Les ados expatriés à Dubaï se défoncent au butane

Des bombes de butane et les ingrédients pour concocter un « spice mix », du cannabis synthétique. 

Hé, vous vous souvenez de vos 15 ans ? L’âge où il vous était impossible d’acheter de la weed et de commander une bière dans une boîte de nuit de seconde zone, tout ça à cause de votre voix de choriste ? Ce temps où vous contentiez de voler l’alcool de vos parents et de sniffer de l’oxygène pur ?

À Dubaï, l’accès à ces délicatesses est quelque peu restreint, alors les ados expatriés désireux de se cartonner la cervelle se sont mis à inhaler le butane des bouteilles d’essence à briquet. Aussi étonnant que cela puisse paraître, sniffer des vapeurs inflammables toxiques n’est pas très bon pour la santé. Si vous faites ça mal, vous risquez de vous geler les poumons – au moins 6 ados en sont morts ces dernières années. Certes, il faut toujours essayer de se contenter de ce qu’on a, mais sniffer du butane, c’est foutrement débile.

Afin de comprendre pourquoi les jeunes préfèrent sniffer du gaz mortel plutôt que d’attendre sagement l’âge de se procurer de l’alcool, j’ai parlé à « Steph » (les autorités de Dubaï ne rigolent pas quand il s’agit de drogue, il a donc préféré utiliser un nom factice), qui a passé trois ans à Dubaï avant de retourner vivre en Angleterre avec ses parents et ses deux sœurs. Un ami de l’une de ses sœurs est mort après avoir inhalé du butane.

  
Tout ce dont un ado expatrié à Dubaï a besoin pour passer une bonne soirée.

VICE : Salut Steph, quand est-ce que tu as entendu parler de la défonce au butane ?
« Steph » : La première fois, ce devait être en 2007. J’étais chez un ami. Il s’est ramené, s’est assis sur le plan de travail dans sa cuisine, a inhalé un peu de butane et là, il a complètement déraillé. Si je devais comparer l’effet, je dirais que les effets sont similaires à ceux du gaz hilarant, mais ça dure plus longtemps. T’es là, stoïque, et tu te mets à pouffer de rire en te tordant dans tous les sens, un peu paumé. Tes sens sont altérés et tu finis par rigoler, le visage caché dans tes mains. Mais contrairement au gaz hilarant, le butane peut te tuer sur le coup, ce qui est moins drôle. Et puis, c’est pas discret. T’as vraiment l’air défoncé : tes yeux roulent comme si t’étais possédé et que t’allait clamser dans la minute qui suit.

Ça a l’air drôle. Ça ne touche que les expatriés dans les écoles privées ?
D’après ce que je sais, ouais. Parce que les locaux peuvent se faire attraper avec de la drogue et s’en sortir avec trois fois rien. Ils ont tous un oncle qui connaît quelqu’un qui peut régler le problème en un rien de temps. Mais les ados anglais qui arrivent ici se rendent vite compte qu’il est impossible de choper quoi que ce soit, contrairement à ce qui se passe dans leur pays d’origine. Alors, c’est tout naturellement qu’ils se procurent des substances légales et qu’ils en abusent. C’est typiquement un truc d’ado. Anton, le copain de ma sœur, est mort après avoir sniffé du butane à 16 ans ; en général, t’arrêtes de ce genre de truc à 18 ans, quand tu peux rentrer en boîte facilement avec une fausse carte d’identité et des cheveux décolorés.

Anton Tahmasian, mort en 2010 après s’être défoncé au butane.

C’est comme le Poppers ou les ballons en Angleterre ?
Ouais, c’est l’équivalent de ce que prennent les gosses de 14 ans en Angleterre. Mais c’est pas du tout comparable. Je connaissais déjà les méfaits de la drogue lorsque j’ai vu mon pote sniffer, mais sur le coup, j’étais totalement déconcerté.

Tu m’avais aussi parlé de jeunes qui sniffaient du déo, non ?
Oui, beaucoup de gens le font. Tu vaporises une putain de dose dans un tee-shirt ou un sac, ce qui dégage du butane, et tu inhales.

Comment la police gère ça ? Si ça n'est pas interdit, ça doit être difficile d’agir.
La famille d’Anton est partie peu de temps après l’accident, par peur de représailles. Mais c’est plus parce que plein d'ados avaient bu de l'alcool chez eux à la soirée d'Anton – ça aurait pu les envoyer en prison – que pour cette histoire de butane.

Donc on peut rien prendre d’autre que du gaz dégueu à Dubaï ?
J’ai vécu deux ans à Dubaï sans jamais toucher à la weed, à l’alcool, à la coke – en somme, à rien. Et franchement, t’en as pas non plus vraiment envie quand tu connais les risques que tu encours. Une de mes amies s’est fait attraper en train de fumer un spliff sur la plage ; elle a pris deux ans de prison, mais elle s'est finalement retrouvée dans la prison familiale, ce qui était assez cool finalement.Elle avait la télé, c’est comme vivre cloîtré chez soi, sans payer de loyer et sans avoir à se faire à bouffer.

Une vue de Dubaï, vu que bizarrement, Internet ne propose aucune photo d’ado sniffant du butane.

OK, si tu dis que c’est cool. Les commerçants ont-ils arrêté de vendre du butane aux jeunes ?
Non, tu peux toujours en acheter partout et à n’importe quel âge. Il y a des supérettes où tu peux tout acheter à côté de quasiment toutes les mosquées. Quand t’y vas pour acheter des clopes, on t’emmerde pas si t’as l’air d’avoir plus de 12 ans. Pareil pour la peinture, la colle et le butane. Et beaucoup de commerces proposent des services de livraison. Alors tu peux glander chez toi, passer un coup de fil et te faire livrer du butane.

Je n’aurais jamais pensé qu’il était possible de se faire livrer de la drogue à Dubaï. C’est juste un truc pour se fendre la poire en soirée ou les gens deviennent dépendants au point d’en prendre avant d’aller en cours ?
Les gens deviennent accro et en sniffent de plus en plus — avant les cours, en intercours et même pendant les cours. Et puis c’est facile parce que l’odeur est assez neutre. Personne ne suspecte quoi que ce soit et l’odeur disparaît instantanément.

Comment on procède, exactement ? Parce que humer à plein nez un sac au fond d’une classe peut paraître quelque peu suspect.
Ça, c’est pour les vaporisateurs ; pour les bouteilles c’est différent. Tu vois ce bec sur le dessus de la bouteille que tu utilises pour recharger un briquet ? Tu le mets entre tes deux dents de devant, tu baisses la tête de manière à ce que ton menton touche ta poitrine puis t’appuies sur la bouteille pour que le butane se vaporise. Si tu le fais mal, ça va directement dans ta gorge, tes poumons gèlent et tu meurs.

Le bec de la bombe à coincer entre ses dents pour inhaler du gaz mortel.

Oh. Ça a beaucoup été relayé dans la presse ?
Pas vraiment. C’est dur d’en parler. Quand Anton est mort, les ados étaient tellement pétrifiés par la police que personne n’a voulu donner sa version des faits. La police n’a pas recueilli beaucoup de témoignages et personne n’ira parler directement aux médias.

Y a-t-il d’autres trucs que les kids utilisent à Dubaï pour se défoncer ?
Rien d’aussi atterrant que le butane. Y’a un truc qu’on appelle « spice », c’est une sorte de weed synthétique. Ça défonce et ça fait rire, mais j’en ai vu se taper de sacrés bad trips. Un de mes potes avait disparu après en avoir fumé ; je l’ai finalement retrouvé dans les toilettes en train de hurler que tout était trop blanc pour lui. Quand nous sommes montés dans le taxi, il hurlait qu’on allait trop vite, alors qu’on roulait à quoi, 30 km/h.

Ah, la jeunesse.
Le problème c’est qu’à Dubaï, ils font des mélanges avec tout. Ils fument du tabac ultra fort et le coupent avec ce qu’ils appellent de l’herbe de cannabis et un tas d’autres trucs bizarres. Ça dépend juste du mélange sur lequel tu tombes. Mon pote n’a pas eu de chance.

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