Nager avec les dauphins, puis les bouffer

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Masaki Wada est un haut fonctionnaire de la ville japonaise de Taiji – la ville dont la gastronomie tourne autour du dauphin, d’après le documentaire La Baie de la honte, datant de 2009. Cette semaine, il a annoncé la construction d’un parc dans lequel tout le monde pourra nager et jouer avec les dauphins, « tout en dégustant des produits de la mer, y compris de la viande de baleine et de dauphin. »

Apparemment, ils essaient de tirer profit de leur notoriété toute japonaise acquise en massacrant chaque année des milliers de dauphins, et ils ne s’en cachent pas. À en croire Wada :

« Nous utilisons déjà des dauphins ainsi que des petites baleines à des fins touristiques dans la baie, où l’on chasse le dauphin. En été, les nageurs peuvent s’ébattre en compagnie des mammifères que vous venons de relâcher. Mais nous avons l’intention faire ça à grande échelle. »

Ça a tout l’air d’être un coup de pub, destiné à relancer un pan de l’économie souffreteux pour un pays qui ne trouve plus de goût à mastiquer une viande caoutchouteuse, grasse et bourrée de mercure. Mais c’est aussi un cas d’école de trolling qui vise à traire la rage de milliers de militants et attirer l’attention du monde entier.

Du dauphin, réétiqueté comme baleine. Image via

La superposition sexy qui consiste d’un côté à manger les mammifères marins et de l’autre à rire en regardant leurs pirouettes ne date pas d’aujourd’hui : selon La Baie de la honte et quelques photos assez convaincantes obtenues par les Sea Shepherds, des dresseurs de parcs aquatiques se pointent chaque année à Taiji pour indiquer aux pêcheurs quels dauphins épargner, parce qu’ils voient en eux un potentiel à exploiter dans le showbiz.

Sinon pour être mangés ou faire l’attraction, pourquoi y aurait-il des dauphins au Japon ? Il existe de nombreux parcs aquatiques là-bas avec des dauphins déjà dressés, notamment le Kamogawa Sea World– les parcs de cette nature, il faut le préciser, provoquent aussi la colère des Sea Sheperds, et pas seulement parce qu’ils achètent leurs dauphins à Taiji, mais plus généralement parce qu’on y soupçonne les dauphins d’être particulièrement maltraités. Les Sea World états-uniens ne sont pas exemptés de critiques non plus, ils ont d’ailleurs fait l’objet de pas mal de mauvaise presse récemment.

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Taiji est depuis longtemps la cible de la fureur de tous les gens qui s’insurgent contre la chasse à la baleine, surtout depuis que la ville a modernisé l’industrie baleinière quand celle-ci essuyait déjà le feu des critiques.

À un autre moment dans l’histoire japonaise, le déclin de la bonne vieille chasse aux dauphins comme source de revenus aurait pu encourager Taiji à lâcher l’affaire, et à passer à autre chose. Cependant, cette impudence à l’encontre des libéraux, des étrangers et des étrangers libéraux va de pair avec le regain de popularité de Sinzo Abe, un homme politique nationaliste qui a récemment récupéré son siège de Premier ministre grâce à son projet de réforme fiscale, baptisée « Abenomics », et à son programme empreint de fierté nationaliste. La rhétorique anti-étrangers a l’air de plus en plus populaire.

Lors d’une interview qu’il a donnée en 2013, le maire de Taiji, Kazutaka Sangen, n’y a pas été de main morte quand il s’est agi de commenter l’opinion publique étrangère : « Nous transmettrons les traditions de nos ancêtres à la génération suivante, et les préserverons. Nous sommes un peuple fier. Nous n’avons pas l’intention de changer nos plans pour la ville en nous basant sur les critiques des étrangers », a-t-il ainsi déclaré.

La logique du « c’est dans nos traditions » a pourtant fait son temps – c’est celle qui prévaut pour excuser des coutumes barbares telles que le crime d’honneur et les mutilations génitales féminines.

Le point de vue opposé à celui du maire trouve son porte-parole le plus véhément chez Ric O’Barry, un éleveur de dauphin et avocat, interviewé dans La Baie de la honte :

« Il n’est pas d’animal, sur terre ou dans l’océan, comparable au dauphin. Nous avons passé des décennies et dépensé des millions de dollars pour arriver à communiquer avec eux, mais eux essaient toujours de communiquer directement avec nous. C’est le seul animal sauvage connu pour avoir sauvé des vies humaines – et ce n’est pas une anecdote isolée, cela s’est passé à plusieurs reprises dans l’histoire. Ce sont en outre des créatures parfaitement adaptées à l’océan, qui feraient rougir le nageur le plus gracieux. »

Ric O’Barry, via

Le plaidoyer de Ric O’Barry a ceci d’attendu que, comme toute personne désireuse de défendre les dauphins, il se fonde sur une comparaison avec les humains (moi y compris, il y a quelques paragraphes).

Mais cet argument apparaît de plus en plus biaisé. La semaine dernière, le biologiste Justin Gregg a avancé que les dauphins seraient aussi cons que les poulets. La plupart de ses arguments tournent autour de la méchanceté des dauphins, qui seraient fans de gang-bangs et enclins à terroriser les plus jeunes d’entre eux, comme des putains de gangs sans foi ni loi. Mais d’après ce que je sais, les chimpanzés mangent des visages et des bites pour le petit déjeuner, et ils sont très intelligents. D'autre part, il est intéressant de noter que lors deschasses qui ont lieu à Taiji, les dauphins se laissent attraper dans des filets qui affleurent la surface de la mer, et personne n'a été en mesure d'expliquer pourquoi ils n’ont pas, euh… sauté, pour se libérer.

Ouais, sans doute que les cochons sont plus intelligents que les dauphins, et pourtant personne, à part les végétariens, n’y voient quelque chose à y redire. Qu’à cela n’y tienne, un parc aquatique qui vous invite à nager et jouer avec des dauphins avant de les bouffer dans la cafétéria est une idée particulièrement nauséabonde, même pour ce début de XXIe siècle pourri.

@MikeLeePearl

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