures.  « Personne ne fait attention à nous. Les routes sont dans un état déplorable et tous les projets de réaménagement et d’irrigation ont été abandonnés après le coup d’État. »

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Le coup d’État auquel fait référence Billo a eu lieu en 2009 et a été un désastre pour le pays, à l’image des autres moments clés de l’histoire malgache. Lorsque la France a colonisé Madagascar en 1885, elle a massacré plus de 100 000 Malgaches. Après l’indépendance de 1960, le pays a basculé rapidement dans l’anarchie puis dans une utopie marxiste inepte.

Tout cela a changé avec l’arrivée au pouvoir de Marc Ravalomanana en 2001, qui a amené un semblant de stabilité dans le pays. L’économie était florissante, soutenue par les ressources en minerais, dont du nickel et du fer, et par les cessions de terrains au profit de géants industriels comme Daewoo. Mais en 2009, un coup d’État – que beaucoup jugent appuyé par le gouvernement français – a renversé Ravalomanana pour installer au pouvoir Andry Rajoelina, le maire de la capitale.

En réponse à ce coup d’État, de nombreux pays ont supprimé leur aide au développement, qui représentait près de 70% du budget de Madagascar. Un mois plus tard, l’économie nationale était en lambeaux. La pays a été banni de l’Union Africaine et selon un rapport de l’OCDE, c’est le pays du tiers-monde qui reçoit le moins d’aide financière.

Le gouvernement de transition mené par Rajoelina a pris la décision de suspendre toutes les rénovations dans le secteur de l’irrigation, des transports, de la santé et des communications. Ces mesures ont fait disparaître la classe moyenne malgache, qui est retombée dans une pauvreté qu’elle venait tout juste de quitter. Les Malgaches n’ont pas fini de payer le prix de ce coup d’État.

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Le rapport entre la peste et la situation politique m’a sauté aux yeux après ma rencontre avec le docteur Jean-Louis Robinson, l’ancien ministre de la Santé, délogé par le coup d’état. Selon lui, l’arrivée au pouvoir de Rajoelina a entraîné la fermeture de 400 dispensaires de santé à travers le pays.

Le 20 décembre 2013, à la suite de nombreuses déroutes électorales, Rajoelina a été contraint d’abandonner le pouvoir au profit de Hery Rajaonarimampianina, l’ancien ministre des finances. Le département d’État américain a immédiatement autorisé les transferts financiers à destination du pays, ce qui aura sans doute le mérite d’améliorer un peu la situation du pays. Malgré tout, il ne faut pas s’attendre à des miracles selon un rapport d’un think tank américain : ces élections démocratiques « ne sauraient résoudre à elles seules le problème de la profonde faiblesse des institutions du pays et en particulier l’incapacité des autorités à gouverner et à réformer des secteurs essentiels, » dont celui de la Santé.

Pour sa part, Billo ne peut qu’attendre avec appréhension la prochaine saison de la peste, qui débute en octobre. Tandis que l’on se faufilait parmi la foule très dense d’Andavamamba, il se demandait à haute voix combien de personnes périraient au cas où l’épidémie toucherait la capitale.

Deux filles de Beranimbo, témoins de l’épidémie de peste

Le dernier jour de mon séjour à Madagascar, j’ai rencontré un guérisseur du nom de Dadafara, qui officie dans une hutte située dans une petite rue d’Antananarivo. La décoration était éclectique, composée de crânes de zébus, de plantes exotiques et d’eau de pluie collectée sur les 12 collines sacrées d’Imerina, un ensemble de montagnes qui entoure la capitale. Quand les Malgaches tombent malades, ils vont généralement voir des types comme Dadafara, même si les élites du pays les considèrent comme des charlatans et méprisent leurs pratiques.

Je voulais savoir quel traitement un guérisseur comme lui pourrait administrer à un malade ayant la peste bubonique, et Dadafara a accepté de me traiter comme si j’étais un patient. Il m’a expliqué le déroulement de ses consultations. D’abord, il fallait que je lui explique mes symptômes avant qu’il ne se mette à invoquer l’esprit des ancêtres afin qu’ils le conseillent. Dadafara a tendu un petit miroir vers la lumière. « Je communique avec les ancêtres grâce à ça », m’a-t-il expliqué. Après avoir reçu cette expertise précieuse, Dadafara était censé me prescrire de l’eau bénite et des herbes bouillies afin de me guérir.

Après l’explication est venu le temps de la pratique. Dadafara m’a demandé de lui décrire mes symptômes, ce que j’ai fait avec précision. « J’ai 40 de fièvre, lui ai-je dit, et mes aisselles sont recouvertes par des ulcères de la taille d’un œuf de poule. Je vomis du sang, j’ai mal à la tête et mes muscles me font souffrir. De plus, je vis dans un endroit sans eau courante et avec beaucoup de rats. »

Mon accompagnatrice a alors traduit mes propos à Dadafara, qui a répondu tout simplement : « Vous avez la peste. Vous devez aller chez un docteur tout de suite. »

Une tête de zébu fraichement coupée

Le mois dernier, une ville chinoise de 30 000 habitants a été mise en quarantaine après la mort d’une personne ayant attrapé la peste bubonique, un peu à l’image de ce qui se produit dans La Peste de Camus. La police a mis en place des barrages routiers et a demandé aux automobilistes de rebrousser chemin.

À la fin de La Peste, le médecin Bernard Rieux, qui a survécu à l’épidémie ayant touché Oran, traverse une foule euphorique qui célèbre la fin d’une maladie terrible. Ultime phrase d’un chef-d’œuvre majeur de la littérature mondiale, les mots de Rieux – et donc ceux de Camus – entrent en parfaite résonance avec la situation de Madagascar : « Écoutant, en effet, les cris d’allégresse qui montaient de la ville, Rieux se souvenait que cette allégresse était toujours menacée. Car il savait ce que cette foule en joie ignorait, et qu’on peut lire dans les livres, que le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais, qu’il peut rester pendant des dizaines d’années endormi dans les meubles et le linge, qu’il attend patiemment dans les chambres, les caves, les malles, les mouchoirs et les paperasses, et que, peut-être, la jour viendrait où, pour le malheur et l’enseignement des hommes, la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse. »

Le documentaire Le Retour de la peste noire sera publié ici-même jeudi.