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On est allé voir les tunisiens sans papiers dans le squat de Botzaris (ou ce qu'il en reste)

À part un « trending topic » sur Twitter principalement animé par quelques grands engagés du combat et un sujet d'actu qui a l'air un peu casse-tête à comprendre, l'affaire Botzaris ne renvoie pas à grand chose pour la majorité des Français. Et pour cause : le dossier mêlant scandale passé (des documents compromettants pour l'ex-RCD de Ben Ali) et injustice d'aujourd'hui (des sans-papiers livrés à eux-même dans le parc des Buttes Chaumont) commence tout juste à être relayé par la presse.

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L'histoire #Botzaris36 débute pourtant dans les années 1990. À cette époque, la villa blanche (située au 36 rue Botzaris, donc) était, officiellement, un centre culturel à destination des expatriés tunisiens en France. En gros, un endroit où les Tunisiens de France était supposés pouvoir suivre gratuitement des cours d'arabe et les associations trouver des locaux pour leurs bureaux. En fait, cette baraque située dans le XIXe arrondissement était officieusement le siège du RCD en France, soit une antenne de surveillance au sein de laquelle se trouvaient des mecs employés par Ben Ali : des indics et des types chargés de foutre la merde dans les réunions d'expats. Le 36 rue Botzaris, de fait, dépendait donc davantage du ministère de l'Intérieur tunisien que du ministère des Affaires Étrangères en France. Le meilleur moyen pour le dictateur de s'assurer une désolidarisation de ses expatriés et de mener à bien une politique répressive à l'égard de ses ressortissants. Oh, et tout ça sous l'œil complaisant du gouvernement français, bien évidemment.

Ce secret d'État aurait pu rester caché encore longtemps si le 31 mai dernier, des migrants tunisiens venant de Lampedusa n'avaient pas pénétré le bâtiment consulaire pour s'y réfugier. En effet, les harragas ont mis la main sur une série de documents classés confidentiels - en gros, des pièces à conviction qui auraient de quoi faire encore tomber quelques têtes au sein des cercles benalistes.

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Mes potes Thibaut et Manu, présents sur les lieux depuis maintenant une semaine, ont eu la chance de pouvoir entrer dans la villa quand elle n'était pas encore fermement interdite au public. Ils y ont ramassé des listings un peu obscurs, des déclarations d'impôts, une cassette vidéo contenant le film d'un mariage au bled, et des goodies Ben Ali hyper déconneurs.

Entre temps, ça a été le bordel : les journalistes ont voulu s'arracher les archives, une asso s'est constituée dans le but de rassembler les pièces sensibles, quelques Tunisiens ont essayé de revendre ce qu'ils ont ramassé (à raison de plusieurs centaines d'euros le dossier). Ce qui était un squat est devenu une attraction politico-scandaleuse. Et ce qui devait arriver arriva : les Tunisiens ont fini par être expulsés à grands renforts de CRS. L'Ambassade de la Tunisie en France a justifié la procédure sur son site en affirmant que les locaux ont dû être évacués « suite à la dégradation des lieux, des actes de vandalisme, de violence et de plaintes de voisins » Mais il n'est pas difficile de comprendre que ce qui a surtout inquiété les pouvoirs, c'est vraisemblablement la divulgation des fameuses pièces sensibles. D'autant plus que le lieu a été placé en extra-territorialité assez rapidement, ce qui en fait une propriété tunisienne impénétrable pour tout juge d'instruction.

Cette photo m'a valu une altercation avec les vigiles de la villa. « Vous nous avez demandé la permission avant de faire ça ? », ce à quoi j'ai répondu que la « voie publique appartenait à tout le monde » avant de me faire dégager sans plus d'explication.

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Depuis la semaine dernière, les migrants squattent le parc des Buttes juste en face et la villa est surveillée H24. On ne comprend pas bien où ces histoires de documents incriminants en sont, mais tout ce que l'on sait, c'est que c'est bien la merde en ce moment pour les Tunisiens des Buttes Chaumont. On a été constater leurs conditions de vie et discuter avec eux.

Quand j'arrive dans le parc, je trouve dès l'entrée, assis sur un banc, cinq mecs visiblement lessivés de tout. Ils m'apprennent que quelques heures plus tôt, les flics ont déboulé pour éventrer leur campement. C'est donc sous la tonnelle que les Tunisiens dormiront désormais.

Paul, l'un des deux leaders du soutien aux harragas, m'explique que le déploiement des forces de police était quasi militaire : « un mec en haut de la colline, en retrait pour tout superviser + une rangée de flics pour empêcher l'accès au campement et, plus bas, des policiers armés de couteaux, chargés de déchirer les tentes. » Quand je lui demande où se trouve Elisabeth (le second leader), il me dit qu'elle est quelque part dans le parc, en train de dormir sous Xanax pour rattraper sa nuit blanche de la veille.

Paul me conduit ensuite à l'aval de la colline pour constater les dégâts. Alors qu'on dévale la pente, il me confie : « j'ai la chance d'être entre deux jobs en ce moment, ça me laisse le temps de rester avec eux et de les soutenir. Mais début juillet, je suis censé retourner au taf. J'espère que la situation va s'améliorer d'ici là et qu'ils n'auront plus besoin de moi. Mais ce n'est malheureusement pas parti pour… »

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Cette photo montre l'entrée de l'ex-campement, qui se trouvait à la lisière de la grande pelouse, près du grillage. Paul commente : « les agents de sécurité du parc sont plutôt coopératifs. Ils ferment l'œil. »

En me rapprochant, je constate que les flics avaient effectivement tout saccagé. Une odeur de menthe un peu sucrée envahit nos narines ; je suppose alors que des sirops pour la toux ont été renversés et imbibent le sol.

Paul attire mon regard sur le monticule de médicaments par terre. « Les flics n'ont pas voulu me dire s'ils avait été envoyé par la Mairie de Paris ou non*. Mais comme tu vois, c'est vraiment le bordel. » Et il secoue la tête, l'air dépité. Deux types nous rejoignent, je ne parviens pas à deviner s'ils sont journalistes ou juste venus là au nom de l' «initiative citoyenne ».

*on apprendra plus tard que la police est intervenue sur ordre du Préfet, motif : « plaintes du voisinage et dégradation ».

Vous voyez le gros trou au milieu de la tente ? C'est le résultat des coups de couteau donnés par les flics. On n'est pas arrivés à savoir si cette attaque était justifiée ou non ; probablement pas.

Dans les buissons alentours, je trouve ce grand sachet Franprix, avec, dedans : une grosse casserole de ce qui s'apparente à du riz à la tomate, du pain rassis et un paquet de petits beurres entamé.

Plus loin, des sachets de riz précuit, des couverts en plastique, des assiettes en carton et des brosses à dents, lancées là à même le sol. Ils ont été ramenés par des « citoyens solidaires » du quartier. À noter que sur place, il n'y a pas de réchaud, donc tout ce que les Tunisiens mangent, ils le mangent froid, même ce riz à la tomate dégueu de marque Uncle Bens.

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Là, c'est le coin garde-robe du squat. Dans ces valises sont empilés une partie de leurs vêtements. Il y a quelques jours, certains ont essayé de pénétrer le 36 rue de Botzaris à coup de poubelles, pour récupérer leurs affaires restées à l'intérieur. Il faut dire que la plupart des hagarras ont économisé jusqu'à plusieurs mois de salaire local et/ou ont endetté leurs familles, pour pouvoir payer des passeurs et traverser la Méditerranée. Les quelques fringues qu'ils ont pu prendre avec eux sont à peu près le seul truc qu'il leur reste ici.

Ceci est un matelas après le passage de ces gros cochons de flics.

Après, on a remonté la pente pour rejoindre le haut des Buttes. En marchant dans l'herbe, je constate la présence, ci et là, de Tunisiens par groupe de cinq ou six. Je me dirige vers le groupe le plus proche de moi, et les mecs ont l'air hyper contents de rencontrer une nouvelle personne : « On dirait que les médias français n'en ont rien à foutre ! On a parlé avec moins de dix journalistes pour le moment. Alors ça fait plaisir de voir une nouvelle tête », me dit celui qui parle le mieux français. Je discute avec eux, assise sur un drap blanc, et leur file des clopes - cette idée les réjouit. Le groupe semble à la fois exténué et énervé. « On sait pas où on va dormir ce soir. Tous les gymnases sont complets ! »Le plus jeune de la bande s'exclame « La France, c'est de la merde. On n'est rien, là. Même les noirs ils vivent mieux que nous ! », l'air hyper offusqué. Le badaud à côté de moi (un Français venu par curiosité, à la sortie de son taf, encore avec son attache-case) s'exclame : « Faut pas dire ça. C'est du racisme ordinaire ! » Les Tunisiens ne réagissent pas à sa petite réflexion mesquine, et restent assis là. Je me casse.

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Tout en haut de la pente, je tombe sur ce groupe d'artistes venus « peindre Paris », soit le truc le plus blanc à faire quand des mecs sont en train de crever de faim juste en dessous.

Sous la tonnelle, on trouve quelques amas de couvertures et des gros plaids. Paul me raconte qu'il y a quelques jours, une fillette y est venue fêter son anniversaire. Comme il s'était mis à pleuvoir, les Tunisiens et la famille de la petite se sont retrouvés à partager ce coin au sec, et apparemment, cette micro-expérience de vie en communauté aurait même donné lieu à une « rencontre ».

Là, c'est le coin bouffe du squat. Comme vous pouvez le constater, les réserves ne sont jamais énormes. Du coup, des appels à la solidarité sont fréquemment lancés sur Twitter via le hashtag #Botzaris36. Au moment où je prends cette photo, un mec arrive avec dans ses bras une dizaine de baguettes de pain. Les Tunisiens ont l'air contents.

J'ai pas mal discuté avec ces deux mecs. Impossible de les arrêter, d'ailleurs. Ça leur faisait visiblement beaucoup de bien de pouvoir se plaindre auprès d'une personne extérieure à leur groupe. Ils m'ont dit « quand vous venez chez nous, tout est parfait. La plage, le soleil, le thé à la menthe, le couscous, les balades en chameaux. Et nous, quand on vient ?! On est maltraités. La France, la merde. Sarkozy, la merde. » Ces mecs ont la vingtaine, à peine, et sont sappés comme beaucoup de mes potes : baskets, jean Levi's, sweat. C'est un peu déstabilisant de se rendre compte qu'ils auraient pu être n'importe quel jeune en France, mais qu'en attendant, ils dorment par terre, mangent des quatre-quarts Lidl à longueur de journée, et n'ont rien d'autre à foutre que de regarder passer les joggeurs du parc. À part ça, ils ont dû m'appeler "cousine" une bonne cinqualanntaine de fois.

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En partant de la tonnelle, je croise un mec aux longs cheveux blonds qui sent le savon de Marseille. C'est un étudiant en socio, venu distribuer des listes de bain douches et d'endroits où manger de la chorba gratuitement à Paris. Le mec est visiblement très ému par la scène. Il propose de former une équipe pour assurer une permanence au parc. « Dans le cas où les keufs reviennent saccager le campement, il faut absolument qu'on soit présent pour prendre les altercations en photo. Il faut des preuves de leurs comportements. »

Un peu plus bas, je tombe sur ces deux personnes. Celui avec sa sacoche marron dit avoir des fonctions dans un « très petit parti politique », ce qui entraîne un petit ricanement dont je n'ai toujours pas saisi le sens. L'autre est un journaliste tunisien, venu faire un reportage pour son hebdomadaire avant de repartir au bled le soir-même. On discute de l'état de fatigue des Tunisiens et du fait que certains se sont même battus, hier soir. « Faut pas que l'incident se répète. Sinon, ça donnera de vraies raisons aux flics de les foutre en détention », lance un mec qui nous rejoint.

Près de la sortie, je croise un jeune en survet et TN aux pieds. Je lui demande s'il fait aussi partie des hagarras. « Nan, je suis un zonard, je viens de Sarcelles. Mais je squatte le parc en soutien à mes frères. Je dois être présent, c'est un devoir. C'est ma race, tu comprends.» Quand je quitte finalement le parc, il se met à pleuvoir. C'est encore une sale nuit qui attend les Tunisiens.

Update de dernière minute :

- Un « relai d'information citoyen contre l'omerta médiatique » a été crée : http://www.botzaris36.org/

- Paul a été physiquement menacé. Il a décidé de ne plus dormir à Botzaris pour le moment http://www.botzaris36.org/2011/06/pourquoi-je-suis-alle-reste-et-ai-quitte-botzaris36/

- La solidarité citoyenne continue de s'organiser, mais les migrants n'ont toujours pas de toit.