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ain't it fun

Sean Äaberg, le rédac chef de Pork, est notre maître à penser

Sean Äaberg a été rédacteur en chef de nombreux fanzines californiens, les mêmes qui ont fait office d’organes de ralliement pour la scène punk de la Bay Areades années 1990 à aujourd’hui.

Sean avant, en train de bouffer un truc.

Le 7 mai dernier, j’ai senti une coulée de bile me remonter l’œsophage et bizarrement, ce n’était pas dû à ma consommation excessive de chips au vinaigre. Ça venait plutôt du dégoût généré par les clichés du gros cul fleuri de Kim Kardashian au Met Ball punk qui s’était tenu au Metropolitan Museum of Art de New York. Vous avez vu ce truc, sérieux ? Punk ! J’étais tellement dégoûté que j’ai failli devenir hippie.

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Quelques jours plus tard, la conversation que j’ai eue avec Sean Äaberg, fondateur du meilleur fanzine de tous les temps (et de l’univers), m’a fait passer l’envie de me noyer dans le canal St Martin. Ces 25 dernières années, Sean Äaberg a été rédacteur en chef de nombreux fanzines californiens, les mêmes qui ont fait office d’organes de ralliement pour la scène punk de la Bay Area des années 1990 à aujourd’hui. Désormais relocalisé à Eugene dans l’Oregon – ville célèbre pour la communauté anarchiste qui y a élu domicile – il dirige depuis trois ans son propre fanzine, Porken compagnie de sa femme.

J’ai découvert Pork en tombant sur le Tumblr de Sean en 2011. Le numéro était rempli de dessins de personnages d’inspiration Crumb / Johnny Ryan / Mike Diana et rédigé avec la même précision et le même humour que les fanzines punk de référence type Slash ou Ripped and Torn. Depuis ses débuts avec les Marked Men – son groupe – et son premier fanzine, Goblin’s Armpit, Sean s’est fait le chantre de ce qu’il considère comme étant le vrai rock’n’roll. En gros, Pork véhicule les valeurs opposées des magazines et sites web volontairement objectifs ; le mag ne parle que de groupes inconnus, de sapes, et suit l’idéologie punk extrémiste, parfois même libertarienne de Sean.

En 1979, La Souris Déglinguée déclarait dans Week-end Sauvage : « On n’est surtout pas des dangers pour la société ! » Sean représente l’antithèse de cette pensée. En plus d’être un mec adorable et super drôle, il est aujourd’hui la seule personne que j’ai encore envie de lire.

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Sean aujourd'hui, avec son fils.

VICE: Salut  Sean. Ça fait combien de temps que tu diriges Pork ?

Sean Aäberg : Ça fait deux ans maintenant. D’abord, j’ai cofondé un hebdomadaire alternatif à Eugene, dans l’Oregon, où j’habite aujourd’hui – le truc s’appelait Bang !. Ça a fonctionné quelque temps jusqu’à ce que le directeur de publication se lasse du format et qu’il veuille lui donner une nouvelle direction. Je voulais que Pork soit, tu vois, un genre de Coney Island à l’échelle d’un mag. Je voulais faire un truc qui puise son inspiration dans toutes les époques de la contre-culture américaine, avec le rock’n’roll au milieu de tout ça. Après une énième engueulade avec le directeur de publication de Bang !, je me suis barré et ai demandé à Katie – ma compagne – si elle acceptait de s’associer avec moi ; on a fondé Pork.

OK, tout le monde devrait faire ça. Quand as-tu commencé à dessiner ?

Je crois que j’ai toujours dessiné. Je me rappelle que petit, je dessinais déjà sur le parquet du salon de mes parents en écoutant les Beach Boys.

Tu lisais des magazines à cet âge ?

MAD Magazine a vraiment été le truc qui m’a donné une raison de me coller sérieusement au dessin. En gros, tout ce que je voulais, c’était me foutre de la gueule des gens et créer des trucs dégueulasses. Ensuite, les premières bandes dessinées Tortues Ninjas – c’étaient des comics alternatifs pour gosses à l’époque, en noir et blanc – n’ont fait que confirmer mon envie de dessiner et de vivre dans les égouts.

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Des types comme Mike Diana t’ont-ils aussi influencé ?

Au départ, non. Sérieux, le travail de Mike Diana était bien trop dérangé pour que j’aime ça à 10 ans. En revanche à partir du moment où j’ai réalisé que je pouvais vraiment dessiner, j’ai voulu être Frank Miler, puis Simon Bisley et Katushiro Otomo.

C’est quoi ce concept de « weirdo art » dont tu parles tout le temps ?

C’est, si l’on veut résumer : des yeux nervurés hors de leurs orbites, des verrues, des bubons purulents, des plaies ouvertes, des tubes et des trous. Puis des dents pourries, des langues fourchues, des spaghettis aux boulettes de viande et de la graisse de poulet frit.

OK.

Le weirdo art c’est une caricature à l’extrême du grotesque. L’objectif c’est de rendre tout ce qui est dégueulasse et puant agréable à regarder. Basil Wolverton a globalement inventé le genre. Mais on trouve des influences bien plus anciennes chez Bruegel et Jérôme Bosch ; leurs représentations du macabre faisaient déjà l’étalage d’un grand sens de l’humour. C’était presque du cartoon. Aujourd’hui, le weirdo art, c’est tout cet art influencé par le punk et qui met l’accent sur les déchets culturels et les blagues à la con. Ça a toujours fait partie de mon quotidien.

À ce propos, si tu devais choisir entre deux fanzines punk, ce serait Slash ou Sniffin’ Glue ?

Slash, sans hésiter. Le concept de Sniffin’ Glue tue, mais le fanzine en lui-même était à chier. Pourtant, ça a eu une grosse influence sur moi gamin parce que c’était, hmm, frénétique. En revanche, Slash vaut toujours la peine d’être lu de nos jours.

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J’ai commencé à dessiner des flyers chelous quand les parents de Danny Shoup – un pote qui tient la colonne « Archeopop » dans Pork – ont acheté une photocopieuse Xerox. On faisait nos propres flyers qu’on laissait partout en ville. Cette photocopieuse et la découverte du punk m’ont ouvert la voie ; vite, on a publié notre premier fanzine, Goblin’s Armpit.

C’était cool d’être un cider punk en Californie ?

Ah, ah, ouais. L’alcool m’a aidé à me sortir la tête de l’eau à une époque. Il faut dire que j’avais été straight edge jusqu’à mes 18 ans. Je n’étais pas vraiment à fond dedans mais j’étais tellement contre la culture bro des lycéens américains que je le suis devenu. Pour me conformer aux règles du punk d’époque, j’étais aussi vegan ; ça a duré un bon moment. Puis, à 21 ans, j’ai décidé de me torcher le cul avec ces règles.

Tu ne faisais partie d’aucune scène du coup ?

Quand j’étais adolescent, on m’appelait souvent « le punk américain ultime » ou « Super Punk ». C’est un peu pompeux mais c’était mon but dans la vie, je voulais devenir un seigneur de guerre punk. Du coup je faisais des fanzines ; peu à peu, je suis devenu un membre éminent de ma propre scène locale, qui est par la suite devenue ce qu’on a appelé « la scène de la Bay Area ».

T’écoutais quoi ?

J’écoutais tout les trucs hardcore de L.A genre Cirlce Jerks, Black Flag, les premiers trucs des Descendents et des Germs. J’ai eu une phase UK82 où je passais mon temps à écouter Exploited, GBH, Discharge, Chaos UK, Disorder et les Varukers. J’étais aussi branché anarcho-punk, j’aimais Crass, Rudimentary Peni et tous ces trucs. Avec les Masked Men, on jouait avec Ragady Anne, dont les membres ont formé plus tard Oppressed Logic. Ils nous aidaient à trouver des concerts mais on ne correspondait pas aux gonzes de la scène. De toute façon ils n’étaient pas assez punk pour moi.

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Un flyer de Sean pour un concert de KIng Khan à Toronto.

Vous avez fait quoi ensuite ?

On a atterri dans la scène noise-punk. On jouait six types de punk différents en même temps mais personne ne voulait nous écouter.

Il y avait d’autres fanzines autres que le tien dans le coin ?

Cometbusétait le gros fanzine de la East Bay. C’était le boulot d’Aaron Elliott et c’était vraiment bon. Il voulait sortir une sorte de publication alternative, comme dans les années 1960. Ensuite il s’est fait avoir par la popularité qu’il s’était lui-même créée. Maximum Rock&Roll était l’autre gros truc du coin, ça me filait des bouffées de stress ! À l’époque j’essayais de trouver une direction à ma vie et ces types réussissaient là où j’échouais. Les pages du fanzine renfermaient un contenu tellement pertinent et brut que le simple fait de le lire me donnait l’impression de me faire trépaner.

D’un autre côté, ils savaient être chiants, aussi. Tout leur délire politique, notamment.

Ouais, mais avec le temps j’ai réussi à apprécier les différentes idées véhiculées par MRR. J’adorais Profane Existence aussi ; ils étaient focalisés sur les sapes et les flingues. Leur truc, c’était de redonner au punk son statut de menace populaire – le genre d’agression caractérisée qui m’a toujours chauffé.

Sinon, Roctober reste le seul mag que je lis régulièrement depuis 20 ans ; j’ai aussi beaucoup travaillé pour eux. Il montre l’espèce de syncrétisme intégral de la scène punk – c’est ce que je veux aussi faire passer dans Pork. Genre, c’est OK d’aimer Sammy Davis Jr. et Chaos UK en même temps.

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Tu avais un préféré parmi tous ces noms ?

Ouais, c’était Frank’s Depression Poetry, le mag de Frank Depression.

Je ne connais pas.

C’était un pote, un mec en or. Malheureusement, il s’est fait tué par un videur à New York, en 1997.

C’est à cause de ce genre d’histoires que Pork est parfois aussi ouvertement agressif ?

Oui. On profite aussi du fait de vivre un moment plutôt cool ; les médias de masse sont complètement déconnectés de tout. Quant aux média alternatifs, ils ne s’intéressent qu’à eux. Pork essaie simplement de promouvoir la véritable culture rock’n’roll. On veut parler de sexe, de violence, de cuir, de drogues et rassembler une armée de charlots sous une seule et même bannière.

J’ai d’ailleurs vu que vous foutiez des croix gammées un peu partout, juste pour vous faire détester.

Ouais, c’est ça.

J’ai atterri sur le Tumblr d’une meuf qui est tombée dans le panneau et qui te traite de nazi.

Ouais, ça m’attire pas mal d’emmerdes. Mais il ne faut pas oublier que je viens d’un milieu gauchiste. Quand j’étais adolescent, je portais tous ces patches anti-fascistes genre, le mec qui balance une croix gammée à la poubelle, un autre qui dit « un bon fasciste est un fasciste mort », etc. J’avais même un brassard sur lequel j’avais inscrit « Nazi punks fuck off ! » avec une couteau fiché dans une svastika.

Ah, ah. T’avais déjà rencontré un bonehead dans ta vie ?

Non, ni le moindre nazi punk. Rappelle-toi que je suis d’Oakland. Les kids Noirs me tombaient sur le râble où m’humiliaient juste parce que j’osais sortir de chez moi avec mon look. Les petits Blancs de banlieue voulaient aussi me péter la gueule et balançaient des bouteilles sur ma caisse. Les trojan skins voulaient nous exploser mon frère et moi parce qu’on osait se pointer à des concerts de ska. La même chose nous arrivait avec les anarcho-punks parce qu’on avait pas la bonne couleur de lacets ou parce qu’on écoutait The Exploited. Tout ça, c’est des conneries. Ces connards d’antifa, ce sont eux les véritables nazis. Tous ce qu’ils voulaient c’était contrôler ce que je faisais.

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Ça ne t’a pas gêné d’utiliser cette imagerie ?

Je n’étais pas à l’aise au départ. Ma femme Katie est juive, tu vois. Mais elle n’a pas la même culpabilité que les petits Blancs peuvent ressentir… Quoi qu’il en soit, chaque contre-culture aux États-Unis a utilisé ces symboles. Que ce soit les hippies, les metalheads, les bikers, les skaters, les surfers ou les punks. Est-ce que Robert Plant est une femme juste parce qu’il a les cheveux longs et une voix de fausset ? Sid Vicious était-il nazi parce qu’il portait un tee-shirt avec une croix gammée ? Bah non, voilà ma réponse. Les véritables nazis, ce sont ceux rangés du côté du politiquement correct, qui n’attendent qu’une chose, te dicter ta conduite. Mais si tu cherches à trouver ta coupable, parle plutôt à ma juive de femme – c’est elle qui a l’esprit tordu !

Tu penses que Pork peut avoir un véritable avenir avec tout ça ?

Je voudrais qu’il y ait un shop Pork dans chaque ville ; on pourrait pervertir les enfants et leur donner envie d’écouter Little Richards, porter des croix de fer et lire des BD qui parlent de vomi. Je nous vois bien diriger des chaînes télé et des radios.

OK, merci Sean.

Merci !