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Le collectif Stop Harcèlement est-il le truc le plus de droite à être apparu en 2014 ?

Ces drôles de dames plaident inconsciemment pour une nouvelle forme d'exclusion citadine.

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Le 25 avril dernier, le collectif parisien Stop Harcèlement de rue s'essayait pour la première fois à tirer la sonnette d'alarme quant aux « insultes et autres trucs humiliants qu'une fille peut subir quand elle sort de chez elle » en bloquant la rue de Lappe, dans le XIe arrondissement. Les jeunes filles du mouvement, très amicales, y invitaient plusieurs filles et garçons à témoigner à haute voix - et devant plusieurs caméras - des preuves d'irrespect que les meufs subissent lorsqu'elles ont le malheur de faire une chose aussi normale que porter une jupe dans la rue.

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Sur le papier, cette idée part d'une excellente intention et s'inscrit dans un phénomène global faisant écho au mouvement américain Stop Street Harassment. En pratique, c'est plus compliqué. D'abord les anti-relou n'ont fait, depuis leurs débuts très médiatisés, que coller des tracts et des affiches. Ce qui n'est pas près de s'arrêter puisque selon leurs dires, elles auraient pour but de « faire encore plus pression sur les municipalités » afin de pouvoir établir une charte et coller de fait encore plus de tracts et d'affiches.

Ensuite, Stop Harcèlement De Rue (on va abréger en SHDR) affiche la volonté de se « détacher des revendications féministes habituelles ». Là encore, ça part bien : elles ne veulent pas créer de clivage, ni de cloisonnement. Le problème concerne filles comme garçons. Sauf que du même coup, cette ouverture d'esprit d'apparence rend le projet un poil enfantin, comme en témoignent les mots d'ordre du groupe : « Je ne suis pas TA jolie », « Ma mini-jupe ne veut pas dire OUI ! », soit uniquement des phrases-slogans destinées à être RT un bon paquet de fois et peut-être finir sur une trousse à crayons. C'est par ailleurs ce qu'a fait le projet cousin intitulé Colère nom féminin, qui vend des sacs à main, t-shirts et accessoires avec de nouveaux slogans carambar de type « Ta main sur mon cul : ma main dans ta gueule ».

Autre remarque : le harcèlement n'existe malheureusement pas que dans la rue. Les types qui en sont réduits à héler à coups de « hé grosse pute » sont objectivement les plus cramés sur Terre. Si l'on réfléchit deux secondes (n'essayez pas de le faire chez vous), on s'aperçoit que le harcèlement au travail est cent fois plus vicelard et d'autant plus dur à contrer. Outre les évidentes et parfaitement injustes inégalités de salaire dont apparemment plus personne n'a rien à foutre, devoir supporter les assauts du gros con qui est de surcroît votre boss est un calvaire de tous les instants.

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Mais le vrai truc gênant, dont peu de gens ont parlé puisqu'il est de fait assez tendu - à moins que tout le monde soit très con, ce que je ne crois pas - c'est la signification involontaire de ce combat. Ce que cherchent ces jeunes filles, c'est éradiquer le harcèlement de rue en dégageant tous les « relou » susceptibles de les faire chier à la sortie des bars de Paris. Et ces relou, qui sont-ils ? Des mecs malpolis et machos, OK, mais ça ne suffit pas, sinon ce serait trop large. Des mecs qui en plus traînent dans la rue, les transports en commun, ou n'importe quel espace public. Mais qui n'ont pas l'habitude ni les moyens d'accoster des filles à l'intérieur d'un établissement classe. Des galériens. Un esprit blagueur pourrait dire : des mecs de quartier et soyons fous, des Arabes et des Noirs. Sans s'en rendre compte, ces drôles de dames plaident pour une nouvelle forme d'exclusion citadine, projet au final assez communautariste, quoique basé sur un racisme de classe.

Parce que ça n'aura pour le coup échappé à personne : chaque fois que l'on demande à un ou une ami(e) du collectif de témoigner de sa propre interaction avec lesdits relou, ils ont tous la même riche idée : imiter un accent de banlieusard. OK, peut-être que ce sont les médias qui se sont concentrés sur ces interventions en particulier. En tout cas, ça n'a pas manqué d'attirer l'attention du site d'extrême droite identitaire Fdesouche, qui a immédiatement récupéré la chose. Après seulement quelques heures d'existence médiatique, les fafs faisaient déjà les yeux doux au collectif. L'asso a bien sûr condamné l'amalgame. Mais rien n'y a fait. Encore récemment, une chroniqueuse a de nouveau brossé un portrait finement observé du relou de base, lequel se distinguait par sa façon de parler et ses vêtements sans équivoque.

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Du coup ouais, vu de l'extérieur (de la banlieue par exemple, où j'habite) ce machin difforme ressemble surtout à un groupuscule de bobos nunuches dont l'objectif serait de virer les indésirables de leur Paris, et pas grand-chose de plus. Leur mot d'ordre pourrait être : « on aimerait bien rentrer de boîte tranquille, loin de la racaille. » Et si, sans le vouloir, ces progressistes avaient créé les revendications les plus bourges et réacs de 2014 ?

Lorsqu'on pousse la logique jusqu'au bout, ça tourne à l'absurde. Soit la définition du harcèlement de rue est rigoureuse et à ce moment là des lois existent déjà, parce qu'une agression demeure une agression - et qu'elle doit en conséquence être punie. Soit on prend l'extended version du « tout comportement verbal ou non-verbal non-sollicité doit être puni » et là, c'est tellement vaste que ça en devient flippant et dangereux, dans une vibe 1984. Tout type de drague, a fortiori en pleine rue, est fatalement non sollicité par la personne draguée. C'est toujours un peu dur de savoir qu'un relou est un relou avant qu'il ne devienne relou (ce qui est relou, en effet).

Tant qu'on y est, que penser des fous dangereux qui pensent encore qu'on peut demander son chemin / du feu / l'heure à n'importe qui dans la capitale : c'est aussi un rapport verbal non-sollicité. Barrez-vous de là, bande de pointeurs.

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Mais au-delà du côté répression maniaco-dépressive à tendance paranoïaque, ce qui m'amuse le plus dans ce mouvement, c'est la pauvreté absolue du combat. Là encore, il ne s'agit pas de dire que c'est cool de faire le forceur dans la rue. Simplement, on touche le fond avec ce genre de micro-associations qui prennent les problèmes par le petit bout de la lorgnette : s'attaquer à la plus minable des conséquences sans jamais viser la cause à la source. Ni même faire le lien avec le travail d'autres qui eux ou elles, le font très bien.

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Un crétin qui s'imagine que son « vas-y, monte » beuglé à 2h du mat va agir comme un philtre d'amour, c'est le dernier maillon d'un problème bien plus large, et dont les racines sont légèrement plus complexes que « c'est un relou ». Ce sont des questions difficiles. Le syndrome de ces filles est exactement le même que les gens qui s'emballent contre des morceaux de musique ou des films en pensant s'attaquer à un problème de fond. Je comprends que c'est dur d'être né(e) pendant ou après les années 1980 et de s'apercevoir que contrairement à ses parents, on n'a mené aucune lutte digne de ce nom - surtout niveau droit civique et droit des femmes. Mais ce n'est pas une raison suffisante pour monter des batailles contre tout et n'importe quoi. Surtout pour discriminer d'office d'autres groupes sociaux.

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Aussi, la question du buzz rentre en ligne de compte dans toutes les luttes d'aujourd'hui, et celle-ci n'échappe pas à la règle. Il suffit de voir la puissance médiatique dont cette question a bénéficié ces trois derniers mois. Le collectif a bénéficié du soutien de plusieurs blogs, d'articles dans la quasi-totalité de la presse féminine, entraîné la création d'assos cousines de gens tout aussi désœuvrés, et reçu un bon relais de la part d'émissions télé. Tous en ont fait des caisses pour ne pas que l'on remarque que le débat servait avant tout de bouche-trou idéal en période creuse niveau « sujet de société ». Enfin, personne n'a jugé bon de les confronter à d'autres féministes - ça aurait pu donner un match encore plus déséquilibré que le dernier Allemagne-Brésil.

Et une nouvelle fois, je n'ai toujours rien vu de concret dans tout ça. SHDR réunit moins de 10 000 abonnés Facebook. De même, leur dernière opération Zone De Meufs a rassemblé si peu de gens qu'il serait mesquin d'en parler.

À l'aube des années 2000, le collectif Ni putes ni soumises avait déjà engendré un déferlement d'articles - positifs comme indignés - dans la presse nationale. Avec le recul, on peut dire que leur discours et motivations étaient analogues à celles de SHDR. À l'époque, bon nombre de commentateurs s'en étaient d'ailleurs servi pour déclarer en substance : « c'est vrai que dans les quartiers, on compte quand même pas mal de singes qui violent des femmes à plusieurs. » Happy end : les têtes de proue du mouvement avaient fini par gratter quelques places au Parti socialiste - ou dans le gouvernement Sarkozy pour les moins douées.

Compte tenu de leur placement idéologique involontairement encore plus à droite que Ni putes ni soumises, il y a fort à parier que nos super nanas de la rue de Lappe sauront faire parler d'elles quelques années encore. En revanche, va falloir qu'elles progressent un peu niveau entertainment ; les blogs d'écoliers et la distribution de tracts, ça va deux minutes.