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LE NUMÉRO À FENDRE LE CƒUR

Bah dis Donk !

À la découverte de la pire merde anglaise du moment.

Vous pensez encore que la Grande-Bretagne a un avenir ? Faites un tour Ă  Burnley, dans le nord-ouest. Ce qui fut jadis une ville prospĂšre, spĂ©cialisĂ©e dans la manufacture de coton, amorce aujourd’hui la phase terminale de son dĂ©clin industriel, Ă  l’image du reste du pays. Des kilomĂštres carrĂ©s de logements saisis par la municipalitĂ© et vouĂ©s Ă  la dĂ©molition, un taux de chĂŽmage qui atteint des sommets, de nouveaux passe-temps populaires, comme la violence et la vente des prĂ©cieuses tuyauteries de cuivre des bĂątiments condamnĂ©s pour acheter du crack et de l’hĂ©ro. Burnley, aujourd’hui, c’est une ville fantĂŽme, sauf qu’on n’y croise pas les traditionnels cavaliers sans tĂȘte aux poignets et chevilles cliquetant de chaĂźnes. Juste des hordes d’édentĂ©s, de toxicos Ă©maciĂ©s qui nĂ©gocient ouvertement leur came dans la rue, le cul couvert de merde. En fait, Burnley, c’est plus un repaire de zombies qu’une ville fantĂŽme. DĂ©solĂ©.

Burnley c’est aussi, quelle coĂŻncidence, le berceau spirituel d’un nouveau genre de house music aussi hilarant que terrifiant : le donk. C’est pratiquement le seul genre musical Ă©coutĂ© par les jeunes du coin. Ceci expliquant peut-ĂȘtre cela. Dieu seul sait les dommages cĂ©rĂ©braux que le donk occasionne, ça doit dĂ©passer largement l’effet de la came. On verra bien. D’abord, un peu d’histoire
 On attribue la dĂ©couverte du son donk aux producteurs allemands du dĂ©but des annĂ©es 1990 comme Ultrabeat. C’est une espĂšce de musique flonflon arriĂ©rĂ©e et robotisĂ©e, qui prend naissance dans des boucles efficaces et entĂȘtantes qui recouvrent les beats. Un peu comme si vous Ă©tiez coincĂ© dans une usine de clous dirigĂ©e par une caillera qui scanderait des rimes incomprĂ©hensibles au-dessus du vacarme ambiant. C’est sans doute pour ça que l’autre nom du donk, c’est la « scouse house Â» (le scouse est un dialecte de Liverpool, quasiment inintelligible pour un anglophone qui ne serait pas du coin, ndlr). Et que serait une techno de merde sans son boys band ? Pour le donk, le groupe est tout trouvĂ© : Blackout Crew. Ils rappent Ă  propos de nichons, de bastons, de picole, de baise, de planter des gens, d’avoir une bagnole, de gober des ecsta, d’ĂȘtre le meilleur MC au monde et du cul des meufs, le tout avec un accent qui Ă©voque le personnage de Johnny dans Naked, version loubard. C’est peut-ĂȘtre pas l’idĂ©e typique que vous vous faisiez du boys band, mais leurs fans, c’est presque que des ados. Blackout Crew, quelle ironie, a vu le jour dans un centre communautaire pour « jeunes en difficultĂ© » du nom d’Harmony, dans la ville de Bolton. En gros, ça ressemble pas mal Ă  une MJC : beaucoup de contreplaquĂ©, une lumiĂšre crue, des tables de ping-pong et un stand de vente de sodas et de chips. Harmony a en sus quelques salles de rĂ©pĂšte et des studios d’enregistrement au fond du couloir, et tous les mardis et jeudis l’endroit se transforme en une version anglaise de 8 Mile. Des hordes de gamins s’y entassent, en survĂȘt customisĂ©, avec le logo Nike sur un crĂąne en partie rasĂ©. Ils rĂŽdent, essaient de prendre l’air mĂ©chant, et se lancent Ă  l’occasion dans une battle : ça consiste Ă  prendre le micro des mains de quelqu’un sur du donk, volume Ă  fond. Je ne comprends Ă  peu prĂšs qu’une ligne sur trois, sans doute parce que je suis un bouffon du sud. AprĂšs avoir observĂ© les Blackout Crew traĂźner avec leurs fans dans Burnley, on s’est prĂ©sentĂ©s Ă  eux. Ils ont tous baragouinĂ© un truc du style : « Vice ? ChanmĂ©. » Peu aprĂšs, nous les avons accompagnĂ©s Ă  une performance dans une boĂźte ouverte aux mineurs pas loin du centre-ville, oĂč ils Ă©taient attendus par des centaines de prĂ©pubĂšres rougeauds et transpirants, tous limite frappĂ©s de syncope dĂšs l’instant oĂč ils ont vu les fringues bling-bling et strassĂ©es de nos nouveaux amis Ă©tinceler sous les spots. Quand ils ont finalement jouĂ© leur plus gros hit, « Put a Donk on It », les filles se sont agrippĂ©es Ă  eux en reprenant chaque couplet comme un mantra. AprĂšs le show, des ados inquiets se sont mis Ă  bondir dans tous les sens et ont suppliĂ© les membres du groupe de signer des autographes. Parmi eux, un surexcitĂ© de 12 ans qui se surnomme lui-mĂȘme MC Scott, et qui nous a expliquĂ© que ses rappeurs prĂ©fĂ©rĂ©s Ă©taient « Eminem, 50 Cent et MC Dowie du Blackout Crew Â». Comme c’est si souvent le cas pour ces lĂ©gendes locales, les Blackout Crew, forts de leur envergure rĂ©gionale (personne en dehors du nord-ouest de l’Angleterre n’a entendu parler d’eux) semblent destinĂ©s Ă  plafonner au ras des pĂąquerettes du donk. Tous les membres vivent encore chez leurs parents dans des HLM.

Un jour, aprĂšs avoir vu les Blackout Crew se faire ovationner par la foule comme si on Ă©tait dans A Hard Day’s Night, on s’est rendus, pour bien comprendre notre douleur, dans la ville voisine de Wigan. Wigan hĂ©berge le disquaire le plus renommĂ© en matiĂšre de donk, Power Record. Dehors, des gamins Ă©coutaient des remix bootleg sur leurs tĂ©lĂ©phones portables. Ils faut savoir que des tracks tels que « Other Side » des Red Hot Chili Peppers, « I Kissed a Girl » de Katy Perry, ou encore, hum, « Wicked Game » de Chris Isaak, ont Ă©tĂ© repris version donk.

On a rĂ©ussi Ă  Ă©chapper Ă  une paire d’édentĂ©s de Salford qui venaient de finir leur tas de crack et on a pris des renseignements auprĂšs de Pam, l’une des propriĂ©taires de Power Record, une nana venue d’Écosse pour ĂȘtre au plus prĂšs du palpitant du donk. Elle nous a expliquĂ© qu’elle avait essayĂ© de vendre d’autres genres musicaux dans le magasin, mais en vain. « Si ça n’est pas estampillĂ© donk, les gens de Wigan ne veulent mĂȘme pas en entendre parler, a-t-elle continuĂ©. Les mecs qui aiment le donk sont des glands. Ils se gavent de stĂ©roĂŻdes, se rasent le torse et le crĂąne. Ils portent des joggings blancs et des shorts l’étĂ©. Â» Et les nanas ? « Quand elles vont Ă  une soirĂ©e donk, elles sont plutĂŽt Ă  poil, a rĂ©pondu Pam. Certaines sortent avec un bikini fluo et tartinĂ©es de maquillage, d’autres simplement en sous-vĂȘtements. Elles ont des bottes rigolotes et les cheveux crĂȘpĂ©s en arriĂšre. Ce genre de trucs. Â» Plus tard ce soir-lĂ  nous avons vu une bande de ces bien nommĂ©s « donkeys Â» (Ăąnes, ndlr) lors d’un set des Blackout Crew au Wigan Pier Nightclub qui, et c’est ce qui nous afflige, est le seul vrai club de Wigan, et qui ne joue plus que du donk. Il date des sixties, quand Wigan Ă©tait le berceau de la scĂšne soul dans le nord, ce dont on ne se souvient presque plus. La faute Ă  la culture rave, qui a dĂ©ferlĂ© Ă  la fin des eighties, quand des villes Ă  forte concentration de communautĂ©s africaines, comme Londres et Bristol, se sont mises Ă  Ă©couter de la jungle et de la drum and bass. Les gens de Wigan se sont insurgĂ©s, revendiquant comme leurs les percussions aryennes et la folle euphorie du happy hardcore, puis plus tard le donk. AccrochĂ©es Ă  leurs sachets de pilules autant qu’à leur vie, les classes ouvriĂšres blanches de Wigan et de Burnley ont Ă©tĂ© culturellement purgĂ©es de leur musique black, laissant des scĂšnes apocalyptiques en fermentation pour que s’épanouissent les carriĂšres des chanteurs de donk tels MC Grimzie, le MC number one du donk (enfin c’est discutable) de tout le nord-ouest. « J’ai compris que, dans des coins comme Wigan et Burnley, le public rĂ©agissait mieux si je disais les trucs les plus Ă©cƓurants qui me passaient par la tĂȘte Â», nous a-t-il expliquĂ©. Le morceau le plus connu de Grimzie s’appelle « Sexy Nun ». Les rimes chroniquent sa façon de sĂ©duire, violer, Ă©ventuellement mutiler puis assassiner une femme d’Église. Il aime Ă©galement tremper sa plume dans la sphĂšre politique, donner son avis sur des problĂšmes tels que l’occupation en Irak et l’immigration, via des phrases choc comme celle qui suit, extraite d’« Asylum Seeker » : « I am not racist, I’m just sick of this shit. A couple of years illegal, then next they’re raping your kids Â» (je ne suis pas raciste j’en ai juste marre de cette merde. IllĂ©gaux pendant deux ans, ensuite ils violent nos enfants, ndlr). D’accord. Violer. Rester lĂ  Ă  Ă©couter les conneries de ce chanteur de donk pendant sept heures d’affilĂ©e, ça donne un peu l’impression aprĂšs coup d’avoir Ă©tĂ© sodomisĂ© par une perceuse Black & Decker, par tous les orifices et en mĂȘme temps. S’il n’y avait pas eu ces cas d’euphorie sous ecsta sur le dancefloor, ces jeunes types grimaçants, crĂąne rasĂ© et torse nu, levant les cuisses avec une fĂ©rocitĂ© intimidante et bafouillant des conneries, on aurait qualifiĂ© ce show de lavement anal. Mais parce que les gens Ă©taient trop prĂ©occupĂ©s Ă  s’enfiler des cachetons et sniffer des trucs genre coke, MDMA, kĂ©tamine, ou plus probablement tout en mĂȘme temps, on a pu capitaliser sur une absence totale de queue au bar. Et le rare mĂ©lange de rave girls Ă  peine vĂȘtues d’une peinture corporelle fluorescente et de quelques-uns des pires voyous qu’on ait jamais vus constituait un bonus drĂŽle et bandant Ă  la fois. Et c’est pas comme si on Ă©tait les plus snobs du lot, contrairement Ă  ces mecs-lĂ . Merde. C’est comme si leurs gueules avaient Ă©tĂ© dĂ©figurĂ©es par des annĂ©es de baston, d’énormes cachetons et de stĂ©roĂŻdes Ă  dose de cheval. On pouvait presque sentir la came qui suintait de leurs pores. On a parlĂ© Ă  un monstre Ă©norme originaire de Liverpool, qui se disait fraĂźchement sorti de prison et qui s’était fixĂ© quelques objectifs tout Ă  fait humanistes pour la soirĂ©e : « Me dĂ©foncer (Ă  la coke) et me bourrer la gueule, et bourrer le cul d’une meuf. Â» Fais-toi plaiz, mon pote. Les mecs de Liverpool n’hĂ©sitent jamais Ă  donner dans le graveleux. Nous sommes restĂ©s une semaine entiĂšre parmi ces types du nord-ouest, et il nous est rapidement apparu que le donk Ă©tait le fond de casserole de la chaĂźne alimentaire dance, elle-mĂȘme Ă  son point le plus bas, et que les leaders comme les Blackout Crew et MC Grimzie, que Dieu les pardonne, festoieraient autant que ce serait possible. Et c’est exactement pourquoi on peut plus ou moins fermer les yeux sur leur cas. Bien sĂ»r que le donk a des failles. Il est virtuellement impossible d’en Ă©couter sans ĂȘtre mort de rire Ă  s’en pisser dessus, ou sans prendre d’énormes quantitĂ©s de came, ou sans vouloir s’arracher les oreilles. Mais au final, vous savez, ça a le mĂ©rite d’exister pour ces gamins. Qu’est ce qu’un loubard du nord-ouest sans avenir est supposĂ© Ă©couter de toute façon ? Ces putains de Coldplay ? Animal Collective ? Nan. Ils ont besoin du bonkbonkbonk dĂ©bile du donk. Ça reprĂ©sente trĂšs bien cette gĂ©nĂ©ration de gosses et la sociĂ©tĂ© qui les a crĂ©Ă©s : les totalement, dĂ©sespĂ©rĂ©ment, carrĂ©ment baisĂ©s. God save the Queen!