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Les mecs de Magnum

Olivia Arthur a photographié l'Orient que l'Occident ne connaît pas

Les femmes du Caucase, chez elles – avec ou sans voile.
Jeddah, Arabie Saoudite, 2009. Diana prend un bain en maillot islamique, à Durrat Al Arous.

Magnum est de loin l'agence photo la plus connue au monde. L'année dernière, VICE et Magnum avaient entrepris un partenariat, grâce auquel nous avons eu l'occasion – en plus de publier sur VICE.com quelques-unes de leurs photos – d'interviewer plusieurs photographes de l'agence. En 2014, cette série d'interviews est de retour.

En 2012, les travaux d'Olivia Arthur sur les jeunes femmes d'Arabie Saoudite ont été publiés sous la forme d'un livre, Jeddah Diary. Cette série, tirée d'un projet plus large intitulé Middle Distance, documente la vie des femmes du Caucase, vivant aux frontières de l'Europe et de l'Asie dans des sociétés – souvent – hermétiques à la culture occidentale. Olivia est devenue membre de Magnum en 2013.

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J'ai discuté avec elle des difficultés qu'elle a rencontrées lorsqu'elle a voulu contacter et travailler avec ces femmes et j'ai cherché à savoir si elle arrivait à dégager un thème général de ses travaux. Apparemment, cela lui est encore impossible.

VICE : Comment êtes-vous devenue photographe, après vos études de maths à Oxford ?
Olivia Arthur : J'ai fait le grand saut, on va dire. Je travaillais pour le journal universitaire, et c'est comme ça que j'ai commencé à prendre des photos. J'aimais déjà la photographie avant, mais le fait de bosser là-bas m'a fait prendre cette activité plus au sérieux. Puis, j'ai gagné le Guardian Student Media Award et je me suis dit : « Peut-être que je pourrais gagner ma vie avec ça ? » J'ai lu ici ou là que certains théoriciens essayaient de faire un rapprochement entre les mathématiques et la photographie mais, pour être honnête, ce sont deux domaines différents. Au final, je me suis rendue compte que le monde réel m'intéressait plus que le monde abstrait des chiffres.

Après avoir fini mes études, je suis partie en Inde. Je n'y ai rien fait d'extraordinaire ; je me suis juste mise à prendre des photos pour de vrai et à en faire un vrai boulot, en vendant quelques images à des journaux et à des magazines, anglais pour la plupart.

En quoi votre travail en Inde a-t-il influé sur vos travaux ?
Je pense que ce séjour m'a permis d'apprendre la photographie, ce qui a – je pense – inspiré ce que j'ai fait depuis. En terme photographique, l'Inde est un endroit trépidant, coloré et chaotique. Je suis passée au moyen format pour rendre mes photos plus calmes, plus immobiles. Je crois que, ce que je cherchais, c'était trouver le calme dans tout ce chaos. En terme de sujet, les quelques années – ou plutôt, les nombreuses années – que j'ai passées là-bas m'ont conduit vers un sujet en particulier, les femmes.

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Jeddah, Arabie Saoudite, 2009. Une femme regarde la télé, chez elle

Vous avez pris ces photos des « intouchables» indiens et du système des castes à ce moment-là ?
Non. J'ai commencé cette série – sur laquelle je travaille toujours aujourd'hui – au cours d'un voyage plus récent. J'ai un peu bossé au Cachemire lors de mon premier séjour, et cela a sans doute eu une influence sur mon projet de travailler sur les femmes de ces régions.

Quand vous parlez de vos projets « sur les femmes », faites-vous référence à Jeddah Diary ou à Middle Distance ?
Middle Distance est le projet qui a découlé de mon séjour en Inde. Après l'Inde, je suis allée en Italie pour une résidence dans un centre de recherches, la Fabrica. Je cherchais comment débuter ce projet, à savoir : les femmes de la frontière entre Est et Ouest. Au départ, mon idée concernait seulement la frontière entre l'Europe et l'Asie ; au final, elle s'est concentrée sur les histoires des différentes femmes que j'ai rencontrées au cours de mon voyage. Enfin, je suis allée en Iran et en Arabie Saoudite. Je cherche toujours à rassembler tout ce boulot dans un seul et même livre. À ce jour, seule une petite partie de ce projet a été publiée, via Jeddah Diary – qui se concentre uniquement sur les femmes d'Arabie Saoudite.

Aux yeux des observateurs occidentaux, l'Arabie Saoudite est une société connue pour son herméticité – et particulièrement au sujet des femmes. Jeddah Diary dépeint à la fois ce côté masculin, conservateur, mais livre également une autre face ouverte rarement mise en images, la vie de ces femmes chez elles. Ce projet a-t-il été difficile à mettre en œuvre ?
Je ne suis pas partie avec une idée de ce à quoi le projet final ressemblerait – et pour cause, il a été très compliqué à achever. À certains moments, j'ai même voulu arrêter. J'ai donné un workshop pour des femmes photographes là-bas et cela m'a aidé à accéder aux sujets de mes photos. L'Arabie Saoudite n'est pas un pays dans lequel on peut prendre un passant en photo. C'est impossible. Mais en revanche, j'ai été invitée chez ces femmes et j'ai eu le droit d'entrer dans leur intimité. Bien que ces gens soient très réservés, ils sont aussi très hospitaliers. Comme mon appareil photo apportait un peu de « monde extérieur » dans leur vie privée, il n'a pas toujours été simple de les photographier. Parmi les filles, certaines aimaient l'idée de se faire prendre en photo et d'être publiées dans un bouquin. Mais – après avoir rencontré leurs parents – j'ai parfois pensé que ce n'était pas une si bonne idée. L'idée de rendre anonymes les femmes photographiées vient en réalité de leurs parents, pas de moi.

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OK.
Le pays est incroyablement fermé et, même quand on arrive à y entrer, les lois vous condamnent à prendre des photos sans intérêt. Il existe un ensemble de lois qui liste ce que l'on peut montrer et ce que l'on ne peut pas. En plus de ça, il existe aussi une version agrémentée de ces mêmes lois. Ça ne veut rien dire

J'ai essayé de montrer cette confusion au sein même du livre. Je souhaitais que les gens voient mon voyage tel que je l'ai vécu. Je ne voulais pas qu'ils se disent : « L'Arabie Saoudite ressemble à ça ou à ça », je voulais plutôt qu'ils se disent « Ça PEUT être comme ça ou comme ça. » La diversité est un truc que les gens oublient quand ils parlent d'un pays comme l'Arabie Saoudite. Pour eux, soit tout le monde est conservateur, soit tout le monde est libéré. C'est faux. On remarque dans ce pays des franges très distinctes les unes des autres.

Sur plusieurs photos du livre, vous avez choisi de rendre certains visages méconnaissables en incorporant des reflets aux photos. Bien que vous ayez expliqué ces modifications comme un « compromis trouvé avec les parents des femmes photographiées », on peut aussi y voir une illustration des pressions existantes dans cette société.
Au départ, je n'avais pas prévu ces modifications. Mais oui, en effet, ils permettent en quelque sorte de souligner ce dernier point. J'avais pris beaucoup de photos, avant de réaliser que je ne pourrais pas les utiliser. Trouver un moyen de le faire m'a pris du temps. Pouvais-je flouter ces visages ? Les couper ? Je ne voulais pas incorporer de bandes noires. J'ai finalement eu l'idée des reflets. Je pense que cette modification n'altère pas la photo, demeure légère et permet de rester proche du sujet tout en lui garantissant l'anonymat. Les gens peuvent trouver cette idée bizarre, moi je trouve que ces reflets expriment brillamment la situation à laquelle ces femmes sont confrontées. Ils permettent aussi de montrer que la distance n'empêche pas l'intimité.

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Téhéran, Iran, 2007. Fatima, 11 ans, récite sa prière de mi-journée, chez elle.

En quoi travailler avec des femmes iraniennes était différent de travailler avec des Saoudiennes ?
Déjà, ces deux pays sont très différents l'un de l'autre. En Iran, on sent une influence occidentale de longue date. Il existe à Téhéran une importante classe moyenne encline à s'ouvrir à la culture occidentale. Contrairement aux Saoudiens, ils ne vivent pas dans une bulle. L'Arabie Saoudite est un pays plus jeune ; l'influence occidentale est donc plus récente. En Iran, les femmes que j'ai rencontrées avaient leurs propres opinions et n'avaient pas peur de les exprimer. Elles sont beaucoup plus confiantes, plus fortes.

En Iran, le régime au pouvoir est aussi bien plus répressif. Là-bas, soit on vous empêche de faire des photos, soit on vous considère comme une menace. C'est plus problématique qu'en Arabie Saoudite, où la police religieuse a juste le droit de vous demander d'enfiler votre voile. Les autorités saoudiennes semblent plus s'inquiéter de vos fringues que de la « menace » politique que vous pouvez représenter. Aussi, les Saoudiens s'inquiètent de ce que les autres pensent d'eux. C'est une petite société et l'image que l'on donne de soi là-bas est une préoccupation de tous les instants.

Ilynskoye, Russie, 2007. Les étudiants d'une école de village suivent un entraînement cosaque.

En pensant à Middle Distance, à Jeddah Diary, à votre travail sur le système des castes et aux endroits où Est et Ouest se croisent, avez-vous le sentiment que tous vos sujets sont liés les uns aux autres par un thème plus général ?
Un lien ? Je ne sais pas. J'ai commencé à travailler sur les femmes après avoir été terrifiée par ce que j'avais vu en Inde, par le traitement dont elles étaient les victimes. Mon travail sur les castes date de mon séjour là-bas ; on peut établir une quelconque connexion entre ce voyage et le reste de mes boulots mais ceci dit, pour moi chaque projet est différent.

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J'étais en Inde entre 2003 et 2006, à une époque où tout le monde parlait de « l'Inde rayonnante » et croyait que le pays s'apprêtait à « dominer le monde ». À mon retour, j'ai été choquée de voir à quel point les choses étaient restées les mêmes. Je pense que le système de castes empêche tout changement. Le fait que, même après la suppression du nom des castes, les gens se fassent toujours juger par la couleur de leur peau est une chose qui m'intéresse. Voilà la raison pour laquelle ce projet est devenu si important. En ce sens, ce projet en Inde est très différent de celui sur les femmes ; ce dernier ne se préoccupe jamais des hiérarchies. Je ne les vois pas de la même manière. Mes travaux sur les femmes concernent les femmes et la façon dont elles vivent dans la société de leur pays. Le sujet les concerne directement et n'a rien à voir avec les hommes qui les entourent. Je n'essaie pas de dire « Les femmes de ces pays sont des citoyens de seconde zone » mais plutôt de montrer qui elles sont, je dirais. Je cherche à illustrer ces femmes, leur vie et leurs choix, bons ou mauvais.

Ramsar, Iran, 2007. Edranyita, membre de la communauté chrétienne iranienne, dans une station balnéaire de la mer Caspienne.

Bakou, Azerbaïdjan, 2006. Des filles préparent le thé après la messe du dimanche dans une église russe.

Ramsar, Iran, 2006. Un couple se photographie avec un téléphone portable sur les bords de la mer Caspienne.

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Istanbul, Turquie, 2006. Préparations pour une soirée de mariage.

Istanbul, Turquie, 2006. Une femme se couvre les cheveux avec ses rideaux en se penchant pour regarder dans la rue.

Mejvreskevi, Géorgie, 2006. Katie fait des études de graphisme à Tbilisi et revient dans son village le temps d'un week-end.

Agri, Turquie, 2006. Hediye et ses deux sœurs n'ont pas le droit de sortir de leur maison.

Jeddah, Arabie Saoudite, 2009. Des jeunes filles saoudiennes font du vélo à Durrat Al Arous, un village privé en bord de mer, où les lois saoudiennes ne s'appliquent pas. Une copie de la photo originale a été photographiée sous une lumière réflective afin de préserver l'anonymat des sujets.

Jeddah, Arabie Saoudite, 2009. Une femme saoudienne glande chez elle.