Que font les SDF parisiens en été, lorsque tout le monde les oublie ?

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reportage

Que font les SDF parisiens en été, lorsque tout le monde les oublie ?

Ce qu'il se passe dans la rue quand les assos sont en vacances et les abris fermés.

Toutes les photos sont de l'auteure.

Une soirée du mois de juillet, sur le parvis de la gare Saint-Lazare. Des groupes de jeunes s'amusent devant les portes d'entrée. Des cadres en chemisette attendent leur rencard devant L'Heure de tous, la célèbre œuvre d'Arman représentant une accumulation d'horloges. Des recruteurs tentent de récolter des dons pour des ONG. Des vacanciers tirent la gueule et leur valise en courant. Au milieu de toute cette agitation, de nombreux sans-abri errent et transpercent la foule en mouvement.

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Devant moi, un jeune homme titube, pieds nus. Il mendie un gobelet à la main. Un petit groupe de SDF boit de la bière le long du bâtiment. Un homme s'est endormi à l'ombre, sur un matelas en papier journal. Parmi les habitués du coin, Philippe, 58 ans, est assis au soleil sur l'une des chaises publiques de la place. Son petit chien, Europe, est couché à ses pieds. Le quinquagénaire écoute la radio sur son portable, les yeux entrouverts, la mine bronzée. Il a l'air en forme. Pour lui, l'heure n'est pas au départ en vacances.

« Été ou hiver, pour moi, ça ne change pas grand-chose, dit-il en souriant. Mais, au moins, il fait beau ! » Et Philippe de désigner sa tenue estivale, bermuda noir et t-shirt bleu impeccables. « Quelle que soit la saison, mon quotidien, c'est de chercher du boulot, précise-t-il. Je passe mes journées à déposer des CV à droite et à gauche, avant le calme du mois d'août. » Cet ancien chauffeur de poids lourds, au regard bleu perçant, raconte, sans entrer dans les détails, s'être retrouvé sans emploi trois ans auparavant, à la suite de la liquidation judiciaire de l'entreprise dans laquelle il bossait au black.

Après une série de galères, entre loyers non payés et trop-perçus à rembourser à la CAF, Philippe s'est retrouvé à la rue. Aujourd'hui, il espère retrouver un emploi et un domicile. Originaire d'Amiens, il a pas mal baroudé au cours de sa vie. Pourtant, il compte passer tout l'été à Paris. « Si je bouge, ça va compliquer la démarche de domiciliation que j'ai entamée », m'explique-t-il. Malgré son dégoût de la paperasse, il a décidé de remplir un dossier afin de toucher le RSA.

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Quand je lui demande s'il est plus facile d'être dans la rue en été qu'en hiver, Philippe fait la moue. « Le seul truc qui change en été, c'est que c'est moins simple de trouver de la bouffe, parce que les associations prennent des congés, me précise-t-il. Là, par exemple, je sais que les Restos [du Cœur, ndlr], qui s'installent d'habitude le soir impasse d'Amsterdam, ne viendront pas. Ça reprendra progressivement pendant le mois d'août ». Bien informé sur les différentes actions des associations parisiennes, il me donne un papier récapitulant les distributions des Restos en août, selon les jours de la semaine. Dans le coin, impossible d'opter pour les récup'. Quartier Saint-Lazare, aucun commerce ne donne ses invendus. Heureusement, une association est toujours présente pendant le mois de juillet. Au Cœur De La Précarité apporte des repas chauds plusieurs soirs par semaine rue de Caumartin, dans le 9 e arrondissement.

Ce jour-là, vers 20 heures, des groupes patientent devant la paroisse Saint-Louis d'Antin. Les nationalités sont diverses, les âges tout autant. Quatre Polonais carburent à la bière. Une vieille dame très maigre côtoie un jeune couple de Français avec un bébé. Quand la camionnette rouge d'Au Cœur De La Précarité débarque, tous se pressent pour recevoir riz, légumes, café et fruits. « Dans ce quartier, nous distribuons une soixantaine de repas, m'explique Shazad, bénévole. Durant cette période de l'année, on fait un peu plus attention car on sait que les Restos ne viennent pas. Avant, on distribuait devant la gare, mais on n'a plus le droit. Malheureusement, certains ne font pas le déplacement jusqu'ici », note-t-il avec regret. Et le jeune homme de poursuivre : « Le plus dur, l'été, ici, c'est pour les Roms. On les chasse des devantures du Printemps et des Galeries Lafayette à cause des touristes. »

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Philippe confirme ces propos. « En ce moment, il y a moins de monde dans le coin », remarque-t-il, avant d'installer son duvet devant les Galeries Lafayette Homme, comme tous les soirs. Solitaire, il occupe ses soirées d'été avec des romans d'aventure – ses préférés – ou en écoutant RMC – sa station favorite.

Toutes ses affaires, avant tout des vêtements et des papiers administratifs, tiennent dans un petit sac de voyage. « Comme ça, ça ne fait pas trop SDF, glisse-t-il. Pas question de me trimbaler avec une tonne de choses sur le dos, je ne suis pas là pour attirer la pitié. D'ailleurs, je ne fais jamais la manche. Quand je suis vraiment en galère pour acheter des croquettes à Europe, je mets ce gilet jaune. » Il sort un gilet de sécurité de son sac, sur lequel il a écrit au marqueur : « Je cherche du travail. » Pas question pour lui, non plus, de toucher à l'alcool.

Philippe a entamé ses démarches de domiciliation aux côtés des éducateurs de l'association Les Enfants du Canal – qui installe son bus deux fois par semaine entre les cars de touristes cours de la Reine, tout près du Grand Palais. Le véhicule est aménagé afin de pouvoir boire un café dans une ambiance conviviale. Pierre, éducateur, reçoit ceux qui le souhaitent dans un petit bureau installé à l'étage du bus. Pour lui, difficile d'avancer des généralités au sujet des personnes qu'il voit défiler pendant l'été, tant les profils sont différents. « Certains partent pour ce qu'on appelle des séjours de rupture – quelques jours en vacances avec des associations, précise-t-il. D'autres sautent dans un train et vont chercher un petit boulot dans le Sud. La plupart restent à Paris, soit parce qu'ils ne veulent pas bouger, soit parce qu'ils ne peuvent pas. »

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« L'avantage de l'été, c'est qu'on dort mieux. Après, quand je m'installe dans un parc et que j'essaie de me mettre à l'ombre, eh bien l'ombre, elle bouge ! », lâche en riant Lassaad, un sans-abri d'une quarantaine d'années rencontré dans le jardin qui entoure le Petit Palais. D'origine tunisienne, il se rend parfois dans le bus des Enfants du Canal, même s'il préfère la solitude. « Les gens de la rue sont tous zinzins », me dit-il, une bouteille de café froid à la main, café préparé le matin même grâce à son réchaud de camping. Celui qui se revendique scénariste et poète passe ses journées à déambuler dans Paris pour réfléchir à ses futures créations.

Pour d'autres, l'été donne l'occasion de se joindre aux festivités en plein air afin de faire des rencontres. Comme Antoine, un jeune croisé sur les quais parisiens, qui s'incruste d'apéro en apéro et accroche son hamac où il peut, avant de sauter dans les premiers bus du matin pour finir ses nuits.

Le parvis de la Gare Saint-Lazare

En tant que travailleur social, Pierre ne constate pas de grandes différences entre l'été et l'hiver, pour une raison toute simple : « Quelle que soit la saison, c'est la rue, pas le reste, qui tue », affirme-t-il. De fait, si on observe les statistiques établies par le collectif Les Morts de la Rue, on conclut qu'il n'y a pas plus de mortalité chez les SDF en hiver qu'en été.

Quant aux demandes d'hébergement en baisse, il est difficile d'en tirer une quelconque conclusion, puisqu'il y a moins de places l'été – les sans-abri le savent parfaitement, d'ailleurs. À ce sujet, la Mairie précise que durant l'hiver, des places d'hébergement supplémentaires sont ouvertes dans des bâtiments publics qui auront ensuite une autre vocation, ce qui explique cette baisse. Alors, certes, les conditions météorologiques semblent moins « rudes » au cours de l'été, mais les associations s'inquiètent constamment de la déshydratation qui guette les plus fragiles. « Actuellement, nous distribuons des gourdes et une carte des fontaines », me précise Pierre.

De son côté, Philippe supporte plutôt bien la chaleur. « Je me lave un jour sur deux au minimum. Je vais aux bains-douches, rue de Rome. Là-bas, il n'y a jamais grand monde, c'est gratuit et ça reste ouvert tout l'été », explique-t-il. La présence d'Europe à ses côtés lui interdit l'accès aux grands magasins climatisés. Pour tuer le temps et trouver un peu de fraîcheur, il se rend dans les parcs de la capitale. « Europe adore se baigner au Lac Daumesnil », me confie-t-il.

Mais, été comme hiver, les villes sauront toujours se montrer hostiles à l'égard de ceux qui ont le malheur de ne pas être dans la norme. À la fin du mois de juillet, une partie des chaises publiques sur lesquelles Philippe aimait s'installer ont été retirées du parvis de la Gare Saint-Lazare. Explication d'un agent de sécurité : « Les gens étaient gênés par les personnes qui s'installaient là. »

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