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LE NUMÉRO PHOTO 2013

Le LBM DISPATCH vous apporte de bonnes nouvelles

Ce qui est devenu le LBM Dispatch a débuté comme n’importe quelle aventure à la con. Le jour de son anniversaire en décembre 2011, Alec m’a envoyé un texto pour me dire qu’il voulait « se casser d’ici ».

Images d’Alec Soth publiées avec l’aimable autorisation de Magnum Photos

Boulder, Colorado — Le spectre de John Denver avait ruiné la préparation de notre voyage dans le Colorado et une fois sur place, j’espérais qu’on arriverait le plus possible à se tenir à distance de sa musique et de sa triste influence. Malheureusement, ça s’est révélé impossible : « Rocky Mountain High » est l’une des deux chansons officielles de l’État. Parmi les premières villes qu’on a traversées, des affiches annonçaient même le concert d’un imitateur officiel de John Denver. C’est là que je me suis dit qu’on devait absolument passer par son sanctuaire officiel, à Aspen. Lorsqu’on a rencontré Don (photo) au Days Hotel de Boulder, on a eu l’impression d’être scrutés par John Denver en personne durant tout notre entretien.

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C e qui est devenu le LBM Dispatch a débuté comme n’importe quelle aventure à la con. Le jour de son anniversaire en décembre 2011, Alec m’a envoyé un texto pour me dire qu’il voulait « se casser d’ici ». Quelques heures plus tard, on rôdait en périphérie des villes jumelles – Minneapolis et Saint Paul – au volant de sa Honda Odyssey, en se faisant passer pour les correspondants d’un journal local. La première « piste » qu’on a suivie fut celle d’un chat qui échappait à ses sauveteurs depuis des mois ; il vivait sur une île située au milieu de l’une des bretelles d’autoroute les plus fréquentées de l’agglomération. Ce chat était devenu un mythe dans la région et on racontait qu’il ne devait sa survie qu’au destin : il y avait une mare d’eau sur l’île où trônait la carcasse d’un cerf, qui, visiblement, n’avait pas eu autant de chance que le chat, ni les mêmes facultés d’adaptation. Par chance, le jour de Noël, la veille de l’anniversaire d’Alec, l’histoire a connu un rebondissement inattendu. Un agent de police avait enfin piégé le chat fugitif et l’avait reconduit à la SPA locale, où on l’avait baptisé Adam (il s’est avéré que c’était aussi le nom du flic sauveteur). On a visité l’île sur laquelle Adam avait échoué et on a cherché puis photographié la mare, la carcasse de cerf et un caniveau sous l’autoroute qui – comme semblaient l’indiquer les empreintes fraîches – avait dû servir d’abri à Adam. On est ensuite allés voir le chat dans sa nouvelle résidence ; son attitude revêche et son manque de coopération laissaient à penser qu’il avait été capturé plutôt que sauvé, et qu’il n’avait pas été libéré mais contraint à l’exil. Cette histoire a agité notre imagination et on a continué à rouler. On ne suivait aucun plan. On était tous deux dans une phase régressive, je crois : Alec s’est par le passé fait les dents dans la presse locale tandis que j’ai débuté ma carrière dans un quotidien à petit tirage. C’était marrant d’explorer à nouveau les coins où l’on a passé la majeure partie de nos vies – et encore plus drôle de témoigner de toutes les bizarreries qu’on y trouve. Dans une église, on a assisté à la représentation d’une comédie musicale à propos de la Genèse. On a ensuite traîné dans les ruines d’une ville fantôme du Minnesota créée par un membre de l’expédition Donner, puis passé du temps avec un passionné de la seconde guerre mondiale ; celui-ci dormait dans une tranchée qu’il avait lui-même creusée dans le jardin de son pavillon de banlieue. Dans un hôtel au bord de la route, lors d’une réunion matinale de l’Optimist Club, on a écouté un expert en contrôle des populations tenter de saper le moral des gens du coin – il parlait de « planète en péril ». Il a complété son exposé avec des photos d’enfants mourant de faim, de montagnes de déchets et d’animaux empêtrés dans des eaux saturées de pétrole. Enfin, dans un excès de confiance, on s’est imprimé des cartes de visite qui nous présentaient tous deux comme les directeurs de publication d’un journal qui n’existait pas. Après quelques mois de ce régime (on n’avait toujours aucune idée de ce qu’on pourrait faire du matériau qu’on accumulait), on a décidé de lancer notre journal pour de bon. Alec devait intervenir dans une conférence quelque part dans l’Ohio ; on a profité de cette occasion pour reprendre le van et passer une semaine à errer dans « l’État du pavier ». Lors de nos promenades dans le Minnesota, certaines idées ont commencé à émerger. On a beaucoup parlé des communautés du monde réel à l’heure d’Internet et on se demandait comment se portaient les anciennes formes d’interactions sociales – les associations, fraternités, clubs et même les amitiés au sens classique du terme – au XXIe siècle. Nos personnalités et nos échecs relatifs en tant qu’êtres sociaux nous ont conduits à une première conclusion, qui s’est vite révélée inexacte, en Ohio tout d’abord, mais aussi dans les autres États visités au cours de notre voyage. Au final, la plupart de nos théories n’étaient pas avérées. Depuis notre passage en Ohio en mai 2012, Alec et moi avons visité cinq États, parcouru des milliers de kilomètres, passé plus de trois mois ensemble dans un van et publié cinq numéros du LBM Dispatch. Un par État. Nous avons tout fait sur la route ; on se fixait des deadlines quotidiennes, on mettait à jour notre Tumblr, et notre objectif était toujours de publier l’édition papier dans la semaine qui suivait notre retour. Pour le moment (on touche du bois), on a rempli nos objectifs et on a amassé – en plus d’environ 250 pages de photos et de textes imprimés – des milliers d’images et de stories différentes. Les journées sont longues, souvent. Quand on s’arrête dans un motel pour la nuit, Alec transfère les photos sur son ordi, on envoie des mails à tout le monde et je dois rester éveillé des heures entières pour éditer les textes et les associer aux photos. Je vais être honnête : pour moi, tenir ce rythme était a priori impossible. D’habitude, ni Alec ni moi ne pouvons supporter les frictions interpersonnelles inévitables dans ce genre de collaborations. Aucun de nous, j’en suis convaincu, ne serait capable de jouer dans un groupe, et encore moins dans un groupe qui passerait son temps à marauder sur les routes. Je suis un solitaire bourré de TOC et je n’aime rien autant que de rester chez moi avec mon chien, mes livres et ma musique ; cette routine quotidienne me stabilise, jour après jour. Une journée au cours de laquelle je n’ai pas besoin de m’habiller est pour moi une bonne journée. J’ai réalisé il y a longtemps que je n’étais pas fait pour partir sur les routes. Je partage également un passif assez sombre avec les échéances. Je suis incapable de produire quoi que ce soit sans avoir un flingue sur la tempe, et bien sûr, je déteste que l’on braque une arme sur moi. Alec aussi a passé la majorité de sa carrière à travailler seul, et il ne plaisante pas avec son éthique de travail. Avec le recul, je me dis que faire le Dispatch était une idée possiblement irréalisable. Et, les gens voyageant toujours avec un troisième larron – lequel conduit la plupart du temps et apporte son soutien logistique sur plein de détails chiants – on ne pouvait même pas, à deux, profiter de cette alchimie particulière. Norman Mailer disait que « c’est dans le mouvement que l’homme trouve sa chance ». Aujourd’hui, après un an passé sur les routes, le défi s’est transformé en : comment faire lorsqu’on revient à l’immobilité ? Les voyages du Dispatch sont autant de montées d’adrénaline sans fin dans lesquelles il est devenu normal de se perdre parmi les plans, les itinéraires, les tâches quotidiennes et les possibilités liées au fait de voyager chaque jour dans un nouvel endroit. Les carnets se remplissent, les photos s’entassent et on se met naturellement à considérer les choses étranges que l’on croise tous les jours comme tout à fait normales. Quelques exemples : le jour où l’on voulait rencontrer un scout dans l’Ohio, on en a aperçu un qui attendait sur un parking, juste devant nous ; quand on hurlait notre souhait de croiser des mormons dans le Colorado, deux s’engouffraient dans notre rue, sur leurs vélos. Habituellement, en cours de route, les thèmes et les séquences des numéros se mettent en place naturellement. On sait qu’un mauvais jour sera suivi par une abondance de rencontres imprévues qui créeront une explosion de synergie vibratoire dans tout le van. La pression vient surtout du fait qu’on s’impose une structure et des deadlines et qu’on ne voit les choses se mettre en place qu’au fur et à mesure, selon ce qui se présente à nous. Ce qui nous fait tenir, c’est de savoir que dans les deux semaines après notre retour, on pourra tenir entre les mains un truc avec tout ce qu’on aura vu dedans. Les voyages ne se passent jamais comme prévu, mais il y a toujours un plan. On ne se contente pas de conduire au hasard en cherchant des photos à faire et des gens auxquels parler. Avant de quitter la ville, on définit notre trajet, on fait des recherches sur l’histoire des monuments qu’on va croiser, on repère les événements locaux et on fouille pour trouver des destinations potentiellement dignes d’intérêt sur le trajet. On lit des milliers de pages de littérature sur chaque État concerné, on s’intéresse à son histoire, ses traditions, et on discute des thèmes exploitables ou des points qui nous intéressent particulièrement. Et pour m’amuser, j’essaie de faire une compilation de morceaux composés ou inspirés par l’État en question. Après, on se tire. Il faut avoir une destination déterminée à l’avance pour chaque journée – c’est une sorte de discipline – mais c’est ce qu’on trouve à tel ou tel endroit qui nous dicte si l’on doit rester ou non. Alec et moi passons la journée ensemble ; tandis qu’il fait des photos, je parle aux gens ; sur les cinq voyages qu’on a faits, seulement trois photos ont été prises en mon absence. Une bonne story peut magnifier une belle photo et réciproquement, mais on sait bien ce que chacun de nous recherche lors de chaque situation, et étrangement, on n’a pas besoin de discuter ou de « négocier » les choix qu’on finit par faire. Évidemment, on doit toujours faire des sacrifices : une fois qu’on est convenus d’un thème ou d’une direction, on sacrifie un tas de choses intéressantes pour continuer sur notre lancée. Comme je le disais, c’est un miracle que le projet m’ait amusé à ce point. Les voyages entrepris pour le Dispatch sont l’expérience professionnelle la plus gratifiante de toute ma vie – parce que dès le début, ni Alec ni moi n’avons abordé ce projet long et douloureux comme un truc strictement professionnel, mais plutôt comme une succession de road trips. Des aventures dans un van, de longues conversations entre potes. Ces conversations et le temps passé ensemble – les choses qu’on a vues, les gens qu’on a rencontrés et les histoires qu’on a entendues – c’est ça qui est important.

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Pour consulter les numéros précédents du LBM Dispatch ou pour acheter vos propres exemplaires de ce « journal à publication irrégulière à propos des vagabondages nord-américains », allez sur littlebrownmushroom.com

Cambridge, Minnesota — C’est l’une des premières stories qu’on ait couvertes avec Alec, quand on a commencé à rôder chez nous, à Minneapolis. Lorsqu’on a rencontré Scott Schmitt, il avait déjà bouché la tranchée qu’il avait creusée dans son jardin, en pleine banlieue de Cambridge. Schmitt avait creusé ce trou – et y avait dormi une semaine entière – pour honorer la mémoire des héros parachutistes de la 101e section aéroportée du siège de Bastogne. Symbole de son hospitalité, Schmitt a revêtu son uniforme et ses accessoires authentiques de la 101e avant de nous conduire dans son jardin pour le prendre en photo dans ce qu’il restait de sa tranchée.

Westminster, Colorado — On conduisait au hasard quand on a rencontré un groupe de recrues de la Marine qui participaient à un programme de musculation sur le parking d’un centre commercial. Il se trouve qu’aujourd’hui, la plupart des aspirants Marines échouent aux tests sportifs de recrutement et doivent en conséquence suivre une semaine de remise en condition. On a vu beaucoup de gens vomir et quelques jeunes recrues – qui venaient de comprendre qu’elles ne seraient jamais Marines – quitter l’entraînement en plein milieu.

Redwood City, California — Lors d’une réunion d’échanges entre start-ups ukrainiennes dans un complexe de bureaux déserts de la Silicon Valley, on a rencontré ce mec qui n’était ni ukrainien, ni investisseur. Il a souri, haussé les épaules et nous a dit : Je suis célibataire et je suis venu pour les bombes ukrainiennes – et le vin gratuit. Qui ne tente rien n’a rien, hein.”

Clifton, Colorado — Gabe est un Apache mescalero. Lui et sa femme, Sis, sont les propriétaires du Red Rock Archery, un magasin indien qui fait aussi stand de tir. La nuit où on l’a rencontré, il organisait un tournoi avec quelques habitués. On a été accueillis comme si on venait là depuis des années ; les gens nous ont fait visiter et ont pris la pose pour nos photos.