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À Paris aussi, les pro-Morsi réclament le retour du président islamiste

Cette nuit du mercredi 14 août, de nouveaux affrontements ont éclaté au Caire, en Égypte, entre la police égyptienne et les partisans de l'ancien président Mohammed Morsi.
Place de la Nation, le lundi 5 août à 17h

Cette nuit du mercredi 14 août, de nouveaux affrontements ont éclaté au Caire, en Égypte, entre la police égyptienne et les partisans de l'ancien président Mohammed Morsi, leader des Frères Musulmans. Ces derniers occupaient en effet depuis plus de six semaines plusieurs endroits stratégiques dans la ville et n'ont pas vu venir les forces policières qui les ont virés à coups de pompes, matraques et fusils d'assaut. Reuters fait déjà état de plus de 40 morts et 98 blessés, tandis que les Frères Musulmans, eux, revendiquent l'assassinat de plus de 500 partisans.

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La semaine dernière, avant cette nouvelle effusion de sang, plusieurs dizaines de manifestants pro-Morsi s'étaient rassemblés sous mes fenêtres, place de la Nation à Paris, arborant drapeaux, pancartes, banderoles et enceintes stéréo. Comme des milliers d'Égyptiens au même moment, ils étaient descendus dans la rue afin de condamner la destitution par l'armée égyptienne de l'ancien président Mohammed Morsi le 3 juillet, et réclamer son retour au pouvoir.

Postés dans un coin de la Place entre quelques joueurs de pétanque, une trentaine de flics français et des vieux ravis de voir un peu d'animation en ce calme mois d'août, ils étaient ce soir-là une bonne cinquantaine – dont seulement quatre ou cinq femmes tenues à l'écart – à avoir répondu présent à l'appel du Collectif Français pour la Défense de la Démocratie en Égypte. Depuis le début de l'été, ce collectif organise régulièrement des manifestations dans différents endroits de la capitale, rassemblant parfois jusqu'à plusieurs centaines de personnes, égyptiennes ou originaires d'Egypte pour la plupart.

Parmi elles, Mona, une Franco-Égyptienne de 16 ans, est présente à tous les rassemblements. Si elle a décidé de passer ses soirées d'été à espérer le retour de son homme politique égyptien préféré, c'est qu'elle estime que « les Égyptiens qui ont, pour la première fois de leur vie pu élire démocratiquement leur président en 2012, se voient aujourd'hui dépouillés de leur vote. » Couverts par la sono qui crache de la musique arabe jusqu'à l'autre bout de la Place et les chants « Sissi assassin, Morsi président » lancés par les manifestants, ses propos sont difficilement discernables. Je réussis néanmoins à comprendre que, comme beaucoup d'autres personnes, elle « ne soutient pas particulièrement les Frères Musulmans ». Sa présence ici s'explique plutôt par son « soutien à la liberté, à la démocratie et à la stabilité dans le pays. En tant que démocrate égyptienne, il est de mon devoir d'être ici en ce moment. »

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Elle m'explique par la suite que la manifestation a également pour but de « condamner l'attitude du gouvernement français, lequel n'a selon elle « pas réagi au coup d'État ». Avant de rajouter que l'on trouve autant de pro que d'anti-Morsi dans la diaspora égyptienne de France, tout aussi divisée sur la question que les Égyptiens au pays.

Mona au centre, lors de son discours

Ahmed, un commerçant d'une trentaine d'années, se présente pour sa part comme membre des Frères Musulmans. Drapeau égyptien entre les mains, il n'adhère pas à la dernière réponse de Mona. Pour lui, la diaspora, tout comme les Égyptiens sont « mobilisés en grande majorité derrière Morsi. Il est victime d'un coup d'État militaire injuste soutenu par Israël et l'Occident, et mis en place par la gauche laïque du pays. Celle-ci n'aurait jamais pu prendre le pouvoir par les urnes. » Il accuse également le mouvement d'opposition Tamarod – Rébellion, en arabe – instigateur de la pétition antigouvernementale ayant recueilli le soutien de 22 millions d'Egyptiens. « C'est un mensonge, une manipulation. Pour moi, c'est la cause principale de tout ce chaos. »

Interrogé sur les 12 millions de manifestants anti-Morsi présents Place Tahrir, au Caire, le 30 juin dernier, il me répond : « Ceux-ci reprochent des choses parfois justifiées au président – notamment d'un point de vue économique. Mais la grande majorité des manifestants ne réclamait pas un putsch militaire, simplement un changement dans sa manière d'exercer le pouvoir. »

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Il ajoute que, « depuis la destitution de Morsi le 3 juillet, le bain de sang et les centaines de morts qui en ont résulté, beaucoup de contestataires soutiennent désormais les Frères. Aujourd'hui, seul le retour de M. Morsi, élu l'année dernière avec 52% des voix (13 millions de votes) à la présidence, permettra le retour de la démocratie dans le pays. »

Avant de le quitter, il me demande si je soutiendrais l'armée française si celle-ci venait à renverser François Hollande. Gêné, je lui réponds par un sourire et décide d'aller voir ailleurs, alors qu'ils commencent à entonner en chœur « Médias français, montrez la vérité » – celui-ci me semble destiné – puis « À bas les militaires ! » et plusieurs autres slogans en arabe.

Plus tard, Faruk, un manifestant de 50 ans, constatant ma position de journaliste, vient me voir pour me dire que le régime de Moubarak « revient en force » et qu'il est important de « protester contre la volonté de l'armée de créer un État purement militaire – ce à quoi le pays a pu ressembler par le passé. » Son pote Abdil, 35 ans, qui souhaite des négociations entre les Frères et l'armée, ajoute que l'action et la répression militaire risque de « renforcer les islamistes », ce qu'il ne souhaite pas.

Abdil, 35 ans

À 20h, heure de fin de la journée de jeûne du ramadan, les gens, épuisés, commencent à se tirer pour se donner rendez-vous le lendemain à 17h, à Belleville cette fois-ci, pour un nouveau rassemblement. Décidés à « rester mobilisés tant que les frères et sœurs d'Égypte le seront », les manifestants parisiens devraient défiler encore quelques temps – les Frères Musulmans ayant appelé à maintenir les rassemblements pacifiques « jusqu'à ce que le pays revienne sur le chemin de la démocratie ».

Malgré l'ambiance bon enfant, tout le monde redoutait déjà un nouvel épisode sanglant au Caire, où l'idée d'une réconciliation nationale semble de plus en plus s'éloigner, et où une « constante menace de guerre civile » plane au-dessus de la ville, selon les manifestants. Que l'on soit d'accord avec leurs revendications ou non, les événements de la nuit passée leur donnent incontestablement raison. Aujourd'hui, il est difficile de prédire vers où se dirige l'Egypte, mais vu d'Europe, il est à craindre que la situation ne devienne de plus en plus pourrie.

@GlennCloarec

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