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L’hypnose m’a sauvé

Comment je me suis débarrassé de mes crises d'angoisse en visitant mon inconscient.

Photo via Wikimedia Commons

J'ai huit ans. Je suis en voiture sur l'autoroute avec mes parents. Soudain, je suffoque. Je sens ma poitrine comme enserrée dans un étau. Je respire de plus en plus fort. J'ai la tête qui tourne. Un grand vide s'installe en moi et j'ai subitement l'impression de tomber au fond d'un trou abstrait qui démarre au niveau de mon plexus. Ça ne s'arrête pas. Je panique. Je le signale à mes parents de ma voix de petit garçon : « ça va pas. Je n'arrive plus à respirer ». Ma mère se retourne et on s'arrête sur la bande d'arrêt d'urgence. Mes parents me calment. Je reprends peu à peu mes esprits. Je viens de vivre ma toute première crise d'angoisse.

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Entre 2003 et 2008, j'ai été le sujet d'un nombre conséquent d'attaques de panique – ou crises d'anxiété intenses – qui ont petit à petit affecté ma vie de tous les jours et ma vie sociale. Celles-ci me donnaient l'impression d'étouffer, de faire une crise cardiaque et de perdre le sens de la réalité. Selon Doctissimo, ces symptômes toucheraient entre 4 et 5 % de la population française. Les femmes sont souvent plus touchées ; pour trois cas, on compte un seul homme. Je fais partie de ceux-là. Au cours de mon adolescence, ces crises répétées sont finalement devenues invivables.

Las de chercher – et de ne pas trouver – de causes potentielles, j'ai commencé à me demander comment simplement combattre cette peur soudaine et irraisonnée. Ma mère m'a conseillé une forme d'hypnose médicale à même de régler ce type de troubles. Quelques semaines plus tard, je débutais l'hypnose ericksonienne.

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Mais revenons d'abord en arrière. Au retour des vacances d'été, tandis que j'entre en classe de CM1, ma famille et moi prenons rendez-vous avec le médecin de famille. Il parle de mes crises comme autant d'exemples de spasmophilie, une forme d'hyperventilation liée à un état d'anxiété modérée. Ce phénomène n'est reconnu qu'en France et en Belgique. Ailleurs, on appelle aussi cela « attaque de panique » ou crise d'angoisse.

Je vois également le psychologue scolaire. Il parle de la possibilité d'une légère inquiétude vis-à-vis de mes résultats à l'école. Je suis plutôt bon élève. La perspective de rapporter des mauvaises notes me « stresserait ». Je vais m'en tenir à cette explication pendant plusieurs années. Dans le même temps, on m'apprend à respirer dans un sac dès qu'une attaque se fait ressentir. Selon les mêmes indications sommaires, je peux aussi « m'allonger sur le dos pour me calmer ». J'apprends également qu'une attaque de panique peut survenir n'importe où et n'importe quand : lorsque je fais du roller avec des amis, en classe ou dans les transports.Les crises demeurant peu fréquentes, elles ne sont pas encore très handicapantes.

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Le truc que je ne sais pas encore, c'est que l'adolescence est un gros bordel pour tout le monde. On prend en même temps dans la gueule ce que l'on est, ce que sa famille est et ce que le monde est.

C'est avec la puberté que vont s'accentuer les troubles et que ma vie va prendre une tournure plus délicate que ce à quoi s'attendait mon mini-cerveau d'enfant. Le début de l'adolescence est pourtant jovial. Je découvre la joie des amis, des sorties, de la liberté après le lycée, et les filles. Le truc que je ne sais pas encore, c'est que l'adolescence est un gros bordel pour à peu près tout le monde. Une déferlante s'abat sur vous à un moment ou un autre. On prend en même temps dans la gueule ce que l'on est, ce que sa famille est et ce que le monde est. Ça fait beaucoup pour un seul chargement. Je n'ai pas dérogé à la règle. Vers mes 16 ans et demi, j'ai dû affronter un tsunami dans ma tête.

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Tandis que tout glissait, je me suis retrouvé à me poser 10 000 questions : pourquoi est-on là ? Que faire de ma vie ? Comment bien agir ? Pourquoi le monde est-il si pourri ? Réaction assez stupide – je suis alors officiellement adolescent, je vous le rappelle –, je me mets à reprocher tout cela à mes vieux. Ça donne lieu à des « si ça avait été comme ci », suivis de nombreux « si vous aviez fait ça ». Alors qu'ils n'y sont bien évidemment pour rien.

Ça va donc de mal en pis. Puis j'expérimente pour la première fois ce que l'on nomme communément une attaque de panique. Ce n'est plus seulement une sensation de manque d'air. C'est désormais une impression de crever qui me saisit à chaque fois. Mon cœur se met à battre très fort, mon champ de vision se rétrécit, la sensation d'avoir envie de vomir m'étouffe – puis c'est au cerveau de craquer. La peur de faire une crise cardiaque prend le dessus, la peur que les personnes autour de moi pensent que je suis fou, la peur de ne pas arriver à rentrer chez moi, la peur d'être ridicule, la peur de la peur. Mon monde s'est transformé en un monde de la peur. Tout le temps, et toute occasion, je me demandais si une crise n'allait pas se déclarer – pour rien, à chaque fois.

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Plus que l'intensité de ces attaques, c'est leur durée qui affecte aussi bien mon corps que mon intellect. Parfois, je dois combattre plusieurs heures avec mon corps et mon esprit pour être en mesure de les arrêter. C'est comme si vous vous prépariez à vous battre contre un ours dans une forêt, très longtemps, et que l'ours n'arrivait en fait jamais. Ensuite, il faut se reposer.

Dès lors, je redoute de prendre les transports. Je crains de me rendre dans des lieux clos et parfois, la flemme de sortir m'envahit. Pour autant, je refuse que ma vie soit dictée par cette pulsion. Je décide de consulter un médecin.

Le psychiatre se met à parler. « Vous fermez les yeux. Vous êtes bien. » Dans ma tête, je me dis que ça ne marchera jamais. Au mieux, je serai détendu, pas plus avancé qu'avec mes habituels exercices de respiration.

À 16 ans, je rencontre d'abord un psy freudien, lequel me permet de remettre un peu d'ordre dans mon foutoir intérieur. C'est nul de dire ça, mais grâce à lui, « je me suis mieux compris ». J'ai également mieux compris ma famille et le monde autour de moi. Cependant, si les crises d'angoisse se sont calmées, elles n'ont pas totalement disparu.

J'avais 21 ans lorsque ma mère m'a parlé d'hypnose pour la première fois. Elle m'a raconté l'histoire du fils de l'une de ses amies qui refusait depuis toujours de manger des légumes. Il a fait quelques séances et, miracle, il est devenu omnivore. Je me renseigne et trouve un médecin psychiatre. Car en effet, il s'agit d'un médecin. Il a fait des études de médecine et possède son diplôme, au contraire des nombreux magiciens hypnotiseurs qui courent également les rues. Parmi ses compétences, j'apprends qu'il est spécialisé dans l'hypnose ericksonienne.

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L'hypnose ericksonienne est une forme d'hypnose qui se caractérise par une approche souple et non-dirigiste envers le patient. Elle tire son nom de son créateur, le psychiatre et psychologue américain Milton Erickson. Elle se distingue également des autres types d'hypnose de par sa durée ; le traitement s'effectue en effet sur le court terme, entre trois et douze séances, et promet des résultats extrêmement positifs dans les plus brefs délais, même pour des problèmes dits lourds. Les risques de rechute sont également relativement bas.

Il n'empêche que je suis un peu sceptique en m'y rendant. Mon esprit rationnel me dit que ce n'est « pas possible ». Ça fait plus de dix ans que je me traîne ça. Je ne peux pas guérir par simple suggestion. D'un autre côté, je n'ai rien à perdre.

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Tout commence par une première séance où je ne suis pas hypnotisé. Je raconte au psychiatre ce qui m'amène et mon parcours antérieur. Il est convenu de se voir quelques jours plus tard. Le médecin me dit : « le mieux c'est de ne pas attendre, il faut mettre en place une solution. » Il porte de petites lunettes carrées et a l'air plutôt marrant. Un peu fou, aussi. Il a l'air simultanément fasciné et amusé par les troubles de ses patients. Par exemple, il est tout à fait capable de me faire des remarques à côté de la plaque de ce type : « lorsqu'on est capable de faire de longues études, on est aussi capable de se maîtriser. »

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C'est à la deuxième séance que les choses sérieuses commencent. Il me serre la main en coup de vent et m'expédie fissa au fond d'un fauteuil de cuir noir moelleux destiné à anéantir toute manifestation de stress. J'étends donc mes jambes sur un repose-pieds. Puis je me bascule en arrière.

Le psychiatre se met à parler. « Vous fermez les yeux. Vous êtes bien. Si vous le souhaitez, vous pouvez bouger un peu pour vous mettre à l'aise. Votre respiration se fait plus calme. » C'est le discours type de l'hypnotiseur. Dans ma tête, je me dis que ça ne marchera jamais. Au mieux, je serai détendu, pas plus avancé qu'avec mes habituels exercices de respiration.

Il poursuit. « Vous entendez les sons autour de vous, qui se font de plus en plus distants. Vos yeux vont vers le haut, puis ils vont soudainement tomber vers le bas. Des images commencent à défiler. Laissez-les venir. » Effectivement, ça se met à défiler dans ma tête, mais pas plus qu'avant de m'endormir. Rien de surpuissant jusque-là. Puis, il précise : « des ballons sont comme attachés à votre poignet. Un doigt se soulève, puis deux. Puis la main entière peut se soulever sans même que vous ne le souhaitiez. » Je ne souhaite rien en effet, mais c'est pourtant exactement ce qu'il se passe. J'ai du mal à y croire, mais ça marche. Ma main se soulève toute seule.

J'ouvre les yeux. Je suis là. Étrangement apaisé. Je suis comme sur un petit nuage, mais je ne sais pas ce qui vient de se passer. Quand j'arrive au niveau de la rue, je me sens plus léger.

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Mes paupières s'agitent peu à peu. Comme lorsqu'on est en train de rêver. Selon le psychiatre, c'est normal. Il me précise que « des soubresauts des doigts, des mains, des pieds peuvent advenir. Le corps se détend. » Il ajoute, et c'est là le cœur de l'hypnose, « votre inconscient a la capacité de se gérer. Faites-lui confiance. Vous respirez sans vous en rendre compte, votre cœur bat sans que vous agissiez. Votre inconscient gère cela seul. »

Des images continuent de défiler devant mes yeux : je vois mon quotidien, je vois mon enfance, mes amis, ma famille. Je réagis parfois plus à certaines d'entre elles. La séance se termine. Le psy me dit de revenir à moi, de m'éveiller. Il n'y a pas de décompte comme on peut en voir à la télé. J'ouvre les yeux. Je suis là. Étrangement apaisé. Je suis comme sur un petit nuage, mais je ne sais pas ce qui vient de se passer. Quand j'arrive au niveau de la rue, je me sens plus léger.

Lors d'une thérapie par hypnose ericksonienne, 6 à 12 séances suffisent en théorie à amoindrir notablement – ou faire disparaître – le trouble visé. Je retourne donc chez mon psy à lunettes carrées plusieurs fois. Je me laisse prendre au jeu. Les exercices varient : il peut s'agir de visualiser les images sur un écran intérieur, ou de trouver un endroit que l'on aime et de s'y ressourcer par l'imagination. Les séances sont plus ou moins intenses. Parfois, je ressors sans véritable mieux. Parfois, je sens que ça remue sévère. Les paupières bougent. Je vois des images qui arrivent et pense : « il faut que je maîtrise tout ça. » Puis après la courte bourrasque, le calme revient.

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Lors d'une séance, je souhaite mettre à l'épreuve l'hypnose et sa capacité de suggestion. Tout débute comme prévu. Je m'apaise. Puis au cours de l'exercice, le psychiatre m'indique : « votre bras droit va peu à peu descendre au fur et à mesure que défilent les images. » C'est ce qui se passe. Par pure provocation ou pour tester la force de l'hypnose, je décide alors de descendre le bras gauche. Et là, ça m'est complètement impossible. C'est comme si je forçais dans le vide. J'ai la sensation que mon bras gauche butte contre un poteau invisible. Je ne peux pas le descendre. Je sens que si je voulais m'éveiller, en cas de nécessité, je le pourrais. Mais bouger le bras à ce moment-là est vain. Il n'y a pas de doute : ça marche.

En tout, j'ai participé à huit séances au cours de la première session. Au terme de celle-ci, je ressentais une nette amélioration.

J'ai pu prendre à nouveau les transports en commun sans crainte, et vivre en dépensant moins d'énergie dans le combat contre mes angoisses. J'ai enfin pu souffler et me dire : « ah, je vais enfin m'occuper d'autre chose. » J'ai vécu sur deux continents et pris des avions dans tous les sens. Je n'aurai jamais imaginé cela à l'âge de 17 ans. Ça m'était impossible.

Je suis retourné chez mon psychiatre quelques années plus tard pour refaire trois ou quatre séances. J'avais pris un peu de plomb dans l'aile à l'occasion d'un boulot qui se passait mal. Je sentais que je me remettais à stresser, plus et plus vite que par le passé. Je retrouvais ici et là quelques symptômes – la respiration qui s'accélère, le cœur qui bat la chamade –, heureusement sans atteindre les sommets de paralysie que j'avais éprouvés par le passé. Un petit rappel et tout allait mieux.

Aujourd'hui, je sais que je demeure peut-être plus fragile que d'autres à certains moments de ma vie. C'est pourquoi je suis attentif au moindre symptôme, et que je fais attention à mon hygiène de vie. Je me suis mis à la méditation – sujet très à la mode si l'en est – afin d'entretenir ces acquis. Ça va. Ouais, globalement je dois reconnaître que tout se passe plutôt bien.

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