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Poutine offre ses montres à des inconnus dans la rue

Du coup on se demande : comment fait-il pour avoir toutes ces montres ?

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Vladimir Poutine est un homme de symboles, le genre de mecs qui vous fait clairement comprendre qui commande (au cas où vous n’auriez pas compris : c'est effectivement Vladimir Poutine qui commande.) Quand il n'est pas le torse à l'air en train de combattre des poissons, traverser les plaines de Sibérie sans chemise à cheval ou de tirer à l'arbalète sur une baleine depuis un bateau à moteur – toujours dévêtu – il traverse les provinces russes pour distribuer des montres de luxe à des passants, systématiquement enchantés. Quand il est d'humeur plus extravagante, il se contente de les lancer du haut d’un pont.

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Officiellement, Vladimir Poutine gagne environ 140 000 euros par an, c'est – ridiculement – moins que François Hollande ou que David Cameron. Cependant, la collection de montres de Vladimir est estimée à plus de 600 000 euros, ce qui prouve que le président russe, possiblement, se fait de l’argent ailleurs.

Ce petit bijou à 500 000 dollars de chez A Lange & Sohne est la plus belle pièce de sa collection. La marque présente cette montre comme « une merveille sans pareil », très exactement comme son célèbre propriétaire russe. Juste à côté, on trouve une pièce un peu moins impressionnante, une Breguet Marine à 15 000 euros et quelques Blancpains – des daubes à 10 000 euros pièce. Le grand dompteur de poissons est également amateur de modèles Patek Phillipe (surtout celles en or blanc), marque dont le slogan aurait pu être suggéré par Jacques Séguéla : « Vous ne possédez jamais une Patek Phillipe – vous en prenez seulement soin pour la prochaine génération. »

Dans un pays qui a conduit le reste du monde à réutiliser le terme d’« oligarque », Poutine doit, chaque jour que Dieu fait, rappeler au peuple qui « est le patron » – que si jamais la Russie est un État mafieux, le Capo incontestable en est Vladimir.

Il utilise les montres comme accessoires de cette pantomime. L'opposition russe a tourné cette courte vidéo dans laquelle on peut voir, à 1'02, Poutine lançant une de ses horloges hors de prix dans du ciment. Celle-ci restera là, imperturbable, attendant d'être avalée par la masse grise. D'autres fois, il décide – manifestement, sur un coup de tête – de donner ses montres à des inconnus. Les heureux sujets qui apparaissent au début de la vidéo sont le fils d'un berger et un ouvrier de l'acier. Ils ont tous les deux reçu une Blancpain Aqualung estimée à plus de 8000 euros. Le fils du berger a reçu sa montre en faveur du pur arbitraire tandis que l'ouvrier est simplement « venu la demander » à Poutine. À l'image des Tsars russes qui offraient des œufs de Fabergé à leurs partisans, Poutine distribue ses montres.

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Vladimir, avec l’une de ses montres. (Photo via)

C'est en réalité une illustration parfaite de la façon dont le Président russe exerce le pouvoir. Comme le soulignait le Bureau of Investigative Journalism l'an dernier, Poutine possèderait une collection indécente de yachts, un palace à plus de 400 millions d'euros sur la mer Noire et détiendrait des parts dans trois des plus grandes entreprises de gaz et de pétrole russes. L'analyste politique russe Stanislav Belkowsky pense que Poutine pourrait peser jusqu'à 70 milliards de dollars, ce qui en ferait l'une des personnes les plus riches au monde. Tout cela est dissimulé autant que possible, mais Poutine sait que la richesse et le pouvoir sont bons amis. Et tandis qu’à un niveau global – et dangereusement débile – lui et ses associés pillent les ressources du pays, à un niveau local il fait preuve de son pouvoir en jetant des objets qui ne sont pour lui que de vulgaires babioles. « Je suis immensément riche, mais la richesse n'a aucun effet sur moi », précise-t-il.

Utiliser la richesse pour impressionner, terrifier et renforcer son pouvoir est une technique vieille comme le pouvoir, vielle comme la richesse. Dans son essai « Éloge de la Folie » publié en 1509, le philosophe néerlandais Érasme écrivait sur les nobles maisons qui organisaient des banquets afin d’afficher leur considérable richesse. Les invités prenaient place au milieu des victuailles, mais au lieu de s'asseoir pour se repaître, ils voyaient le banquet être détruit sous leur nez. Un nouveau tas de bouffe était alors ramené et les invités se mettaient à manger avec une idée en tête, celle que leur hôte était vraimentriche et vraiment puissant ; c'est l'équivalent culinaire du jet de montre dans du ciment frais.

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Ces modestes démonstrations en disent souvent long sur des choses plus grandes, et l'exercice du POUVOIR en est l’illustration la plus parlante – Foucault a assez écrit à ce sujet. Un jour, la mère d'un ami nous a raconté une rencontre avec le dictateur sanguinaire ougandais Idi Amin Dada. Kényane, elle travaillait, dans les années 1970, dans un hôtel de Nairobi ; un jour, celui qui s’apprêtait à conquérir l'Ouganda a débarqué avec plusieurs amis. Au cours du dîner, il a demandé aux hôtesses de ramener « plusieurs cages à la table ». Amin Dada a ouvert sa cage, laquelle abritait un petit singe. Il a attrapé l'animal, lui a éclaté le crâne contre la table et l'a dévoré.

Cette petite démonstration de brutalité gratuite augurait de celle avec laquelle Amin Dada a traité tout son pays ; c'est en suivant cette même idée que Vikings et Huns buvaient dans les crânes des ennemis dont ils venaient de couper les couilles. Poutine n'a pas le même goût qu’Amin Dada pour la violence sur les animaux, mais ses démonstrations de pouvoir sont analogues. Après tout, si vous êtes avec lui, vous serez grassement récompensé, mais si vous êtes une menace, vous serez, tout comme son opposant Mikhail Khodorkovsky, jeté en prison jusqu'à nouvel ordre.

Mais, la vérité c’est que toute cette gentille mascarade ne signifie qu’une chose, au fond : si vous prenez soin de votre peuple, vous resterez au pouvoir, et si dans le même temps, vous leur montrez qu'il ne faut pas jouer au con, ils cesseront ausside se soulever. L'histoire nous a déjà montré que le « peuple » dont il faut prendre soin ne désigne jamais la masse. Au VIIIe siècle, la dynastie des Mérovingiens a décliné parce que ses souverains – les fameux rois fainéants – n'avaient plus les moyens de graisser la patte de leurs partisans politiques. Ils étaient à court de pots de vin. Aux États-Unis, les porc barrel politicsservent à qualifier les marchés conclus entre représentants politiques et personnalités du monde des affaires, ces marchés où des votes s'échangent contre des contrats.

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Retournons en Russie, où le prix de la construction des routes a récemment été comparé au budget des routes annuel en Allemagne. La différence de prix était si grande que la Russie aurait pu se permettre de recouvrir toutes ses routes de feuilles d'or. À peu près au même moment, le maire de Moscou, Sergei Sobyanin, a décidé de refaire quelques-uns des trottoirs de la ville avec des briques afin de remplacer l'asphalte, qui relâchait, selon ses dires, des gaz toxiques lorsque « le soleil chauffait trop ». Heureux hasard, sa milliardaire de femme, aux commandes d'une grande entreprise de construction de briques, s'est avérée correspondre parfaitement à ce que cherchait le maire Sobyanin. Le bonhomme pouvait donc récompenser financièrement sa femme et en même temps protéger ses concitoyens d'une mort quasi certaine à cause de l'asphalte, revêtement couvrant pourtant à peu près toutes les routes du monde.

Il existe un autre modèle historique de leader, mais celui-ci est généralement ignoré et présenté de façon erronée. Il s’agit de Cnut, le roi danois qui dirigeait la Grande-Bretagne et la Scandinavie au début du XIe siècle, et qui aurait enseigné une leçon très célèbre à ses serviles courtisans en emmenant son trône jusqu'à la mer, emportant le pauvre souverain avec elle lorsque la marée est montée. Quand on m'a raconté cette histoire à l'école, le prof nous a dit que c'était le fait d'un roi arrogant qui pensait pouvoir plier la mer à sa volonté, mais en vérité, c'était tout le contraire. Cnut montrait à son peuple que son pouvoir avait des limiteset qu'il ne devait pas être traité comme un Dieu.

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Poutine, récemment courroucé à la vue d’un tableau le représentant aux côtés de Dmitry Medvedev dans lequel tous deux apparaissaient vêtus de sous-vêtements de femmes s'exposant à la lumière du jour qui point, ne peut, pour sa part, tolérer l'idée que son pouvoir possède ces limites. Il peut donner une montre à un passant, mais il ne peut lui concéder la moindre once de pouvoir. Récemment, la décision de son gouvernement de pénaliser l'homosexualité prouve sa recherche toujours plus grande de nouveaux groupes à oppresser et de nouveaux moyens d'exprimer son pouvoir. Il n'est pas le seul dans ce cas parmi les leaders mondiaux, mais c'est simplement dommage que lui et tant d'autres de ses homologues à travers le monde, ne s’inspirent pas plus de Cnut.

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