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Musique

Lewis Dimmick de Our Gang regrette le hardcore d’avant

Il y a deux ans, le label Wardance Records rééditait officiellement pour la première fois la compilation New Breed, sortie sur cassette en 1989.

Our Gang en live à New York, 1986. 

Il y a deux ans, le label Wardance Records rééditait officiellement pour la première fois la compilation New Breed, sortie sur cassette en 1989. Cette tape demeure la manifestation ultime du son hardcore new-yorkais, à l'image des deux autres disques-repères de cette scène : NY Hardcore - The Way It Is et NYHC - Where the Wild Things Are?. Parmi tous ces groupes, dont certains sont morts dans l’œuf, il y avait Our Gang, des mecs qui voulaient jouer plus vite que les autres, « straight ahead », comme avant le virage metal de la scène vers 1986.

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À l'heure où chaque scène hardcore se doit de publier son livre (ou son documentaire) en trouvant des ronds via un crowdfunding quelconque, Lewis Dimmick, guitariste de Our Gang, a choisi de revenir sur sa jeunesse dans les 80s à travers un recueil de poésie en prose et de nouvelles, This Music. Et c’est une nouvelle fois Wardance qui se charge de le publier. Passionné par la musique et la littérature plus que par les tendances qui se sont succédées dans la scène entre 1984 et 1990, Lewis, aujourd’hui prof de lettres, est revenu avec moi sur quelques passages de son livre, le témoignage d'un type normal sur une période qui était loin de l'être.

VICE : Qui étaient les « Doty Avenue Dirtbags », la première bande qu'on rencontre dans This Music ?

Lewis Dimmick : C'était le blase qu'on utilisait pour désigner ce groupe de gamins qui traînait dans une rue voisine de notre quartier. On les traitait de sacs à merde parce qu'on aurait dit qu'ils avaient tout le temps une couche de crasse sur leur visage. Ils adoraient jurer et jeter des cailloux sur n'importe qui. C'est dans cette rue que j'ai entendu de la musique live pour la première fois. Un groupe de heavy metal jouait dans un garage et la puissance du son m'avait complètement hypnotisé.

J'aime bien ce passage parce qu'il symbolise le livre dans son ensemble – se focaliser sur de brefs moments, des détails. C'est un livre sur la musique dure – le metal, le punk, le hardcore – mais avec une approche poétique, et je pense que c'est ce qui le rend unique. Ce n'est pas un compte-rendu historique d'une scène musicale, mais une œuvre personnelle. J'ai voulu raconter des histoires uniques, et écrire le livre qui correspondait vraiment à mon expérience.

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Tu écris à un moment que l'intimité est un truc crucial dans le hardcore. C'est un mot presque désuet.

Pour moi, le hardcore est conçu pour les petites salles, où l'énergie peut remplir l'espace au maximum et donner cette impression que le lieu est prêt à exploser. Mais plus important, l'intimité est cruciale pour que le groupe et le public puissent avoir des rapports d'égal à égal. Un concert hardcore dans un stade serait absurde.

Dans ce passage, je parle d'un concert d'Adrenalin O.D. au CBGB. Le bassiste avait filé un coup à un mec du public. J'avais seulement 15 ans quand j'ai vu ça et j'ai été déconcerté ; un an avant, j'avais vu mon premier concert, Iron Maiden, et ça n’avait rien à voir – les mecs du premier rang étaient très loin du groupe. Donc oui, pour moi le hardcore doit exister à petite échelle, rester « underground.

Our Gang dans leur jeunesse, avec un skinhead sur le dos.

Le hardcore semble pourtant être devenu une musique alternative comme une autre.

C'est vrai, et je ne me sens plus connecté avec le hardcore d'aujourd'hui. La plupart des groupes ne jouent plus de morceaux rapides, et je pense que la vitesse est l’une des définitions du hardcore. Tous les groupes sonnent metal. Je préfère autant écouter du metal actuel que du metal qui se fait passer pour du hardcore.

Ça me fait penser à une citation de ton livre : « Aujourd'hui, même les pop stars ressemblent à des punk rockers ».

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Exactement ! La pop a adopté l'image du hardcore, comme ces groupes qui sont totalement metal et qui se font passer pour du hardcore.

Tu dis aussi « Le hardcore rejette l'idée que le groupe soit supérieur aux autres. » Pourtant, tu fais une exception pour les Bad Brains.

Oui. Je l'ai faite parce qu'ils sont à raison considérés comme l'un des meilleurs groupes de l'histoire. Le hardcore était attirant parce qu'on avait le sentiment que n'importe qui pouvait apprendre à jouer d'un instrument et monter son groupe, mais il était impossible de sonner comme les Bad Brains. Leur talent était phénoménal. Il y a un génie que tu peux ambitionner toute ta vie sans jamais l'atteindre, mais qui pour eux, était totalement naturel.

La guitare de Lewis, circa 1987. 

Tu dis plus loin que l'album Victim in Pain d'Agnostic Front, sorti en 1984, fut la chose la plus vraie que tu aies jamais expérimentée. La couverture est toujours tendue aujourd'hui. Est-ce l'ultime disque NYHC, selon toi ?

Oui, c'est le meilleur disque New York hardcore de tous les temps. Tous les groupes qui sont arrivés ensuite ont adopté leur son et leurs thèmes – l'unité, être un paria de la société, etc. Ce disque est exactement ce à quoi le hardcore doit ressembler. Évidemment, quand j'entends un nouveau groupe et que leurs mosh parts sonnent comme du Pantera, ça ne fonctionne pas pour moi.

Pour revenir à la cover, elle renvoyait directement au punk rock. Elle était conçue pour choquer le public, ce qui a très bien marché.

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Le NYHC chez Phil Donahue, en 1986 :

Le NYHC sur la chaîne de télé ABC, toujours en 1986 :

En 1986, le crossover entre hardcore et metal est devenu officiel, à ce point que même Anthrax a récupéré l'étiquette « NYHC ». Qu’as-tu pensé de cette période ?

Le crossover, c’était super. J'adore toujours les trucs que Corrosion Of Conformity et DRI ont fait à cette période, plus les Agnostic Front, Ludichrist, Crumbsuckers, Leeway, etc. Tout le monde était bien énervé quand le hardcore a commencé à incorporer des influences metal – c’est marrant de se souvenir de ça aujourd’hui. La plus grande ruine du hardcore moderne réside dans toute cette approche tough guy qui est devenue obligatoire. Le hardcore n'a rien à voir avec le fait d'avoir des tatouages et faire des gueules agressives.

Tu peux me parler de la mise en place de cette « file policière » obligatoire devant le CBGB en 1988 ? En quoi consistait-elle ?

C’est le début de la fin pour moi, lorsque les commerces du quartier ont commencé à se plaindre de la foule qui bloquait la rue devant le club. Il a donc été décidé que les gens devaient désormais attendre en file indienne. On peut aussi avancer que les matinees (concerts du dimanche après-midi) du CBGB étaient devenus trop populaires. Beaucoup de gens venaient aux shows, et la violence qu'ils amenaient avec eux a été la raison pour laquelle le CBGB a arrêté de programmer les concerts.

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Avant cette file d'attente, les gens traînaient dehors, devant la salle, discutaient. Ça formait une communauté. Mais quand les gens se sont retrouvés dans la file, on aurait dit n'importe quel autre club. Faire la queue, payer, suivre les règles, cela contredisait l'essence même du truc.

Le CBGB vu de l'extérieur, New York, 1986. Photo : Bri Hurley.

« Crucial Chaos », l’émission hardcore sur WNYU, a été déterminante pour la seconde vague des groupes new-yorkais. Comment tu l'as découverte ?

Je ne me rappelle plus, mais en effet c'était hyper excitant d'entendre tous ces groupes locaux jouer à la radio et répondre à des interviews. J'avais le sentiment de vivre quelque chose de spécial – un truc créé par des mecs qui habitaient à côté de chez moi. Cette émission était importante pour la scène de l'époque. Si j'apprenais que Warzone jouait à l'antenne, il fallait absolument que j'enregistre ! Je voulais pouvoir écouter le live plus tard, pour en profiter encore plus. Tout ce qui passait à la radio était très mainstream ; il n’y avait rien d'underground. Et donc entendre Undergod, Token Entry ou Krakdown sur la bande, c’était fou pour nous.

Il paraît que tu as enregistré quasiment toutes les émissions sur cassette.

Non, je ne les ai pas toutes mais j'en ai beaucoup. J'ai tout mis en ligne en 2003 et elles se sont diffusées très vite. Les enregistrements n'avaient jamais été disponibles avant ça. Par exemple, pas grand-monde avait déjà entendu l'interview de Straight Ahead. Ce que j'ai fait par plaisir s'est transformé en partage des années plus tard. Plus de gens possèderont ces sessions, plus elles résisteront à l'épreuve du temps – et éviteront de disparaître.

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Our Gang de dos, New York, 1987.

Il y a un passage marrant à la fin du livre où tu racontes ta courte expérience avec Side By Side, le groupe légendaire du Youth Crew. Apparemment, tu ne sautais pas assez pour pouvoir prétendre au rôle de bassiste dans le groupe.

Oui, le Youth Crew était très concerné par l'image. Ils ne voulaient pas zoner avec n'importe qui. Tu devais avoir le look. Tu devais être cool. Tu devais être avec les mecs cools. Même à l'époque, les gens se plaignaient beaucoup de ça, la manière dont les straight-edges étaient préoccupés par leur image. Le hardcore était supposé être à l'opposé de ça !

Un autre passage drôle, c'est quand ta famille assise dans le salon écoute le LP de Our Gang 20 ans plus tard. 30 cruelles minutes.

C'était atroce ! Imagine un peu mon oncle et ma tante assis là en train d'écouter le disque. Ils n'avaient jamais entendu de hardcore de leur vie. Ils étaient relativement confus. De la musique rapide, bruyante, avec un chant crié. Ils ont dû se dire : « Mais pourquoi un type a eu un jour l'idée de graver ça sur un disque ? »

Lewis jeune, sur scène, 1987.

Le livre de Lewis est disponible ici.

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