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reportage

Les nouveaux ghettos roms de Slovaquie

Parfois, les planètes semblent parfaitement s’aligner pour, les siècles aidant, aboutir aux pires violences raciales jamais imaginées.

Des enfants jouent sur un mur en ruines dans le camp de Roms de Vel’ká Ida, dans l’est de la Slovaquie. Une énorme usine de la US Steel est visible en arrière-plan.

Parfois, les planètes semblent parfaitement s’aligner pour, les siècles aidant, aboutir aux pires violences raciales jamais imaginées. Le 10 mars 2012, les habitants du petit village de Krásnohorské Podhradie, dans les montagnes de l’est de la Slovaquie, alors qu’ils levaient les yeux en direction du haut de la colline au centre de la ville, ont vu leur cher château du XIVe siècle, Krásna Hôrka, se faire dévorer par les flammes. Le temps que les pompiers arrivent, le toit s’était effondré et trois cloches avaient fondu dans la tour.

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Le lendemain, un porte-parole de la police a annoncé que le feu avait été causé par deux garçons roms, âgés de 11 et 12 ans, qui vivaient dans le ghetto aux abords du village. Alors au bas de la colline, ils auraient essayé d’allumer une cigarette lorsqu’une rafale de vent inhabituellement forte aurait emporté plusieurs cendres encore fumantes jusqu’à son sommet. De gros tronçons de bois, éparpillés ça et là dans la cour du château, auraient alors pris feu. Coupables ou non, les accusés et leurs familles avaient l’air terrifiés. Selon le Centre Européen des Droits des Roms (CEDR), la communauté gitane a été victime de plusieurs dizaines d’attaques en Slovaquie ces deux dernières années. Par crainte de représailles, la communauté a rapidement envoyé les deux garçons chez des membres de la famille, dans une autre ville du pays. Les hommes, eux, se sont préparés à se défendre toute la nuit. Au final, les garçons, mineurs, n’ont été inculpés d’aucune infraction ; cependant, le mal était fait : l’image de deux gamins gitans en train de foutre le feu à l’un des plus grands symboles de l’héritage national slovaque n’a fait que renforcer la haine qu’éprouvent de nombreux Slovaques de souche envers les citoyens les plus pauvres de leur pays. Pour l’extrême droit slovaque, l’incendie du château de Krásna Hôrka est du même ordre que les flammes déchirant le Reichstag en 1933. La symbolique de cet incident justifiait des mesures répressives particulières.

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À la mi-mars, j’ai pris l’avion pour la Slovaquie puis la voiture jusqu’à Krásnohorské Podhradie afin d’assister à un rassemblement célébrant le premier anniversaire de l’incendie de Krásna Hôrka. Marian Kotleba, un ancien professeur, est le chef du parti d’extrême droite, le Parti Populaire – Notre Slovaquie, nommé ainsi en l’honneur du régime clérical et fasciste qui a dirigé la Tchécoslovaquie entre la Première et la Seconde Guerre mondiale. Ses aspirations électorales reposaient sur l’incident de Krásna Hôrka et sa croisade contre la « criminalité gitane ». À mon arrivée, je suis entré dans une cour située à côté des bureaux municipaux. Une foule de 150 personnes, composée de skinheads, de villageois et de quelques 12 officiers en costume vert, écoutaient le discours de leur chef. Mon interprète m’a conseillé de nous garer loin de la foule afin que ceux-ci ne remarquent pas la plaque d’immatriculation hongroise de notre voiture de location. « S’il y a une chose que les néonazis détestent plus que les Roms, ce sont les Hongrois », m’a-t-il expliqué, à moitié sur le ton de la blague, en référence au ressentiment slovaque envers son ancien voisin impérial.

Un garçon rom avec une entaille infectée, qui jouait autour d’un feu de déchets dans un champ couvert d’excréments, dans le camp rom situé en bordure du village de Huncovce, Slovaquie.

Petit, moustachu et affublé d’un treillis noir, Marian Kotleba se tenait devant son Hummer bleu zébré, entouré de deux skins qui agitaient d’énormes drapeaux du parti. « Nous n’aimons pas la manière dont le gouvernement prive les honnêtes gens dans le but d’améliorer la situation des parasites », a-t-il déclaré d’une voix sévère. On pouvait apercevoir une énorme grue jaune réparer le toit du château en haut de la colline. « Ce château incendié est le symbole de ce qui se passera si le gouvernement ne fait rien contre cette menace croissante, a continué Marian. Si on ne fait rien, la situation continuera de se dégrader… Si l’État cessait de mettre à disposition de ces Gitans extrémistes des conditions de vie confortables, que se passerait-il, selon vous ? Ils iraient tous en Angleterre. Ils peuvent aller où ils veulent ; ils ont la liberté de circuler. S’ils souffrent tellement en Slovaquie, personne ne les empêche de partir. Ils ne manqueront à personne. Je n’ai pas besoin de préciser qu’à moi, ils ne me manqueront pas du tout. »

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La foule a applaudi avec enthousiasme. Au cours des prochaines 20 minutes, Marian a sévèrement critiqué l’Union Européenne et a prôné à la place les droits des « honnêtes gens », c’est-à-dire, des Slovaques de souche. Le rassemblement a pris fin lorsque Marian a exhorté les villageois à « ouvrir les yeux et à faire quelque chose ».

Après le discours, j’ai discuté avec plusieurs skinheads. L’un d’eux, Marek, pense que les Roms devraient vivre dans des réserves, « comme ceux que vous avez pour les Indiens d’Amérique ». Un adolescent en tenue camo grise – disposant d’un badge sur lequel on pouvait lire « les flics sont des tous des connards » – a eu le temps de lancer « les Gitans devraient être gazés », avant d’être tiré à l’écart par ses aînés.

Plus tard, vers 21 heures, lors de ce que je considère comme étant l’apogée des événements de la journée, Marian s’est dirigé en Hummer à l’intérieur du camp Rom, situé aux abords du village, afin de les menacer. En prétextant une parcelle de terrain offerte par un sympathisant local en guise de moyen de pression, il a tenté d’expulser les Roms et de détruire leurs maisons. Les habitants ont rétorqué en jetant des pierres et en attaquant son Hummer à coups de marteau. Dans un communiqué publié à la suite de l’incident, Marian a écrit : « Nous n’avions que deux options. Faire face à la situation de manière radicale comme l’a fait Milan Juhász [un policier slovaque qui a tué et blessé cinq Roms l’été dernier en dehors de ses heures de service, affirmant qu’il devait « rétablir l’ordre »]. Nous avions quatre pistolets à billes munis de 250 munitions, mais nous avons toutefois décidé de laisser la police s’en charger. »

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Marian Kotleba, dirigeant du Parti populaire (extrême droite), lors de son rassemblement contre la « criminalité gitane » à Krásnohorské Podhradie, Slovaquie, pour le premier anniversaire de l’incendie du château de Krásna Hôrka.

Alors que la crise de la zone euro empire et que la Slovaquie envisage des mesures d’austérité, les responsables politiques, les gauches et les droites modérées et la plupart des Slovaques moyens se sont tous mis d’accord, peut-être sans le vouloir, afin d’utiliser la minorité la plus précaire du pays comme bouc émissaire. Selon des estimations récentes, quelque 440 000 Roms vivraient en Slovaquie, soit environ 8% de la population. Il s’agit d’une des concentrations de Roms les plus fortes d’Europe. D’après les évaluations et les rapports fournis par le Centre Européen des Droits des Roms (CEDR), des violences racistes, des expulsions, des menaces et d’autres formes plus subtiles de discrimination ont significativement augmenté ces deux dernières années en Slovaquie. Le CEDR considère que la situation des Roms dans le pays est l’une des plus préoccupantes d’Europe. Depuis 2011, onze municipalités slovaques ont érigé des murs entre les habitants de ghettos roms et leurs voisins blancs. Au nouvel an 2012, le maire de la petite ville de Zlaté Moravce, qui, selon les rumeurs, était ivre, a donné un discours à plus de 1000 habitants sur la place principale. Il a appelé les membres de la « race blanche » à combattre les « parasites sans emploi ». Des meutes de skinheads se sont alors mises à chasser des adolescents roms hors des bars de la ville.

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Le problème ne vient pas uniquement des néonazis, mais aussi des préjugés profondément enracinés dans la population slovaque. En décembre, le corps décapité d’un adulte rom a été retrouvé dans les égouts d’un village. Le boucher du village est à l’origine du crime. En avril dernier à Chotebuz, village de l’est de la Slovaquie, un homme tchèque a tué d’un coup d’arbalète un Rom qui cherchait de la ferraille. Le tueur aurait crié : « Putains de nègres ! Je vais vous buter ! ». En 2012, le Slovak Spectator, un journal slovaque anglophone, a fait état d’au moins quatre cas de violence à caractère raciste perpétrés par des néonazis, dont l’un d’eux sur un joueur de basket américain évoluant dans une équipe slovaque.

Les Roms constituent un groupe ethnique hétérogène. Certains historiens pensent qu’ils ont migré d’Inde vers ce qui est aujourd’hui l’Irak aux alentours du IXe siècle, et auraient ensuite atteint les Balkans et l’Europe de l’est au XIVe siècle. Ils ont toujours été persécutés. Selon le livre d’Isabel Fonseca, Bury Me Standing, les lois entrées en vigueur dans l’Europe du XVe siècle permettaient d’exécuter un Rom sans se soucier d’être poursuivi en justice. Dans la Valachie et la Moldavie du Moyen Âge, les Roms étaient traités comme des esclaves, et pouvaient être échangés contre des cochons. Jusqu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, les aristocrates organisaient des « battues » et mettaient le feu à des forêts pour en faire sortir les Roms et les tuer. Aujourd’hui, on compte environ 13 millions de Roms dans le monde ; la grande majorité vit toujours en Europe.

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Des enfants roms dans le camp près du village de Vel’ká Ida, Slovaquie. Le camp n’a accès à l’eau potable que deux heures par jour.

Après l’effondrement du communisme et son détachement de la République Tchèque en 1993, la Slovaquie démocratique a donné aux citoyens Roms, en tant que « minorité visible », des droits. Mais ceux-ci ont provoqué une marginalisation quasi-généralisée des Roms vis-à-vis de la majorité blanche, slovaque ou hongroise. Dans un discours prononcé en février dernier, le premier ministre slovaque, Robert Fico, a accusé à ce propos les Roms de chantage envers l’État. « Notre État n’est pas devenu indépendant pour satisfaire les minorités, bien que nous les respections, mais plutôt pour le bien de la nation slovaque », a-t-il déclaré, évoquant ensuite la « tentation bizarre de privilégier les minorités ». La constellation politique de l’ancien bloc de l’Est est tellement pétée que Robert Fico, de fait homme politique pragmatique et social-démocrate, est également connu pour se moquer des observateurs des droits de l’homme et pour régulièrement employer une rhétorique nationaliste.

En 2005, l’UE, la Commission européenne et la Banque mondiale ont entrepris l’initiative de ramener les Roms sur le devant de la scène. La Slovaquie et onze autres pays faisaient partie de ce projet. Le Fonds Social Européen a débloqué près de 800 millions d’euros afin d’aider les Roms de Slovaquie à être représentés dans les secteurs de l’emploi, de l’éducation et à être mieux intégrés socialement. Les résultats de ces dépenses sont peu visibles aujourd’hui. Les Nations unies en a brossé un tableau plutôt sombre : seuls 18% de ces investissements auraient réellement atteint les communautés roms de Slovaquie. Lors de mes entretiens avec les Roms que j’ai rencontrés, ces derniers me laissaient entendre que les municipalités blanches finançaient, avec les fonds destinés aux communautés roms, des projets de développement tout autres.

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De l’autre côté, certains Slovaques blancs persistent à dire que les architectes de l’UE injectent de l’argent en Slovaquie pour transformer le pays en ghetto géant, empêchant ainsi les Roms de migrer vers la Grande-Bretagne ou la France. Cet avis n’est pas si invraisemblable que cela. Une source ayant assisté à des réunions de haute importance à la Commission européenne et à la Banque mondiale (et qui souhaite rester anonyme) m’a expliqué qu’elle avait l’impression que la raison sous-jacente des pressions sur les programmes sociaux était de réduire l’immigration rom de l’Europe de l’est en direction de l’ouest. La Commission européenne aurait également menacé d’annuler le programme de libéralisation de visas des Balkans (qui autorise les résidents des Balkans à se déplacer librement entre leurs frontières et celles de l’UE), s’ils ne faisaient rien pour stabiliser leur population rom. En gros, l’Europe de l’Ouest ne veut pas des Roms et la Slovaquie non plus.

Des garçons sur une colline, près du mur séparant le camp rom de ses voisins non-roms, à Ostrovany, Slovaquie : Ferko, 12 ans, Lukas, 9 ans, Lubomir Kaleja, 12 ans et David Kotler, 12 ans.

Quelques jours avant le rassemblement néonazi, je suis parti visiter un ghetto rom à Košice, une ville industrielle sinistre de l’est de la Slovaquie. Celle-ci n’a que peu changé depuis la chute du communisme. Sur les routes de campagne perdues au milieu de nulle part, j’ai croisé des arbres sans feuille, d’immenses champs boueux, des monuments datant de la Seconde Guerre mondiale et plusieurs gigantesques croix gothiques. Plus tôt cette année, l’UE avait donné à Košice, avec Marseille, le titre de « Capitale européenne de la culture 2013 ». Ce choix est étrange. Les rues pavées de la vieille ville historique se vident chaque jour autour de 22h. Je me souviens avoir eu l’impression que la Stasi nous surveillait. Le choix de Košice tombe à point nommé pour raviver l’enthousiasme envers l’UE, dans un pays où 33% des moins de 30 ans sont au chômage.

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Environ 14 camps de Roms officieux sont éparpillés autour de Košice, en plus d’énormes logements sociaux tels que Luník IX, un quartier qui abrite 2000 Roms et qui ressemble à une exposition vivante sur l’extrême pauvreté. Fin février, plusieurs centaines de militants slovaques blancs, non-affiliés aux néonazis, ont manifesté dans les rues de Košice. Les organisateurs avaient déclaré aux médias que « la criminalité gitane [avait] détruit beaucoup de vies ».

En banlieue de Košice, des usines sidérurgiques, des tours et des cheminées crachant une fumée épaisse et noire couvraient l’horizon. Nous sommes arrivés au village périphérique de Vel’ká Ida. En août, le maire du village, issu de la droite modérée, a fait ériger un mur en béton de deux mètres devant le camp de Roms (soi-disant pour empêcher les enfants roms de se faire faucher par les voitures). Au même moment, le maire réduisait l’accès à l’eau potable pour la communauté – soit à environ 800 personnes – à seulement deux heures par jour. Il a prétexté un usage abusif de leur part. À Vel’ká Ida, j’ai rencontré Carlo, le chef de file du camp rom. Derrière les murs qui séparaient la communauté de la route, des maisons s’étaient effondrées sur elles-mêmes, des chiens reniflaient d’énormes conteneurs à ordures, et la fumée des usines alentour s’était immiscée partout dans le camp. La femme de Carlo, qui devait avoir dans les 50 ans, nous a menés à travers la foule jusqu’à leur cabane.

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Carlo, petit et robuste, également la cinquantaine, nous parlait depuis son lit, situé dans la cuisine. Sur les 800 Roms vivant dans le camp, il faisait partie des rares qui étaient parvenus à trouver un emploi. Il montrait fièrement à qui le voulait son badge de la US Steel (un producteur d’acier américain), où il gagnait 350 euros par mois en échange de douloureux travaux manuels. « La Slovaquie est le pire pays pour les Roms. Tout le monde est raciste au gouvernement », m’a-t-il expliqué. Lorsque je l’ai interrogé à propos du nouveau mur, il a haussé les épaules. « Je sais que c’est de la ségrégation. Mais nous avons de plus gros problèmes en ce moment : l’eau et le chômage ».

Un Rom d’une vingtaine d’années qui restait prostré dans la cuisine, a soudain pris la parole : « Si le maire a fait construire le mur pour protéger les enfants, pourquoi l’a-t-il fait si haut ? m’a-t-il demandé. C’est pour nous rendre invisibles. » Carlo a secoué la tête et m’a dit que plusieurs Slovaques de souche du coin, ivres, venaient régulièrement dans le camp, la nuit, pour les harceler et tirer en l’air avec leurs flingues. « Regardez, nous respirons la pauvreté, a dit Carlo. Les gens d’extrême droite et leurs discours anti-Roms, que veulent-ils encore de nous ? Que veulent-ils nous prendre ? Nous n’avons rien. »

À l’époque communiste, les Roms n’avaient aucun droits officiel (le concept de droits aux minorités allait à l’encontre de l’unité intransigeante requise pour maintenir en place le système soviétique). À cette époque pourtant, logement et emploi étaient garantis dans les centres-villes ; l’intégration était la règle et la discrimination pouvait être punie. Les autorités ont relocalisé les Roms à travers la Tchécoslovaquie, dans le but de transformer le groupe ethnique en une sorte de main-d’œuvre industrielle malléable selon le gré de l’État.

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Ces vingt dernières années, par l’intermédiaire d’un processus qui peut s’apparenter à de la gentrification inversée, les Roms ont été poussés en dehors des villes slovaques dans des camps isolés en périphérie des villes et dans les villages. Le nombre de camps et de ghettos roms en Slovaquie est passé de 278 en 1988 à 620 en 2000. Selon des rapports récents des Nations Unies, le taux de Roms sans emploi tourne aujourd’hui autour de 70%, contre 33% pour les non-Roms. Presque tous les Roms que j’ai interviewés étaient sans emploi. Beaucoup de Slovaques blancs avec lesquels j’ai parlé avaient tendance à penser que les Roms n’avaient pas envie de travailler, bien que les organisations des droits de l’homme accusent plutôt la discrimination et les préjugés quasi-généraux de la part des Slovaques de souche.

Le maire de Vel’ká Ida, Július Beluscsák, dans son bureau. 

Deux jours après mon entretien avec Carlo, j’ai discuté avec le maire de Vel’ká Ida, Július Beluscsák, dans son bureau situé au premier étage d’un château du XVIIe siècle, en face d’un camp rom. J’ai été frappé par sa vanité. Sa poignée de main était molle et ses bottes en peau de serpent. J’étais gêné d’être entré dans son bureau parfaitement propre avec mes chaussures couvertes de la boue du camp de Roms. Le maire, un ancien médecin et candidat de la coalition entre les partis de centre-droit et de centre-gauche, s’est mis à débiter ses statistiques : sa ville comptait 1 300 Roms, dont 75 sans emploi, « et quelque 200 chiens errants ». 90 % des Roms, selon lui, ne connaissaient pas les règles d'hygiène de base. Interrogé sur la création d’un service dédié à ce genre de problèmes sociaux, il a soupiré et répondu : « Je suis envieux de ces maires qui n’ont pas de Roms dans leur municipalité. Le camp rom de Vel’ká Ida est l’un des pires de Slovaquie. Les femmes commencent à avoir des enfants à l’âge de 13 ans. Il y a aussi cette femme de 33 ans qui a 11 gamins. Ils ont des enfants pour profiter des aides sociales. Ils n’ont ni obligation, ni devoir. Ils ne font pas vacciner leurs enfants. »

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Une partie des préjugés envers les Roms repose sur le concept d’hygiène. Aussi, l’unique mot slovaque permettant de définir le peuple gitan, « Cigáni », se traduit grossièrement par « sale gitan ».

En 2011, des Slovaques de souche ont lancé un mouvement appelé « Zobudme sa » (« Réveillons-nous »). Ils ont réuni les signatures de maires d’environ 400 villes et villages dans le but de coordonner les démolitions de plusieurs bidonvilles et de centaines de camps roms. Les signataires tentent d’utiliser la législation environnementale afin de reclasser les camps en décharges, et ainsi en expulser les habitants. Sauf que les maires à l’origine du mouvement « Réveillons-nous » ne proposent pas de solutions pour l’intégration des Roms dans les communautés blanches. Ils souhaitent simplement ne plus les voir. En octobre, le maire de Košice a expulsé 156 personnes d’un camp, avant de leur acheter un aller simple en bus hors de la ville. Le maire du village où ils ont atterri, également signataire de Réveillons-Nous, leur a immédiatement acheté leur retour en bus pour Košice. Selon un récent rapport d’observation du Centre Européen des Droits des Roms, la plupart ont depuis investi les forêts alentour.

En aggravant les difficultés d’accès des Roms à l’emploi, aux vaccins et aux logements décents, à force de les traiter comme des indésirables, les municipalités n’ont-elles pas contribué aux conditions de vie dont on accuse les Roms aujourd’hui ? Les explications du maire, tout comme l’idéologie de Réveillons-Nous, ont constitué un cercle vicieux : selon lui, les Roms sont sales parce qu’ils sont pauvres ; et s’ils sont pauvres, c’est parce qu’ils sont sales. Leur logique semble être : « faisons simplement en sorte qu’ils se cassent. » L’Histoire a déjà montré où menait ce genre de discours.

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Lorsque j’ai demandé au maire comment il comptait améliorer la situation des Roms dans la ville, il a répondu : « Il faut s’en occuper de manière dictatoriale. » J’ai voulu savoir ce qu’il entendait : « Dictatorial comme sous l’ère communiste. À cette époque, travailler était obligatoire. Si les enfants n’allaient pas à l’école, la police venait tabasser les parents », s’est-il justifié.

Le maire s’est soudainement dirigé vers un meuble pour en sortir des sacs remplis de cadeaux du village ainsi qu’une bannière de football. Les sacs contenaient une serviette et un badge, tous deux ornés des armoiries de Vel’ká Ida : la tourelle d’un château gardé par deux lanciers. « Vel’ká Ida est très célèbre, s’est-il réjoui. En fait, il y avait un château gitan ici, au XVe siècle. Quand les Tchèques ont attaqué, les lanciers gitans nous ont aidés à nous défendre.

– Ce château a vraiment existé ? Les Roms ont aidé à le défendre ?, j’ai demandé, complètement perdu.

– Non, a répondu le maire en se grattant le menton. Ce n’est qu’un mythe. »

Le mur et son portail en fer séparant un complexe de logements sociaux roms du reste de la ville, en banlieue de Prešov, Slovaquie. Des habitants roms ont récemment brisé le cadenas du portail.

Dans les nouvelles lois slovaques et dans les remarques des responsables politiques, un mot surgit un peu trop souvent : inadaptable. Il y aurait deux types de gitans pour les Slovaques : ceux qui réussissent à s’intégrer dans la société blanche et ceux qui choisissent de vivre dans des camps insalubres et isolés.

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En 2001, le Premier ministre Robert Fico a déclaré : « Une grande majorité des Roms veulent juste rester au lit et profiter des aides sociales et des allocations familiales. Ces gens ont découvert qu’avec les allocations familiales, il était rentable d’avoir des enfants. » Un discours qu’on entend souvent en France à propos des minorités ethniques, dans la bouche de gens « qui ne sont pas racistes mais ». Sauf qu’en Slovaquie, ce reproche fait aux Roms prend des dimensions effrayantes. Pas plus loin qu’en 2004, les hôpitaux slovaques ont stérilisé des femmes roms par la force. L’affaire avait provoqué un scandale, forçant le gouvernement à inclure le consentement éclairé du patient dans les lois sur les services médicaux. Des témoignages compilés par le Centre pour les droits civils et les droits de l’homme en 2003 ont fait état d’une montagne d’abus perpétrés par des docteurs slovaques dans les hôpitaux. Les témoignages constituent une collection d’horreurs : la tentative de viol sur une femme rom par un conducteur d’ambulance alors qu’elle s’apprêtait à accoucher, des femmes violées par leurs gynécologues, des femmes qui affirment n’avoir eu aucun antidouleur pendant l’accouchement et un témoignage, particulièrement effrayant, d’une femme contrainte d’accoucher sur le sol d’un hôpital pendant que le docteur lui hurlait : « Tu es un animal alors tu accouches comme un animal ! »

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Dans mes interviews avec des Slovaques blancs, beaucoup semblaient considérer les Roms comme des assistés, profitant des allocations et des aides gouvernementales. En avril dernier, Peter Pollak est devenu le premier Rom élu au parlement slovaque. En tant que seul et unique représentant élu des communautés roms, il est aussi en charge de conseiller le gouvernement sur la question. Alors que quelques lueurs d’espoir s’allument – une loi anti-discrimination a pris effet ce mois-ci, par exemple –, l’enthousiasme pour Pollak s’est quelque peu atténué. Certains ont l’impression que le Premier ministre et le ministre de l’intérieur ne font que l’instrumentaliser pour faire passer une série de réformes paternalistes qu’ils appellent le « Bon Chemin », faites pour les enfants de « citoyens socialement inadaptables ». Les lois, dont beaucoup doivent encore être mises en œuvre, font en sorte que les casiers judiciaires et la scolarisation des enfants jouent sur les allocations que les familles roms reçoivent. Plus tôt dans l’année, Robert Fico a pour sa part déclaré que la meilleure solution pour les Roms était de séparer les enfants de leur famille et de les placer dans des pensionnats. « On devrait montrer à ces enfants qu’une autre vie est possible », a-t-il indiqué.

Milan Dano, 52 ans, le chef officieux d’un complexe de logements sociaux rom appelé le « Vieux Four à Briques » et qui accueille 2000 personnes. Milan a perdu son emploi pour avoir critiqué le mur.

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À une heure au nord de Košice, en banlieue de Prešov, nous avons visité un autre ghetto rom, le Vieux Four à Briques, un énorme complexe de logements sociaux calé en bordure de l’autoroute. Bâtie treize ans plus tôt à l’aide de fonds de l’UE, cette structure à moitié en ruines abrite 2 000 Roms et ressemble à une sorte de fantasme de Robert Mose. En 2010, la municipalité a érigé un mur avec un portail en fer sur la colline derrière le complexe, coupant ainsi l’accès le plus rapide et sécurisé à la ville. Des clés ont été distribuées aux voisins non-Roms pour qu’ils puissent accéder à leurs parcelles de jardin, mais pas aux Roms. Au lieu de marcher 15 minutes jusqu’à leur école, les enfants roms en marchent désormais 45. Et, évidemment, la municipalité ne fournit pas de transport scolaire.

Les écoles slovaques séparent encore les Roms et les Blancs dans des classes différentes. Des handicaps ont été diagnostiqués à beaucoup d’enfants roms, qui, selon des rapports du CEDR, occupent près de 60 % des places dans les établissements d’enseignement spécialisé. Bien qu’un tribunal slovaque ait décrété la fin de la ségrégation ouverte, décision applaudie par les organismes de surveillance des droits de l’homme, une ségrégation persiste de facto, tout comme après l’affaire Brown v. Board of Education aux États-Unis. Le seul changement visible, selon certains parents roms, est que des élèves roms et blancs mangent désormais ensemble à midi. Des ONG roms et des médias ont indiqué que des Slovaques blancs déménageaient des villages vers la ville pour que leurs enfants n’aient pas à aller à l’école avec des enfants roms, créant ainsi une sorte d’« exode blanc » inversé.

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Au Vieux Four à Briques, on nous a invités chez le chef officieux du complexe, Milan Dano. Milan, la cinquantaine, trapu et couvert de tatouages du cou jusqu’aux mains, travaillait comme coordinateur communautaire pour une ONG rom jusqu’à son licenciement, en novembre. Sur les 2 000 résidents du Vieux Four à Briques, il faisait partie des rares qui avaient réussi à trouver un emploi. Milan m’a expliqué que son licenciement était lié à une déclaration qu’il avait faite à un journaliste durant l’été : « D’abord ils ont détruit le mur de Berlin, ensuite ils ont construit le mur de Rom ! » Il a également signé une pétition contre la séparation. « J’ai entendu dire que le maire ne voulait plus me voir », s’est-il plaint sur un ton morne.

Dans les années 1990, la majorité des Roms de Prešov vivait entre deux rues du centre-ville. Leurs habitations ont été déclarées insalubres, ils se sont fait expulser, et le Vieux Four à Briques leur a été proposé en tant qu’alternative. « Pendant qu’ils construisaient cet endroit, ils nous disaient qu’il s’agissait de baraquements militaires, pour qu’on ne craigne pas une relocalisation. »

Milan et les autres habitants du Vieux Four à Briques paient un loyer et ont un bail. Mais pourquoi ne pouvaient-ils pas trouver d’autres logements après leur expulsion du centre-ville ? Mon interprète et Milan ont tous deux secoué la tête lugubrement, me faisant comprendre que je ne comprenais rien.

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« Im possible. Les non-Roms de la ville n’accepteraient jamais de nous louer quoi que ce soit. »

Mais ça ne collait pas. Comment 2 000 Roms sans emploi pouvaient-ils payer un loyer de 300 euros par mois chacun ? « Certains paient leur loyer avec les allocations familiales, d’autres utilisent les aides sociales ou travaillent au noir. On emprunte de l’argent, aussi », a expliqué Milan. Il m’a décrit quelques-uns des « plans sociaux », ces programmes de relance du travail financés par l’UE et les municipalités slovaques. Mais ces petits boulots, balayer les rues, nettoyer les gouttières et déblayer la neige, n’étaient assignés qu’à 15 ou 20 personnes et n’étaient parfois même pas rémunérés.

Zlata, la femme de Milan, non-Rom mais également sans emploi, m’a dit que « tout le public non-Rom pense que nous ne voulons pas travailler. Le truc, c’est qu’être rom empêche de trouver un boulot. Si moi, je ne peux pas trouver de boulot, comment peut-il en trouver un avec toute cette discrimination ? » Milan et Zlata pensent que les plans sociaux servent davantage à fournir un minimum d’activité à une communauté rom qui n’aurait pas envie de travailler – plutôt que d’essayer de fournir des emplois durables.

Cet élevage de porcs industriel a été construit à l’emplacement d’un camp de concentration rom datant de la seconde guerre mondiale, en bordure du village de Lety, République tchèque. 326 personnes sont mortes dans le camp et plus de 500 ont été déportées à Auschwitz.

La Tchécoslovaquie a été le premier pays de l’Europe du XXe siècle à engager des « solutions » pour les Roms. La loi de 1927 sur la Migration des gitans exigeait que tous les gitans soient enregistrés, déclarés et classés par les autorités. L’Autriche et la République de Weimar allemande ont suivi l’exemple avec l’Office central pour la lutte contre les gitans. Les bains publics leur étaient interdits d’accès, ils devaient toujours avoir sur eux une pièce d’identité et leurs droits civils se sont vus réduits comme peau de chagrin. Les discriminations se sont intensifiées avec les lois de Nuremberg de l’Allemagne nazie, la loi sur la citoyenneté du Reich, ainsi qu’une version gitane de la Nuit de Cristal, appelée « Semaine de Nettoyage des Gitans ». La « solution finale de la question gitane » a été mentionnée pour la première fois par Himmler en 1938.

La plupart des historiens estiment qu’entre 500 000 et 1,5 millions de Roms ont été tués par les nazis. Malgré cela, les Roms ont été largement exclus du travail de mémoire. Ils n’ont pas été invités au procès de Nuremberg et n’ont reçu aucunes réparations.

Contrairement aux juifs, on pensait que les Roms avaient été assassinés par les nazis et d’autres pays de l’Axe non pas pour des motivations raciales, mais à cause de leur comportement asocial et criminel. Les raisons qu’on invoque encore aujourd’hui pour justifier les persécutions et les discriminations dont ils sont victimes. Les crimes de masse commis contre les Roms n’ont même pas eu de vrai nom jusqu’aux années 1990, quand cet épisode a été baptisé « Porajmos », qui signifie littéralement « dévorer ».

Dès 1939, les hommes gitans pouvaient être envoyés dans des camps de travail disciplinaires dans le Protectorat tchèque. En 1942, le commandant SS, Horst Böhme, a donné l’ordre de « lutter contre la peste gitane » à Prague. Au moins 1 039 Roms ont vu leurs maisons confisquées et ont été déportés à Lety, un ancien camp disciplinaire à une heure de Prague, géré non pas par des SS, mais par des Tchèques. De nos jours, un élevage de cochons industriel a pris la place de l’ancien camp.

Par une soirée froide dans un pub situé près du centre de Prague, j’ai rencontré Markus Pape, un journaliste d’investigation et auteur du livre Nobody Will Believe You: A Document of the Lety Concentration Camp (« Personne ne vous croira : Un reportage sur le camp de concentration de Lety »). « Le titre, m’a-t-il expliqué, vient de ce qu’on disait aux survivants roms de Lety qui voulaient raconter leur histoire. On leur disait : “Personne ne vous croira, jamais.” » Markus, un émigré allemand en République tchèque qui fume comme un pompier, a l’air troublé et débraillé que les journalistes d’investigation quinquagénaires arborent souvent.

Le livre de Markus s’est fondé sur des archives et des témoignages directs de survivants roms. Lorsqu’on parle de l’ère nazie, on traite les gens comme des statistiques, tout comme les nazis réduisaient les humains à des chiffres. C’est regrettable. À l’échelle européenne du plan d’extermination, le camp de Lety était relativement petit. À Lety, 326 personnes sont mortes – dont 241 enfants. L’importance accordée à Lety par les historiens tchèques était assez faible, comme l’était celle accordée aux camps d’internement japonais de la seconde guerre mondiale aux États-Unis. Selon ces mêmes historiens, les enfants morts à Lety le sont d’une malheureuse épidémie de typhus.

Le livre de Markus était le premier à évoquer l’hypothèse d’un crime contre l’humanité. Au cours de ses recherches, il a découvert que des morts étaient survenues avant l’épidémie de typhus de 1943. Il a soutenu que le camp de Lety devait être reclassé en tant que camp de concentration, déclenchant des cris de protestation chez le gouvernement et les historiens tchèques. Le fait que Markus soit allemand ne l’a pas aidé non plus. « La vision des Tchèques c’était : “Ce n’est pas bien”, a-t-il soupiré. Ça ne collait pas avec le fait qu’ils se posent en victimes de la seconde guerre mondiale. Leur perception d’eux-mêmes, c’était : “Nous allions parfois un peu loin, mais nous n’étions pas comme l’Allemagne ou toute autre nation impériale.” » Même si Lety était « juste » un camp d’internement, plus de 500 Roms qui y étaient captifs ont été transportés jusqu’aux chambres à gaz d’Auschwitz.

Quelqu’un a écrit « Gazons les Gitans ! » dans le livre d’or du centre d’information sur le camp de concentration de Lety.

Le camp de Lety a été démoli après l’épidémie de typhus. Aucun des responsables tchèques n’a été reconnu coupable d’un crime quelconque. Le camp était resté oublié jusqu’au début des années 1990, lorsqu’un businessman et généalogiste amateur, Paul Polansky, le redécouvre dans les archives tchèques et en informe le Congrès US. En réponse, Václav Havel, le premier président de la République tchèque démocratique, a fait ériger en 1995 un petit monument près de l’élevage de porcs, mais en omettant de consulter la communauté rom. « Imaginez si on construisait un monument commémorant l’Holocauste sans consulter les juifs », m’a lancé Markus. Le Premier ministre tchèque actuel a visité le monument l’été dernier mais a insisté sur l’impossibilité d’expulser les propriétaires de l’élevage de porcs.

Markus travaille désormais à temps partiel en tant qu’observateur des droits de l’homme. Il m’a indiqué que la veille, il avait regardé le film américain Mississippi Burning. « J’ai été choqué par le nombre de similarités entre ce qui se passe dans le film et ce qui se passe ici, avec les Roms », a-t-il dit. En 2009, il a enquêté sur l’attaque d’un immeuble rom par des néonazis, lors de laquelle une jeune fille a été brûlée et handicapée de manière permanente. « Lorsque je parle des Roms à mes amis tchèques, ils pensent qu’il s’agit d’un problème sans solution. Peut-être que c’est comme Israël et la Palestine. Pour Israël, il n’y a aucune solution. »

Le lendemain matin, Markus et moi sommes allés à Lety. C’est un endroit lugubre et vide. Nous sommes d’abord passés par le village, puis par une colline jusqu’à l’emplacement de l’ancien camp. « Ils ont construit le camp de l’autre côté de la colline pour que personne ne puisse voir ce qui s’y passait », a-t-il expliqué. Nous avons ensuite pris une route à deux voies, qui s’est rapidement transformée en chemin boueux. Par cet après-midi grisâtre, l’élevage de porcs, avec ses barbelés rouillés, ses rangées de baraquements gris et sa fumée nauséabonde qui s’élevait des cheminées, ressemblait à une photo de camp de concentration tirée d’un manuel scolaire. En haut de la colline, dans le froid, nous avons examiné une plaque commémorative qui marquait l’emplacement de l’ancien camp. « Des survivants ont dit qu’ils avaient été torturés ici, a dit Markus. Un survivant, passé par Lety et Auschwitz, a dit que Lety était pire parce tenu par des Tchèques. « Auschwitz était très dur, mais on voyait les chambres à gaz arriver. À Lety, on ne savait jamais ce qui allait se passer d’une journée à l’autre. »

Le monument de Havel, situé dans un taillis d’arbres poudrés de neige, ressemblait à un genre d’amphithéâtre qu’on peut trouver en banlieue de Houston, à côté des églises baptistes. « Le problème, c’est que les visiteurs viennent jusqu’ici et voient l’élevage de porcs au bout de la route et se disent : “C’est ça le monument ? On dirait un camp de concentration” », a dit Markus. Au-dessus d’un petit étang, la fumée grise de l’élevage continuait de jaillir des cheminées. « Des survivants ont dit qu’on noyait des enfants là-dedans. »

De retour au village, nous avons visité un centre d’information sur le camp de Lety. La petite salle sans chauffage sentait le tabac froid. En sortant, après avoir examiné les plaques commémoratives, nous avons jeté un coup d’œil au livre d’or. Sur toute une page, quelqu’un avait griffonné : « Gazons les Gitans ! »

Sur la route du retour vers Prague, Markus et moi avons discuté de l’avenir. « Tout gouvernement qui défendra les Roms perdra les élections, a-t-il affirmé. La démocratie est censée protéger les minorités. Sans cette protection, les minorités seront écrasées par les désirs de la majorité. Je pense que les habitants des anciens pays communistes ont des difficultés à s’adapter à cela. Après 1989, nous avons perdu une partie de notre identité, où nous faisions partie du bloc communiste international. Où sommes-nous désormais ? De quoi pouvons-nous être fiers ? Nous avons dû raviver notre approche nationaliste pour combler le vide. Et les Roms n’ont pas leur place dans cette approche. »