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Pourquoi je veux fuir l'Iran pour rejoindre la France

Emprisonné pour avoir soutenu l'opposition, continuer à vivre dans mon pays natal est désormais impossible pour moi.

Une manifestation anti-Occident le 7 juillet 2006 à Téhéran, en Iran. Photo via l'utilisateur Flickr Pooyan Tabatabaei

L'Iran n'a rien à voir avec les pays occidentaux. D'ailleurs, on nous a toujours appris à détester l'Occident. À l'école, tous les matins, il y avait quelqu'un pour nous en parler en mal. Imaginez, un professeur qui diabolise l'Europe et l'Amérique devant une rangée de petits garçons assis sur un banc. Beaucoup d'entre nous se sont mis à haïr la France, l'Allemagne, les États-Unis… Alors qu'à cet âge, nous avions en réalité aucune idée de ce qu'était l'Occident, le monde et la politique. Beaucoup de mes petits camarades sont tombés dans le piège des enseignants. Pas moi. J'avais l'habitude de regarder des chaînes de télé étrangères. Les films français, américains, le rap US et les discussions en ligne m'ont permis de m'ouvrir aux autres cultures. J'ai appris à réfléchir par moi-même, ce qui m'a fait devenir petit à petit la personne dérangeante que je suis désormais.

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Je ne me suis jamais vraiment intéressé aux hommes politiques de mon pays, mais j'ai toujours entendu des choses pas très jolies à leur sujet. Ça m'a grandement influencé sur le fait que, très vite, je ne les ai pas tenus dans mon cœur.

Pour moi, tout a commencé en juillet 1999. J'avais seulement cinq ans, mais je me rappelle que des étudiants manifestaient dans une université de Téhéran. Mon père était alors chauffeur de taxi. Il est rentré un soir l'air terrifié. Je l'ai entendu confier son effroi à ma mère. Je me souviendrai toujours de son regard… Un mélange de terreur, de tristesse et de colère. Ce soir-là, il avait vu comment la police avait mis fin à la manifestation étudiante en face de l'université. Il avait vu avec quelle violence les jeunes avaient été neutralisés et arrêtés. Cette répression et le désespoir ont duré jusqu'à juin 2009, mois lors duquel des élections présidentielles étaient organisées. Hossein Moussavi, candidat principalement soutenu par les jeunes, se présentait contre le président d'alors, Mahmoud Ahmadinejad. Il était moderne et réformateur. L'espoir était revenu. Moussavi était omniprésent, dans toutes les bouches et toutes les conversations. Il a sans doute été l'un des hommes politiques les plus populaires d'Iran. D'habitude, mes parents ne me parlaient pas de leur vote, mais là, c'était spécial. Comme je pense une grande majorité d'Iraniens, ils ont voté pour Moussavi. Avant l'élection, les rues de nombreuses villes du pays s'étaient remplies de sympathisants de Moussavi. Je pense que l'Iran n'avait jamais vu ça depuis bien longtemps. Ça peut paraître banal en Occident mais, en Iran, des gens dehors, qui chantent et crient des slogans en faveur d'une personnalité politique, c'est assez impressionnant. Même si j'étais trop jeune pour voter, j'ai suivi mes amis dehors et je me suis mis à manifester. On le faisait pour soutenir Moussavi, mais c'était aussi l'occasion pour nous de défier la police qui, pour une fois, ne bougeait pas et ne nous disait rien – en Iran, manifester est totalement interdit.

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« On [défilait] pour soutenir Moussavi, mais c'était aussi l'occasion pour nous de défier la police qui, pour une fois, ne bougeait pas et ne nous disait rien – en Iran, manifester est totalement interdit. »

Tout a changé le jour qui a suivi la défaite de Moussavi. Ahmadinejad a été étrangement réélu avec plus de 60 % des voix. Dès le lendemain matin de sa victoire, les kiosques ont été vidés des journaux qui l'avaient critiqué. Beaucoup en Iran ont cru et pensent toujours qu'il y a eu fraude. Dans l'après-midi, dans la rue, on entendait des gens hurler. J'ai couru pour les rejoindre, mais ma mère m'a vite rattrapé et giflé. Des gens beuglaient : « Down with dictator. » Je voulais me joindre à eux, malgré le danger. J'avais comme une rage au ventre. J'étais incontrôlable et j'ai finalement réussi à descendre, contre la volonté de ma mère. Ce que j'ai vu dépassait les limites du réel. C'était comme dans un film de guerre américain. Des hommes en moto poursuivaient les manifestants et les frappaient à coups de matraques. J'avais jamais vu une telle violence. Malgré tout, je me suis chaque jour rendu à ces manifestations. Je ne pouvais pas rester assis, les bras croisés, alors que la police traquait et frappait mes frères et sœurs.

J'ai reçu mes premiers coups en décembre 2009. Ce jour-là, les policiers ont déboulé de nulle part et m'ont frappé sur tout le corps. J'ai été arrêté avec d'autres manifestants. Je pense que, étant donné mon âge à l'époque – 15 ans –, ils ont estimé que je ne représentais pas une grande menace. J'ai été relâché quelques heures plus tard et les protestations ont rapidement pris fin.

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Quand j'ai eu l'âge de voter, en 2013, je ne l'ai pas fait. En mémoire à mes amis morts dans la rue et pendus, à ces gens emprisonnés et torturés, je ne suis pas allé prendre part à cette immense mascarade. Je n'avais aucune raison de voter. J'ai donc écrit tout ce que je pensais sur mon ordinateur et il m'est arrivé de tweeter en faisant référence à la précédente élection. Après la victoire de Rohani, je suis même descendu une nouvelle fois dans la rue pour protester en soutien aux prisonniers politiques.

Le lendemain, j'étais un des leurs. Je dormais tranquillement dans ma chambre. Ma mère était partie travailler tôt, comme à son habitude. La sonnette a retenti. J'ai ouvert et une dizaine d'hommes m'attendaient. Ils m'ont conseillé de les suivre d'un petit sourire malsain. Je les ai suivis dans leur voiture. Puis ils m'ont brusquement mis un masque sur la tête et nous avons changé de voiture. Je ne voyais plus rien, j'étais terrifié. Après quelques longues minutes de trajet, nous nous sommes arrêtés quelque part. On m'a fait descendre des marches dans ce que je croyais être une cave. Ils m'ont interrogé sur ce que j'avais écrit sur mon ordinateur, puis ont commencé à me poser des questions débiles des centaines de fois. Ils étaient violents. Ils voulaient que j'avoue avoir été payé par des groupes terroristes ou des pays ennemis pour combattre le gouvernement. Ils savaient pourtant pertinemment que tout cela était faux. Ils disaient qu'ils s'en prendraient à mes proches. Pendant des jours, ma famille n'a pas su où j'étais. La pire torture qu'il soit n'est pas physique, mais mentale. Ils ont tenté de me rendre fou en me hurlant que ma vie ne serait plus jamais la même et qu'ils feraient du mal à ma famille si je recommençais. Je préférais les simulations de noyade, l'électrocution et les coups à tous ces moments où ils évoquaient ma famille.

« Ils ont tenté de me rendre fou en me hurlant que ma vie ne serait plus jamais la même et qu'ils feraient du mal à ma famille si je recommençais. »

Certains jours, il me plongeait la tête dans les toilettes en me prenant par les cheveux et en me demandant simplement mon nom. J'ai passé des jours et des jours enfermés dans une pièce froide, les yeux bandés, recroquevillé sur moi-même tellement l'endroit était exigu. J'ai ensuite passé un mois en prison entouré de voleurs, de meurtriers et de dealers de drogue. Moi, le gamin de 18 ans, je me retrouvais dans un univers composé des plus vils instincts. En prison, tu apprends tout sur la vie et les pratiques de voyou – comment fabriquer du faux whisky ou comment braquer une bijouterie avec un pistolet en plastique, par exemple. Même si j'ai fait un peu de musculation, j'ai très vite dû me payer les services d'un garde du corps – je le rémunérais avec du coca et des gâteaux. Un jeune comme moi était la proie idéale pour tous les prédateurs sexuels.

Je doute que m'enfermer entouré de ces types était nécessaire. Voilà maintenant deux ans que je ne trouve plus le sommeil. Je revois encore leur sourire narquois et je revis les scènes de torture. Je me revois en prison, enchaîné. J'ai perdu près de six kilos. Depuis, je suis tout maigre et je n'arrive plus à prendre du poids. Tous les jours, je me sais surveillé, je ne suis jamais en paix et j'ai le sentiment d'être en danger. Où que j'aille en Iran, il y aura toujours quelqu'un pour m'enlever et me torturer. Je voulais devenir footballeur : c'est désormais impossible étant donné mon casier. J'ai commencé à apprécier l'art et le cinéma, mais tout ici est interdit. Je ne peux même pas accéder à des professions publiques et chaque ligne que j'écris risque de me renvoyer en enfer. C'est le livre de George Orwell, 1984, dans lequel le personnage principal parle de ses sentiments, qui m'a donné la force d'écrire ces lignes.

Je suis étudiant, mais je sais que c'est peine perdue pour moi. Je n'aurais le droit à aucun boulot. Ma jeune vie a pris fin le jour où j'ai été arrêté. Tout ce que je rêve et veux est illégal. Ma seule issue est la fuite. Je ne pense qu'à ça. Je n'ai plus la tête à me trouver une copine, fonder une famille et avoir des enfants. Tout ça est désormais loin, très loin.