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Culture

Les catholiques intégristes veulent crucifier Vincent Lannoo

Le réalisateur d’Au nom du fils a énervé Soral et est en passe de se faire « casser les jambes ».

Après avoir raconté l'histoire d'un chômeur orphelin de 19 ans et mis en scène une communauté de vampires belges en mal de visibilité, le réalisateur belge Vincent Lannoo a décidé d'aborder le thème de la pédophilie dans le milieu catholique. Au Nom du Fils relate les aventures d'une mère de famille ultra-catholique qui décide de partir en croisade contre les prêtres pédophiles suite aux décès successifs de son mari et de son fils. Acclamé par la presse et les spectateurs belges, le film a été refusé par de nombreux distributeurs français et s'est vite attiré les foudres du groupe Civitas.

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 Le 7 mai, le film est finalement sorti dans une petite vingtaine de salles françaises, au prix d'une lettre ouverte du coscénariste Philippe Falardeau pour le faire diffuser et d'un ultime remaniement d'affiche. À l'heure où taper sur le clergé est devenu un sport national dans la presse française, j'ai essayé de démêler ce merdier avec Vincent Lannoo afin de comprendre pourquoi tout le monde tenait à saboter son film.

Le réalisateur Vincent Lannoo. Photo via

VICE : Tu es croyant ?
Vincent Lannoo : Je l'ai été. J'ai cru au Père Noël jusqu'à l'âge de 7 ans et j'ai cru en Dieu jusqu'à 15 ans. Puis un jour j'ai compris cette atroce réalité : en fait, il n'y avait rien. Quel est ton rapport à l'Église ?
Mon rapport aux Églises en général n'est pas particulièrement conflictuel. Je me rends compte à quel point elles sont utiles à certains, importantes. Mon problème, c'est quand la réponse à une question trop compliquée ou paradoxale est l'immanence. À partir de ce moment le débat s'arrête et je n'aime pas. J'ai plutôt une envie scientifique d'un débat qui continue éternellement.

Qu'est-ce qui t'a motivé à faire ce film ?
Je dirais que c'est l'explosion des affaires de pédophilie qui remontaient en Belgique. Ce pays, et la France aussi, contrairement à d'autres, a un droit à l'oubli : la prescription. Donc y'a eu un silence judiciaire mais il y a aussi eu le silence de l'Église, qui aurait dû prendre la parole sur le sujet et qui ne l'a jamais fait.

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Le pape François est sympathique, il a l'air de trouver que les homos sont des gens normaux, ce qui a dû offusquer ceux qui ont manifesté dans les rues de Paris, mais – je ne me rappelle plus de la question en fait.

La genèse du projet.
Voilà, c'est cette colère, ces victimes à qui on ne répond pas, je me suis dit : il faut un film là-dessus. Et je ne veux pas que ce soit un drame, je pense que les victimes ont envie qu'on aborde ça différemment, pas en faire des martyrs – au contraire traiter ça avec humour, sous forme pamphlétaire.

Image via

Il y a également beaucoup de provocation dans ton film.
Moi j'ai l'impression qu'on peut réfléchir en s'amusant. Peut-on rire en parlant de la Bible ? Oui. Ça n'est pas moins intelligent de rire. Parfois c'est très bête, on a déjà vu des comédies françaises où l'on rit bêtement. Faut arrêter de prendre les gens pour des cons. Au Nom du fils est un film qui flirte avec le cinéma de genre. Il y a des niches, certains aiment ça comme d'autres aiment les mangas. Le film de vieillesse marche bien parce qu'il y a beaucoup de vieux, mais il existe aussi des vieux qui veulent voir des films de genre. Cette volonté de positionnement est quelque chose d'étrange. On a le droit d'être mobiles.

Tourner et monter Au Nom du fils aurait été possible en France ?
Pour moi, la réponse est non. Je vais jeter un pavé dans la mare qui aura sans doute très peu d'écho, mais quand on regarde Une Séparation, le film iranien, on se dit qu'il est parfois plus simple d'aborder formellement certaines choses en Iran que dans certains pays d'Europe. Je pense que c'est un problème de peur, avec cette France d'aujourd'hui qui a peur d'aller de l'avant, de prendre des risques. Est-ce qu'on a été bloqués ? Eh bien, on n'a pas envie de s'engueuler avec tout le monde, mais ce qui est sûr c'est qu'à Paris, c'est plutôt UGC qui nous sauve.

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Que penses-tu de l'accroche promo du film, en France – « une comédie belge dans la lignée de C'est arrivé près de chez vous » ?
Eh bien, cette accroche… je l'emmerde. Si ça fait venir des gens OK, mais moi je m'en fous. C'est arrivé près de chez vous c'était il y a 300 ans ; c'est un très beau film, on l'a tous aimé, quelque part que ça a dû être une influence. Mais c'est très éloigné. Excusez-moi mais quitte à être prétentieux, je préférerais qu'on me compare à Kubrick [rires]. Bon, je dis ça parce qu'il y a plein de références à Kubrick dans le film. Et puis, Orange Mécanique,ce ne serait pas un peu C'est arrivé près de chez vous ? C'est une vraie question !

Tu as tourné une scène de grosse baston entre l'héroïne et un prêtre dans une église à l'abandon. Si tu n'avais pas eu ce bâtiment sous la main, comment aurais-tu fait ? Fond vert ?
On avait d'autres plans, notamment un gymnase qu'on aurait pu transformer en église moderne. On a visité beaucoup d'églises qui au début disaient oui, puis qui se rétractaient. On sentait que le mot était passé, pourtant on avait écrit un faux scénario pour les mener en bateau ! Mais s'il faut dire un truc sur le Clergé, c'est qu'il est loin d'être con.

L'affiche belge du film. Image via

Pour l'instant, as-tu noté des réactions négatives dans les pays où le film est sorti ?
Non. On a dû changer l'affiche pour la France seulement – mais elle était acceptée dans tous les autres pays. Être distribué à Paris a été plus difficile en revanche. On a eu – et facilement – de très bonnes salles en province mais à Paris c'était plus dur – même si maintenant, ça y est. Après tout, la France est un pays laïc, même si c'est vrai qu'on a senti un peu de frilosité pour notre film. Mais la France reste LE pays qui défend le cinéma d'auteur, donc ça devrait bien se passer.

OK. Et tu ne redoutes pas la réaction de l'Église ?
Je pense qu'il n'y aura pas plus de problème que ça. Il est déjà sorti dans différents pays, et en Belgique il est resté presque trois mois à l'affiche. Sincèrement, il y a beaucoup de catholiques qui sont venus le voir. Évidemment certains n'ont pas aimé mais il y a aussi eu une grande majorité, surtout chez les jeunes, où « ça allait ». Des gens comme Alain Soral m'ont beaucoup critiqué sur Youtube, notamment par rapport à la bande-annonce. Ce genre de critiques me décrivaient comme un « Juif qui a fait un film méchant sur les catholiques ». Eh bien, je ne suis pas Juif, j'ai juste des lunettes et les cheveux un peu bouclés – mais je le serais avec plaisir. Mais ces mecs en revanche, ce ne sont pas des catholiques. Lui, si Dieu existe, il Le verra jamais, il est en enfer d'avance [rires]. Ça me fait penser à un truc – quel regard as-tu porté sur l'affaire Dieudonné d'il y a quelques mois ? Le sujet du film rejoint celui de certains de ses précédents spectacles, sans parler des réactions suscitées.
Je pensais vraiment que cette problématique avait été réglée en 1945 à Nuremberg. La haine comme seule réponse à l'impression d'être harcelé, c'est un truc qu'on a réglé depuis longtemps, non ? Ce discours d'une violence extrême, et puis cette pose de martyr, ça me gêne. À côté de ça, je viens de voir Le Divorce de Patrick, son show de 2003 : c'est l'un des plus beaux spectacles que j'ai vus de ma vie. Ça m'a faire rire énormément. Mais voilà, je ne suis pas contre une petite colère envers certains mouvements, certains lobbys disons – mais j'ai du mal avec l'acharnement.

Image via

À mon avis, Au Nom du fils choque seulement une minorité (active) de gens – une grande partie du public s'en fout, non ?
L'accueil a été plus que bon. J'ai été mal à l'aise, aussi ; on a eu une avant-première à Bruxelles, et la salle s'est levée en applaudissant quand l'héroïne tue un évêque. 1800 personnes ! Je te jure, t'es mal, tu te dis « j'ai fait un monstre ! » Des gens qui vivent à ce point la catharsis… Mais en fait non, c'est plus une réaction de match de foot. Y'a toujours une personne qui crie à la fin « à chier, scandale » mais ça fait partie du truc. Bon, j'ai reçu des menaces bien sûr, des trucs genre : « on va te casser les jambes », mais rien de très grave. Et puis je suis massif aussi… Ça ne se voit peut-être pas tout le temps mais on a essayé d'être le moins manichéen possible dans l'écriture : on s'est servi des paroles qu'on avait lues, entendues, dans des revues catholiques, des bios de prêtres ou d'évêques, des radios. Dès qu'on allait trop loin, on reculait et on se disait « non, ce qu'il dit doit être intelligent », même si c'est monstrueux. Y'a un côté pamphlétaire, c'est certain. Je ne voulais pas faire un film sur la foi sans mauvaise foi, mais on a fait très attention. On a tous des gens autour de nous qui sont croyants et le but n'était pas de les heurter.