Roland-Garros est le plus grand parc d’attractions en France

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Roland-Garros est le plus grand parc d’attractions en France

Où s'entrecroisent ramasseurs de balles, oligarques russes et supporters de l'ombre.

Photos : Pierre-Luc Baron-Moreau

Mon rapport au tennis et à Roland-Garros est surtout esthétique. Il m’arrive de frapper quelques balles et j’ai été licencié de la FFT cinq semaines quand je devais avoir 10, 11 ans, mais rien de plus. Roland-Garros est un événement purement cathodique pour moi.

J’ai eu envie d’aller faire des images là-bas pour m’intéresser à autre chose qu’au sport : ce qu’il se passe sur le court, on le sait déjà. J’ai donc porté mon attention sur l’environnement et ce qui gravite autour. Comme tous les évènements sportifs de cette ampleur, on y voit une grosse machine marketing qui transforme le stade de Roland-Garros et ses allées en une sorte de parc d’attractions. Ce tournoi a beau être l’étape française du Grand Chelem et se dérouler dans Paris, je ne suis pas sûr qu’il y ait quoique ce soit de « typiquement français » là-bas – si ce n’est l’accent du commentateur Nelson Monfort quand il parle anglais.

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Depuis mes années collège, la compétition est une espèce de rendez-vous égoïste durant deux semaines entre le téléviseur et moi. Comme ça coïncidait avec mes périodes de révisions d’examens, je faisais d’une pierre deux coups : je me donnais bonne conscience en restant chez moi pour réviser et d’un autre côté je ne déprimais pas, puisque j’avais Roland-Garros en fond. Cette méthode était hyper efficace.

Je me rappelle d’une finale, celle de 2004, qui opposait deux argentins : Gastón Gaudio et Guillermo Coria. J’avais pris fait et cause pour Coria, sans avoir de véritable argument sportif pour justifier ce choix. Simplement, j’aimais bien son jeu, son attitude… Et surtout il avait un petit air de Joseph Gordon-Levitt, qui jouait dans Mysterious Skin à la même époque, mixé avec un truc à la Leo DiCaprio époque Titanic. Il a perdu face à son compatriote alors qu’il avait eu deux balles de match ! J’étais super déçu, alors que je ne le connaissais pas 3 heures avant.

Il est difficile de définir une journée typique à Roland. Parmi les 8,5 hectares de l’enceinte, la journée d’un spectateur lambda, celle d’une tête de série et celle d’un glacier n’ont pas grand-chose en commun. Les personnes « visibles » sont surtout celles qui sont reconnues : les tennismen. Ce sont les vraies stars de la Porte d’Auteuil, et on peut les croiser dans les couloirs si l’on a un peu de chance.

Les choses drôles ne manquent pas là-bas ; c’est souvent le cas lorsqu’on regroupe des milliers de personnes, souvent très différentes, dans un si petit espace. Il y a ceux qui sont là pour le tennis, et d’autres là parce que « c’est Roland-Garros » – et ça ne veut pas dire la même chose ! C’est un peu comme les turfers qui une fois par an, abandonnent leur PMU habituel pour se rendre au Qatar Prix de l’Arc de Triomphe et se retrouvent au milieu de femmes d’oligarques russes en robe Chanel. Le contraste visuel est en lui-même drôle et intéressant. Ce n’est pas forcément celui auquel on pense qui passe pour un imbécile.

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À Roland-Garros, c’est un peu similaire : il y a le père et son fils, passionnés de tennis et joueurs amateurs, qui sont venus ici une journée pour enchaîner les matchs. Puis il y a l’héritière ou la femme d’héritier qui elle est venue parce que c’est Roland-Garros, c’est-à-dire un événement mondain en plus d’être un événement sportif – et puis, le champagne des salons VIP n’est pas mauvais non plus.

Je crois d’ailleurs que je ne me suis jamais retrouvé dans un évènement où les gens bouffaient autant. Il faut dire que la seule alternative aux stands publicitaires et aux boutiques officielles, c’est la nourriture – et les gens s’en donnent à cœur joie. L’offre est ultra marketée. Entre les deux ou trois restaurants à accès « réglementés » accessibles uniquement avec un pass, les brasseries, les sandwicheries tous les 50m, les charriots à glaces tout les 20m et les vendeurs-volants avec leur panier de confiseries et boissons tous les cinq pas, il faut être un Suisse en période de jeûne pour passer à travers les mailles du filet. Et puis, quoi de mieux pour se sentir pleinement à Roland-Garros que de consommer TOUS les produits partenaires de Roland-Garros ?

Quoiqu’il en soit, pour moi le tennis n’est pas un sport de riches. C’est un sport regardé pas des millions de « gens normaux » et apprécié des riches. Si l’on prend souvent la question par l’autre bout, c’est que les sports « middle class » sont généralement des sports collectifs. Le tennis faisant figure d’exception, on aurait presque tendance à le qualifier de sport « CSP+ », alors qu’il est le sport qui compte le plus de licenciés en France après le football – 1 100 000 en 2011, très loin devant le basket et le rugby.

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L’image qui m’a le plus marqué de mon séjour, c’est celle de ces deux garçons, face à face, en train de manger leur burger-frites. D’abord, j’ai déclenché parce que je trouvais la scène assez bonne ambiance et comique – la symétrie était quasi parfaite ! Mais au-delà de ça, je pense qu’elle représente bien ce qu’est Roland-Garros pour les spectateurs. Là on peut penser que ces deux mecs sont des joueurs amateurs, venus – en tenue – admirer leurs idoles. Et en même temps, cette image montre qu’au-delà de l’aspect sportif, on vient à Roland-Garros pour partager un truc en famille, entre amis, on y va pour passer la journée et en reparler le soir-même au diner. C’est un peu comme aller à Disneyland ou au zoo, en fait.

Pierre-Luc Baron-Moreau est l’un des fondateurs et co-rédacteur en chef du magazine Congrats !. Une partie de ses boulots est consultable ici.