FYI.

This story is over 5 years old.

Vice Blog

LIVRES - JEREMY REED EST UNE LÉGENDE UNDERGROUND DOUBLÉE D'UN CONNARD INSUPPORTABLE

Mal aimé sur son île qu'on appelle l'Angleterre, Jeremy Reed a publié plus d'une soixantaine de livres en à peine trente ans. Il n'échappe pas au cliché du poète chelou : étriqué dans sa chemise à jabots, il a des grands yeux bleus exorbités et porte du vernis à ongles. Quand il parle on croirait entendre Bowie époque Hunky Dory, mais comme si le mec parlait dans le goulot d'une bouteille en verre.
J'aimerais décrire son oeuvre par une métaphore sensible, axiomatique et pleine d'allitérations mais j'y arrive pas. Tout au mieux je peux dire que Reed a écrit des recueils de poésie, des biographies et des romans de science fiction. L'ensemble fonctionnerait comme un kaléidoscope (peut être fluo), dont chaque face illustrerait ce qu'on appelle la « contre culture ». Biographies « poétiques et libres » de Lautréamont, Genet, Anna Kavan, Artaud, Lou Reed, poèmes sur Elvis, les trans, la drogue, le cul, les cyberpunks, Reed écrit tous les jours mais on ne trouve ses livres nulle part. Et depuis que JG Ballard a cassé sa pipe, Jeremy Reed n'a plus de fan digne de sa production brillante et prolifique. Enfin si, il reste Lawrence Ferlinghetti mais il est vraiment vieux. Voilà ce qui me turlupinait en allant l'interviewer : 1/ Pourquoi la jeune génération qui se la pète en lisant Martin Amis ou Will Self ne connaît pas Jeremy Reed ? 2 / Pourquoi la section About me de sa page myspace dédiée à son délire de faire le poète performer avec un nerd qui s'occupe de la sono est tellement cheapos qu'elle me met mal à l'aise ?

Publicité

Vice : Tes livres ne sont pas traduits en français…

Jeremy Reed : Parce que personne ne s'intéresse à mes livres dans votre pays.

Pourtant tu as traduit Cocteau, Rimbaud, Genet, donc tu pourrais traduire tes livres, non ?

Oui mais je n'ai pas le temps, j'ai tellement de livres à écrire. Oh j' aime ton cardigan.

Merci. Qu'est ce que tu as écrit aujourd'hui ?

Des poèmes, j'écris quotidiennement deux poèmes avant la tombée de la nuit et je viens de finir une autobiographie qui s'appelle Give me Shelter. Ça parle de ma vie à Londres et de mon amitié avec Francis Bacon. C'est un livre qui attaque le milieu littéraire et rend hommage à la poésie.

Tu n'avais pas déjà publié une autobiographie, Lipstick, Sex and Poetry qui parle de ta bisexualité ?

C'était moitié fiction, moitié réalité et parlait surtout de ma jeunesse sur l'île de Jersey, de mes premiers émois bisexuels à la plage. Toute réalité peut devenir fiction. L'imagination est la seule réalité et c'est pourquoi la mort est imaginaire. Il n'y a aucune réponse à toutes les questions de la vie, et tout ce que nous savons sur la vie et la mort nous l'imaginons, non ? Personne n'est revenu de la mort pour nous dire à quoi ça ressemble, donc nous devons l'imaginer.

Je me rappelle la dernière fois qu'on s'est vus, tu m'avais raconté comment ton premier livre a été publié : tu voulais te suicider, et un éditeur t'a sauvé de la noyade à Jersey… Pourquoi vouloir en finir avec la vie ?

Publicité

Parce que mon enfance avait été très malheureuse, et je trouvais la vie sur cette île intolérable. L'idée de mourir happé par la mer m'est apparue séduisante.

Et donc ce mec arrive de nulle part et fait foirer ton suicide.

Oui il m'a juste trouvé sur la plage, inanimé. Et puis il a publié mon premier recueil de poèmes.

Tu as commencé à écrire « sérieusement » à l'âge de sept ans, mais je me demande qu'est ce qu'un enfant de cet âge là a la prétention d'écrire ?

Des poèmes romantiques, j'écrivais pendant des heures et je ne me suis jamais arrêté depuis. Cela rendait encore plus distante la relation avec mes parents, qui étaient incultes. Il n'y avait aucun livre dans la maison, mais j'ai une imagination constante. J'ai découvert les livres ensuite. Et puis le rock a toujours été une grande influence.

Je n'ai jamais eu de writer's block. Pour moi écrire relève de l'instinct, c'est la première chose que je fais chaque matin après une longue marche, à sept heures du matin. Je suis toujours connecté, je peux écrire n'importe où, à n'importe quelle heure, dans un taxi, un café. Ma concentration reste intacte quoi qu'il arrive.

Du coup ça doit t'arriver de te dire, à la relecture, « ce passage est à chier Jeremy ».

Non jamais ce que j'écris est toujours bon, car toujours connecté. J'ai un monde intérieur très riche, tout ce que j'observe dans une journée je le transforme, c'est un procédé constant.

Publicité

Ca doit être fatiguant à la longue, non ?

Non, disons que ma chimie mentale est faite ainsi, j'ai une activité cérébrale plus intense que la moyenne. Je n'ai jamais pris de drogues, seulement un peu d'alcool pour écrire plus relax.

Comment tu as rencontré Francis Bacon ?

C'était pendant les années 1980, je venais d'arriver à Londres et j'étais pauvre. Francis partageait l'appartement d'une amie, et je lui ai demandé d'illustrer la couverture de mon premier roman, très torturé, The Lipstick Boys (NDLR : traduit en français, le roman s'appelle Les Damnés de la Nuit). Finalement il ne l'a pas fait mais nous avons continué à nous fréquenter et pendant au moins quatre ans il m'a donné beaucoup d'argent en liquide pour que je puisse survivre et écrire mes livres. Le meilleur souvenir que j'ai de Francis Bacon est son éducation vestimentaire, ce qu'il portait me fascinait. Il s'habillait en gangster ou en dandy, parfois les deux.

Marc Almond, Scott Walker, Brian Jones, Lou Reed, tu as délibérément choisi d'écrire des biographies poétiques sur des musiciens à la sexualité douteuse ?

Oui j'aime les bisexuels et les outsiders en général. Ceux qui sont psychologiquement, génétiquement, émotionnellement anormaux m'intéressent. Je n'ai jamais été entouré par des personnes « normales », et ma souffrance m'a permis de développer une extrême empathie pour ces gens là.

Tu ne souffres plus maintenant, c'est du passé ?

Publicité

Je souffre terriblement chaque jour, à chaque minute. J'attends d'être sauvé. La vie est dure, je suis épuisé d'écrire tous ces livres, je veux qu'on s'occupe de moi. L'anxiété matérielle est harassante.

Oui c'est souvent l'excuse de l'écrivain bloqué, la précarité empêche la créativité, mais là encore, ça n'a l'air de ne pas t'atteindre.

Non, j'écrirai jusqu' à mon dernier souffle. Je veux mourir en écrivant, entouré de roses rouges.

Je voulais revenir sur le livre de Brian Jones, qui a d'ailleurs été traduit en français.

Ah bon ? Qui est l'éditeur ? Je ne suis pas au courant, je n'ai jamais rien autorisé, ni rien touché. Je dois admettre que ça m'arrive souvent. Pour ma biographie de Lautréamont, éditée en France, je n'ai pas eu le moindre centime.

La police anglaise a récemment rouvert le dossier Brian Jones, penchant pour la théorie du meurtre.

C'est évident que Brian a été tué par ceux qui entretenaient sa propriété. Un des témoins qui a ensuite écrit une biographie de Jones décrit la scène : trois hommes se jettent sur Brian et le noient dans sa piscine.

C'était un musicien si talentueux, mais si vulnérable et incapable de fonctionner dans la société, ce qui en fait un personnage très intéressant. Il a toujours choisi des femmes qui lui ressemblaient, blondes, avec les mêmes coupes de cheveux et mêmes vêtements que lui. Il voulait changer de sexe, et ressembler à Brigitte Bardot, il a dit ça dans une interview. Je suis persuadé que si Brian était toujours vivant, aujourd'hui il serait une femme.

Publicité

Es-tu sensible au mouvement transgenre ?

Je trouve courageux le fait de changer son identité sexuelle, qui est la plupart du temps bafouée chez les gens. Ils renient leur vraie nature.

Tu as déjà pensé à devenir une femme ?

Non. Je pense que les êtres les plus créatifs sont androgynes. Regarde David Bowie, Mick Jagger, ou encore moi même, notre hyper créativité vient de cette confusion homme / femme. Les deux sexes fusionnent de manière harmonieuse. Chez les transexuels, un des deux genres est très faible, alors que chez les androgynes le côté féminin est aussi fort que le côté masculin. Les trans ne sont pas créatifs, ils sont affaiblis par la toute puissance d'un genre sur l'autre. Les androgynes ont une spiritualité beaucoup plus élevée que la moyenne.

Ouais, enfin je ne conçois pas qu'on puisse être un bon écrivain et sain d'esprit.

Exactement, les écrivains "normaux" sont chiants à lire. Le compromis n'a jamais fonctionné. Il faut être fier de ce qu'on crée et ne pas renier qui on est.

Tu as déja eu un mentor ?

Non, mais l'auteur qui a toujours admiré mon travail et m'a encouragé était J.G Ballard. Il était mon plus grand fan, et avant de mourir il a préfacé mon dernier recueil de poésie, West End Survival Kit. Quand tu sais qu'il a seulement choisi de préfacer Burroughs et un livre de Dali, tu comprends que c'est un honneur.

Ton hyper sensibilité doit être mise à rude épreuve en ces temps de crise culturelle et sociale ?

Publicité

Nous sommes entrés dans l'ère de la médiocrité. Les gens veulent devenir célèbres à tout prix, ils regardent la télé et se disent « oh ça pourrait être moi ». C'est très flippant, car le culte de la célébrité est superficiel. Victoria Beckham en est le symbole même, elle est connue mais n'a jamais rien fait.

Je trouve ça fascinant.

Moi aussi. J'aime Victoria Beckham, j'aime son look et le fait qu'elle ressemble à un alien, j'ai écrit des poèmes sur elle.

Ce n'est pas frustrant quand on est publié depuis 30 ans d'avoir aussi peu de succès ?

Pas vraiment, dès lors qu'on a accepté l'idée d'être un outsider de l'establishment. Je pense que la seule chose qui compte c'est la mort, tu dois mourir avec les bonnes personnes autour de toi, dans un état d'esprit qui est le bon, que ce soit un suicide ou une mort naturelle. Depuis mes dix ans je ne pense à rien d'autre que la mort.

Francis Bacon aussi était consumé à chaque seconde de son existence par la pensée de mourir. Il détestait l'idée de devenir vieux et de mourir, mais pour s'opposer au processus, il a crée des tableaux incroyables. Tous les jours je me dis « tu peux mourir aujourd'hui ». Je ne crois pas en Dieu mais je crois que nous avons une continuité dans l'au-delà, et je souhaite que ma continuité soit d'écrire.

Le suicide est une option, mais on ne le fait pas car on a peur du résultat. Ce serait bien d'être des touristes de la Mort, on irait faire un tour voir à quoi ça ressemble…

Ca devient hyper anxiogène cette interview, j'aimerais bien prendre un Xanax mais je suis enceinte. Quoique j'ai arrêté les benzo depuis longtemps..

Moi aussi et ils me manquent terriblement. Je me sens nu et désemparé sans eux, ils étaient comme ma couverture dans laquelle je m'emmitouflais. Je garde toujours sur moi du Valium au cas où mais je ne m'en sers jamais.

INTERVIEW : LAUREEN LANGERDORFF

Les livres de Jeremy Reed sont disponibles ici et encore .