La Croisade du mentor de Black Lives Matter

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LE NUMÉRO DU JOUR MALADE

La Croisade du mentor de Black Lives Matter

Le soir du 27 septembre 1994, bien avant que l'Amérique ne connaisse Tamir Rice, Michael Brown, Akai Gurley ou Philando Castile, Nicholas Naquan Heyward Jr. s'est fait tuer par un policier à l'âge de 13 ans.

Nicholas Heyward Sr. se tient dans la cage d'escalier de l'immeuble de Brooklyn où un policier du NYPD a tué son fils de 13 ans, Nicholas Naquan Heyward Jr.

Cet article est extrait du numéro du « Jour malade »

Nicholas Heyward Sr. se tient sur le toit du 423 Baltic Street, à quelques pas de l'endroit où un policier a tué son fils de 13 ans en 1994 – bien avant que l'Amérique ne connaisse Tamir Rice, Michael Brown, Akai Gurley ou Philando Castile. Il balaie des yeux le paysage de Brooklyn – les gratte-ciel du Lower Manhattan au nord-ouest, la baie de New York au sud et les kilomètres de Kings County qui s'ouvrent à l'est, ponctués de flèches d'église et de châteaux d'eau – avant de me conduire dans la cage d'escalier où son fils s'est fait tirer dessus.

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La lumière de l'après-midi se déverse depuis la fenêtre surplombant le palier du 14e étage de ce bâtiment des Gowanus Houses, un ensemble de logements sociaux du Sud de Brooklyn. Nicholas Naquan Heyward Jr. et trois de ses amis jouaient aux gendarmes et aux voleurs le soir du 27 septembre 1994, quand ils décidèrent de se glisser à l'étage inférieur pour pourchasser les autres joueurs. Ils se mirent en file, faux pistolets à la main, prêts à descendre.

« Quand Nicholas a passé l'angle, raconte Heyward, il a vu l'agent. L'agent a crié [quelque chose comme] "Hé !" et Nicholas a dit : "On est juste en train de jouer, on est en train de jouer !" » Puis il y eut un coup de feu.

Le garçon fut touché à la poitrine par un agent de police noir, Brian George, un novice de 23 ans qui n'avait que deux ans de service à son actif. Nicholas fut conduit à l'hôpital en urgence, mais il était trop tard. Il mourut au petit matin.

« Quand c'est arrivé, c'était inimaginable pour moi que l'agent de police ne soit pas jugé responsable », dit Heyward, les yeux embrumés. Il n'y eut aucunes poursuites contre le meurtrier de Nicholas, comme ce fut le cas pour la plupart des 2 000 familles environ qui perdirent des proches sous les balles de la police dans les années 1990. Au contraire, le District Attorney (DA) de Brooklyn Charles Hynes décrivit sa mort comme un homicide justifié, et l'imputa au fusil en plastique de Nicholas.

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Suite à cette décision, Heyward renia Dieu et investit sa foi dans une croisade obsessionnelle longue de plusieurs décennies pour faire rouvrir l'enquête sur la mort de son fils. Les méthodes qu'il mit en œuvre et les organisations qu'il contribua à créer constituent un modèle pour le mouvement Black Lives Matter, pour sa rhétorique, sa stratégie, sa culture – tellement que depuis son émergence, des familles d'autres victimes se sont tournées vers Heyward en quête de conseils. Pourtant, malgré son zèle et les preuves substantielles qu'il a collectées, ce long combat n'a pour le moment mené à rien.

Aujourd'hui, vingt-deux ans après la mort de son fils, la justice semble enfin à portée de main. En février, alors que les protestations de Black Lives Matter montaient en puissance dans le pays, le nouveau DA de Brooklyn, Ken Thompson – premier Noir à occuper ce poste – fit une annonce très inhabituelle. Il promit de rouvrir l'enquête sur la mort de Nicholas Heyward Jr., de poursuivre en justice l'agent George si nécessaire et de déterminer si Hynes ou la police étaient en faute. Si George et la police sont finalement jugés responsables, cela pourrait constituer un jalon important dans le combat qui vise à mettre un terme à la violence d'État contre les Noirs américains, cela pourrait changer la façon dont les autorités locales traitent les cas de fusillades policières et amener une résolution à la longue quête de justice de Nicholas Heyward.

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Le soir de sa mort, Nicholas Heyward Jr. jouait avec des amis sur le toit du 423 Baltic Street, un bâtiment des Gowanus Houses, où il vivait avec sa famille.

Après la mort de son fils, Heyward se trouva soudain submergé d'affaires de policiers tuant des Noirs désarmés. « Peut-être que je n'y faisais pas attention avant, dit-il, mais après la mort de Nicholas ça ne s'est plus arrêté, les histoires s'enchaînaient. Je me demandais : Mais qu'est-ce qui se passe ? »

En 1994, la police était en train de se renforcer sur le plan fédéral. Le président Clinton venait de signer une nouvelle loi portant sur la criminalité, qui déployait 100 000 nouveaux agents dans des services de police à travers le pays. La guerre contre la drogue s'intensifiait et ses lois discriminantes sur l'application des peines – les drogues qui étaient le plus souvent consommées par les communautés minoritaires, comme le crack, étaient cent fois plus criminalisées que les drogues de prédilection des communautés blanches – contribuèrent à renforcer la criminalisation, déjà bien ancrée, de la couleur de peau. À New York, le chef de la police Bill Bratton et le maire Rudolph Giuliani entreprirent de mettre en pratique la théorie du « carreau cassé », encourageant les forces de l'ordre à se concentrer sur la délinquance, convaincus que cela permettrait d'éviter les crimes plus importants. Le taux d'arrestations pour des infractions mineures grimpa en flèche, touchant un nombre disproportionné de Noirs et de Latinos.

L'année de la mort de Nicholas, le nombre de civils tués par le NYPD augmenta de presque 35 %. La violence policière devint si préoccupante qu'Amnesty International enquêta sur les services de police et fit état d'« un sérieux problème de brutalité policière et [d']un recours à la force excessif ». Un an avant sa mort, Nicholas avait déjà fait l'expérience de cette agressivité. En octobre 1993, à l'âge de 12 ans, il fut arrêté à tort en sortant de son immeuble avec ses parents, son petit frère et son chien. Un agent lui braqua son arme en plein visage, le jeta face contre terre et le traîna au commissariat. Selon la plainte que la famille déposa auprès de la Commission de recours en matière de droits civiques (Civilian Complaint Review Board), l'agent qui interrogea Nicholas lui dit qu'il « lui enfoncerait un pistolet dans le cul et appuierait sur la détente » et qu'il « serait mort avant 15 ans ».

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Les agents de police étaient protégés par le poids que les lois américaines accordent à la peur d'un policier. En 1985, la Cour suprême estima que l'usage de la force létale par la police devait être « objectivement raisonnable ». Déterminer ce qui est « objectivement raisonnable » repose en partie sur le fait que le suspect représente ou non une menace immédiate. Mais comme l'avocat Chase Madar le fait remarquer, « Dans les tribunaux, il est devenu quasiment impossible de distinguer "l'objectivement raisonnable" des jugements subjectifs et à l'emporte-pièce de policiers paniqués. »

Les soutiens de Heyward affirment que dans le cas de Nicholas, le DA semble s'être donné beaucoup de mal pour démontrer que ce coup de feu faisait partie de ces cas de crainte raisonnable – et ce n'est pas un cas isolé. Aucun agent de police ne fut jamais jugé pour avoir tué un civil durant le mandat de Hynes, qui dura un quart de siècle.

À l'échelle nationale, la police tuerait au moins 700 personnes par an. Une enquête du Washington Post révèle que seuls 65 policiers ont été jugés pour des coups de feu entraînant la mort au cours des dix dernières années, et que seuls 11 d'entre eux furent condamnés. Il est difficile de déterminer si les violences policières se sont aggravées ou sont restées constantes depuis la mort de Nicholas en 1994. Le gouvernement fédéral ne tient pas le compte précis des morts, et les initiatives privées ne sont pas à la hauteur d'un tel décompte. Le Stolen Lives Project a recensé plus de 2 000 meurtres commis par les forces de l'ordre entre 1990 et 1999, qu'il s'agisse d'agents de forces locales, fédérales ou pénitentiaires. L'année passée, la police a tué près de 1 000 personnes, dont 90 n'étaient pas armées, selon le Post. Parmi celles qui n'étaient pas armées on trouve 40 % d'hommes noirs, bien qu'ils ne représentent que 6 % de la population.

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Nicholas est tombé nez à nez avec l'agent de police Brian George sur le palier du 14e étage. Ce dernier affirme que les lieux étaient mal éclairés, mais des témoins soutiennent le contraire.

Lorsque Heyward et son épouse, Angela Grant Heyward, rentrèrent de l'hôpital à l'aube, leur fils de 6 ans, Quentin, dormait encore. Lorsqu'il se réveilla et réalisa que son frère n'était pas là, il lui fit une carte de rétablissement. Il y dessina Spider-Man et Superman et écrivit à l'intérieur : « Guéris vite, Nicholas. Rentre vite à la maison. Tu me manques. Je t'aime. » Lorsque sa mère entra dans sa chambre et lui dit que Nicholas les avait quittés, son monde s'effondra. « La façon dont il a pleuré, je ne l'oublierai jamais », dit-elle.

Angela Grant Heyward ne fut pas autorisée à voir son fils avant qu'il soit sous anesthésie sur une civière. Quant à Heyward, il ne le vit pas du tout avant l'opération. Ils attendirent toute la nuit, pensant que leur fils leur reviendrait, brisé mais vivant. Mais vers trois heures du matin, les médecins annoncèrent à la famille que la balle avait fait trop de dégâts. Nicholas n'avait pas pu être sauvé.

Les médecins demandèrent aux parents s'ils voulaient qu'une autopsie soit faite. Ils dire oui et rentrèrent chez eux retrouver sa chambre vide.

Aujourd'hui, la chambre est une sorte d'autel à Nicholas ; elle sert aussi de bureau à Heyward. Lors de notre première rencontre, il me la montre. Des piles de documents légaux, des rapports de police, des coupures de journaux et des albums de famille sont empilés au sol. Des pancartes sont alignées le long des murs : justice pour nicholas heyward jr., flics assassins en prison, justice pour tamir – une référence à Tamir Rice, un garçon de 12 ans tué par un agent de police alors qu'il jouait avec un pistolet en plastique dans un parc à Cleveland. Des photos de Nicholas bébé, à 11 ans, à 12 ans, sourient depuis les murs. Son fusil en plastique repose près de la porte.

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Heyward ouvre un album rempli de photos de son fils. À mesure qu'il fait doucement défiler les pages, nous survolons la naissance de Nicholas, les fêtes d'anniversaires, les week-ends avec les cousins, pour finir sur les coupures de journaux et les photos de l'enterrement. Ce qui s'est passé dans la cage d'escalier semble gravé dans le visage du presque-soixantenaire – dans ses joues creusées, ses yeux, sa bouche figée d'un côté.

Ces quelques secondes définissent sa vie. Lorsque Hynes écarta toute possibilité de poursuites pénales contre George, Heyward intenta un procès à la ville et épuisa quatre avocats avant d'atteindre une résolution à l'amiable. Grant Heyward et lui créèrent une fondation au nom de leur fils, qui offre un encadrement pour les enfants. Il demanda que le parc des Gowanus Houses porte le nom de Nicholas. Il dit avoir écrit à Hynes et lui avoir rendu visite dans son bureau à plusieurs reprises, apportant de nouvelles preuves et tentant de le convaincre de rouvrir l'enquête.

Heyward demanda même au gouvernement fédéral d'ouvrir une enquête pour violation de droits civils. Le département de la Justice refusa de mener sa propre enquête, au motif que celle de Hynes était suffisante. Heyward demanda à faire entendre son témoignage devant le conseil municipal. Il écrivit à des membres du conseil pour leur demander de faire pression sur Hynes, ainsi qu'à des membres du Congrès. Il tenta de rencontrer Giuliani et Bratton et, plus tard, le maire Bill de Blasio, mais ne reçut aucune réponse. Il s'exprima dans des réunions à travers la ville, chez Ricki Lake et Geraldo, « dans des écoles, des églises, partout où l'on veut bien de moi », dit-il au New York Daily News en 1998. Aujourd'hui, il dirige des formations de « cop watch » (surveillance de la police) et organise une commémoration chaque année le jour de l'anniversaire de Nicholas, à la fin août. Heyward connaît par cœur les détails de toutes les bavures du NYPD depuis la mort de son fils et les récite comme des prières à qui voudra l'entendre. Il emporte le fusil en plastique à chaque manifestation contre les violences policières et raconte la mort de son fils, encore et encore.

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Nicholas (au centre, âgé de 10 ans) fut arrêté à tort à 12 ans à peine. Un agent de police lui a dit qu'il « serait mort avant ses 15 ans ». Photo publiée avec l'aimable autorisation de Nicholas Heyward Sr.

Pendant toutes ces années, l'obsession d'Heyward mit sa famille à l'épreuve. Grant Heyward tomba dans la drogue après la mort de Nicholas et passa des années à faire des allers-retours en désintox. Finalement, après une violente dispute liée à l'argent du procès civil, ils se séparèrent, avant de divorcer. Quentin, leur plus jeune fils, fut livré à lui-même sur le plan émotionnel.

En 2013, Heyward avait quasiment épuisé toutes les options dans sa quête de justice lorsqu'il découvrit que Ken Thompson se présentait aux élections pour devenir le nouveau DA de Brooklyn. Plus tôt au cours de sa carrière d'avocat, Thompson avait contribué à convaincre le département de la Justice de rouvrir l'enquête sur le meurtre d'Emmett Till, un adolescent de 14 ans tué en 1955. Cherchant à séduire les électeurs noirs de Brooklyn, dont les traumatismes quotidiens entrent en résonance avec celui d'Heyward, Thompson se rendit à la commémoration annuelle. Il promit à Heyward que s'il était élu, il rouvrirait l'enquête sur la mort de Nicholas.

Heyward avait déjà perdu foi dans les politiques électorales mais décida que, compte tenu de ses accomplissements passés, Thompson méritait qu'il endosse sa candidature. Il fit donc campagne pour lui, actionnant les leviers qu'il s'était fabriqués au cours de ces deux décennies d'activisme, et en novembre 2013, Thompson remporta une victoire facile contre Hynes.

Il y a trente-deux ans, quand la police tuait un enfant, il n'y avait pas de smartphones pour capturer l'horreur ni de réseaux sociaux pour la diffuser au monde. Il n'y avait pas de grand mouvement national pour descendre dans la rue et demander des comptes. Pendant un temps, Heyward eut l'impression d'être seul. Pendant un temps, dit-il, tous ses efforts ne semblaient que brasser du vent. « Les Blancs et les gens en général ne croyaient pas que la police tuait vraiment ces gens innocents, dit-il. C'était à devenir fou. »

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Mais quelques années après la mort de son fils, il devint l'un des premiers membres de la Coalition du 22 octobre, qui recense les meurtres de la police à travers le pays depuis 1996, et de Parents contre la violence policière, un groupe de familles de 12 victimes. Iris Baez et Margarita Rosario, mères de garçons tués par le NYPD, sont les fondatrices de ces deux organisations. Heyward contribua à fonder ces groupes précurseurs des réseaux Black Lives Matter qui se multiplient aujourd'hui à travers le pays. Depuis le début, il fut un mentor pour les autres familles new-yorkaises qui avaient perdu des fils, des frères, des neveux sous les balles de la police.

Heyward se rapprocha de certaines familles de victimes, notamment la mère d'Eric Garner, dont la mort par strangulation fut filmée sur un téléphone, des proches de Ramarley Graham, tué dans sa salle de bains dans le Bronx, une tante d'Akai Gurley, tué dans un escalier de HLM en 2014 dans des circonstances similaires à Nicholas, et le fils de Kenneth Chamberlain, un vétéran qui fut tué quand son système d'alerte médicale appela accidentellement le 911. Il aide ces familles à écrire aux élus, se joint à eux dans des rassemblements, et les conseille sur la manière de supporter la souffrance du deuil. La tante d'Akai Gurley, Hertensia Petersen, dit qu'elle a rencontré Heyward dans un rassemblement quelques jours après la mort de son neveu, et qu'ils se sont liés rapidement. « Je le vois comme un grand frère, dit-elle, et il m'appelle "frangine". Nous travaillons ensemble et nous soutenons dès que nous en avons l'occasion. » Heyward lui conseilla de faire appel de la décision du juge dans le procès du meurtrier de son neveu – l'agent fut jugé coupable de meurtre mais condamné à des travaux d'intérêt général, sans passage par la prison. Peterson soutient Heyward en lui rappelant de prendre soin de lui et de surveiller son hypertension. « J'essaie de lui dire : "Parfois, tu dois lever le pied et te détendre." »

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Heyward anime également un atelier sur la violence policière et comprend ce que cette violence à l'encontre d'une personne noire fait à l'ensemble de la communauté noire. Comme l'explique Khalil Gibran Muhammad, professeur d'histoire, race et politiques publiques à la Harvard Kennedy School, les violences policières affectent la communauté noire aujourd'hui de la même façon que les lynchages par le passé. « Le problème d'un point de vue traumatique, c'est que chaque lynchage a eu des répercussions dramatiques sur des milliers et des milliers de gens à proximité, parce que cela les renvoyait à leur déclassement social, dit-il. C'est la leçon que continuent d'apprendre des générations de jeunes Noirs dans ce pays. »

Kei Williams, l'un des dirigeants de l'antenne new-yorkaise de Black Lives Matter, qui travaille avec Heyward depuis deux ans, dit qu'il a un rôle déterminant au sein du mouvement. « Il vient à chaque rassemblement, chaque réunion », me dit Williams en août. Heyward défile et manifeste toujours, à peu de chose près, dans la même tenue : un t-shirt portant un slogan anti-violence policière ou une image de révolutionnaire noir, un bracelet Black Lives Matter, parfois un badge avec le visage de son fils, une casquette et ses lunettes à la Malcolm X.

Pour Williams, Heyward apporte sa compréhension de l'histoire et du système, et la connaissance intime des politiques locales qui manque aux autres organisateurs. C'est également ce que pense Josmar Trujillo, cofondateur du groupe New Yorkers Against Bratton et membre de l'équipe travaillant à la réouverture de l'enquête sur la mort de Nicholas. « Il connaît le système, toutes ses forces et ses faiblesses, dit-il. De tous les gens que je connais ou presque, c'est lui qui a la meilleure perspective. »

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« Il a aidé à fonder [ce mouvement] », dit Baez, qui a rencontré Heyward en 1995, à un rassemblement pour son fils. « Sans sa fermeté et sa force, le mouvement ne pourrait pas progresser. C'est un vrai combattant. »

Ce qu'Heyward a apporté au mouvement, le mouvement le lui rend, attirant sur son affaire plus d'attention et de crédibilité que par le passé. Black Lives Matter a éduqué l'opinion américaine, et aujourd'hui « les gens croient plus volontiers que la police ment », dit Roger Wareham, un avocat qui présente régulièrement aux Nations unies les preuves d'atteintes aux droits de l'homme dont sont victimes les personnes de couleur aux États-Unis et apporte ses conseils à Heywards.

Si le meurtre de Nicholas aboutit à une condamnation ou à la reconnaissance d'une bavure, cela pourrait faire évoluer les politiques au sein des bureaux de procureurs. Marc Fliedner, l'ancien directeur du Bureau des droits civils du DA, qui dirigeait l'enquête sur la mort de Nicholas jusqu'à sa démission début juin, dit qu'il est possible que l'enquête mette à jour des failles importantes dans les lois qui gouvernent la gestion de ce genre d'affaires, et ajoute que ces leçons pourraient établir un précédent pour les autres juridictions à travers le pays.

Plus important peut-être, selon Williams, une condamnation « permettrait aux familles de faire leur deuil, leur apporterait un certain réconfort » et ferait savoir aux activistes qu'ils sont entendus.

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Si le mouvement Black Lives Matter a attiré l'attention sur la mort de Nicholas, il est également probable que Thompson ait obtenu des preuves que le meurtre a été couvert. Kharey Wood, l'un des autres gamins qui jouaient sur le toit ce jour-là, dit qu'au moment où Nicholas passait l'angle, la porte du 14e étage s'est ouverte et qu'il a entendu quelqu'un dire : « Hé ! » Il déclare qu'il a vu Nicholas lâcher son fusil et répondre : « On est juste en train de jouer ! » Puis, selon Wood, il y eut un coup de feu assourdissant et un flash de lumière rouge.

Hynes estima que le coup de feu était justifié, et trois mois après la mort de Nicholas, il tint une conférence de presse où il expliqua pourquoi il n'engageait pas de poursuites contre l'agent George. Il déclara que le fusil en plastique de Nicholas était « quasiment impossible à discerner d'un vrai fusil ». Il se tenait devant un étalage de 16 imitations réalistes de fusil noir et argent – certains avec des embouts rouges, d'autres sans – au lieu de ne montrer que l'imitation marron et noire au bout orange fluo avec lequel les amis de Nicholas affirment qu'il jouait. Il déclara qu'on avait informé George de deux appels signalant la présence d'hommes armés dans les tours, que l'éclairage de l'escalier était faible, et affirma que George s'était senti menacé en voyant Nicholas. Il laissa entendre qu'appuyer sur la détente était une réaction raisonnable.

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Il était « extrêmement clair, dit Hynes, que les circonstances ayant mené à la mort tragique de ce jeune garçon [n'étaient] pas la faute de l'agent Brian George, mais le résultat de la prolifération de ces imitations d'armes ».

Mais des documents dans le procès civil qu'Heyward intenta à la ville, de même que les témoignages de voisins et de plusieurs enquêteurs du NYPD à la retraite indiquent que George faisait preuve d'une anxiété excessive et manquait peut-être d'entraînement. Il est possible qu'il n'ait pas du tout vu de fusil – réel ou non – entre les mains de Nicholas.

Angela Grant Heyward dit qu'elle a été « déchirée » par le chagrin. « Quand j'ai perdu Nicholas, mon cœur me faisait physiquement mal », dit-elle. « J'avais mal dans la poitrine. »

Dans les Gowanus Houses, George était connu sous le sobriquet de « RoboCop » pour sa nervosité et sa tendance à dégainer son arme à la moindre provocation. Dans le procès civil, quatre témoins affirmèrent que George mettait régulièrement les résidents en joue. Deux voisines, Ramona Hamilton et Ardith Cornelius, me rapportèrent des incidents où George s'était saisi de son arme sans raison. Dans l'un des cas, Hamilton et son mari rentraient de courses. « Nous étions en train de marcher derrière lui, et il a sursauté et sorti son arme. Mon mari a dit : "Ce flic va finir par tuer quelqu'un." »

« George était quelqu'un de très craintif, ajoute-t-elle. On pouvait lire la peur sur son visage. Il n'avait rien à faire ici. » Graham Weatherspoon, un enquêteur à la retraite qui conseille Heyward depuis le début, dit que le fait que George ait été prévenu que des armes se trouvaient dans d'autres bâtiments avant de tomber sur Nicholas ce soir-là n'était pas pertinent. « La seule information pertinente, c'est ce qui s'est passé là-bas et pourquoi c'est arrivé là-bas », m'a dit Marq Claxton, directeur de la Black Law Enforcement Alliance et lui aussi enquêteur à la retraite. « Quand vous êtes agent de police, vous ne pouvez pas aborder ce genre de situations en imaginant que le danger vous guette à chaque recoin, parce que vous allez tuer des gens. » Weatherspoon et Clifton Hollingsworth, un autre retraité de la police, affirment tous deux que si ces appels avaient alarmé George, il aurait dû appeler des renforts. Et contrairement à ce qu'Hynes a déclaré, la cage d'escalier était bien éclairée, selon plusieurs témoins, dont Wood, Katrell Fowler et Rose Marie Riviera – la première voisine à arriver sur les lieux.

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Un manifestant, à gauche, défile avec une pancarte en l'honneur de Nicholas N. Heyward Jr. dans une marche lors du Martin Luther King Jr. Day en 1997. Photo publiée avec l'aimable autorisation de Nicholas Heyward Sr.

Fowler, qui jouait aux gendarmes et aux voleurs avec Nicholas ce soir-là – il avait 14 ans à l'époque – me dit que le fusil de Nicholas n'était pas réaliste. « Son fusil ressemblait beaucoup, beaucoup à un jouet », dit-il. Gerald Preston, qui faisait également partie du jeu, confirme cette version des faits, et ajoute qu'avec « le bout orange du fusil, c'était évident, point barre ». Mais il est possible que George n'ait simplement jamais vu de fusil auparavant. Un document préparatoire atteste que l'assistant du DA, Joseph Alexis, témoignerait lors du procès civil que George lui avait avoué n'avoir jamais vu de fusil au moment des faits. Alexis, qui dirigea la première enquête en 1994, nie avoir jamais témoigné en ce sens. L'un des avocats d'Heyward est depuis décédé, l'autre ne se souvient pas de l'affaire.

Thompson doit déterminer s'il existe suffisamment de preuves pour inculper George, aujourd'hui à la retraite, de meurtre. Cela demande de prouver que l'homicide était volontaire. Les chefs d'inculpation moins graves, comme l'homicide involontaire ou accidentel, tombent aujourd'hui sous le coup de la prescription.

Heyward tient le fusil en plastique avec lequel jouait Nicholas le jour de sa mort.

Dans la version des événements que George a donnée dans sa déposition au civil, plusieurs années après l'événement, il affirme que Nicholas a sauté en bas des marches avant de faire marche arrière, puis a levé le fusil et l'a braqué. « Cela donne le temps d'observer, d'évaluer les choses », dit Claxton.

George s'est, par l'intermédiaire d'un proche, refusé à tout commentaire dans le cadre de cet article, tout comme le NYPD et les syndicats de police.

Wareham affirme qu'avec toutes les preuves à sa disposition, Hynes – qui fait aujourd'hui l'objet d'une enquête pour détournement de fonds publics – aurait pu mettre George en examen pour meurtre ou homicide involontaire. « Il aurait sans doute pu l'inculper de tout ce qu'il voulait, dit Wareham. Mais il voulait juste enterrer l'affaire. C'est l'attitude qui prévaut dans les départements de police aujourd'hui : après tout, ce n'est qu'un jeune Noir. »

L'avocat de Hynes, Sean Haran, dit que l'ancien DA « ne désavoue pas le très bon travail et le professionnalisme dont le bureau a fait preuve en enquêtant sur cette affaire ».

Thompson peut envisager de lancer des poursuites criminelles contre George et chercher à déterminer si Hynes et la police sont en faute ; Heyward est optimiste. Thompson a poursuivi Peter Liang, l'agent qui a tué Akai Gurley, et rectifié une vingtaine d'erreurs judiciaires effectuées lors de précédents mandats. Mais il a également des raisons d'être sceptique : c'est Thompson qui a recommandé au juge de ne pas condamner Liang à une peine de prison, faisant de ce procès une sorte de simulacre. Un porte-parole nous dit que le bureau du DA se refuse à tout commentaire sur l'enquête tant qu'elle est en cours.

Cela fait un an que Thompson a réaffirmé son intention d'honorer sa promesse de campagne. La longue attente d'une résolution – l'obtention d'une réponse appropriée au meurtre de son fils à un quelconque échelon du gouvernement – n'a fait qu'aggraver les souffrances d'Heyward. Maintenant, quand la douleur vient, elle fait encore plus mal, dit-il, et il se retrouve en pleurs à des moments incongrus. Chaque fois qu'un agent de police tue un autre homme noir, dit-il, « on revit la douleur, encore et encore ».

Comme toujours, Heyward s'accroche à l'espoir. Cette année, il a de nouveau invité Thompson à la commémoration, qui se tient un samedi après-midi de la fin août au parc Nicholas Naquan Heyward Jr.

Cette année marque les 35 ans de la naissance de Nicholas et les 22 ans de sa mort. Comme les années précédentes, il y a de la musique et des discours, de l'artisanat, des matchs de basket et des échanges « armes en plastique contre livres ». Thompson ne vient pas. Heyward raconte tout de même l'histoire de son fils à tous ceux qui sont rassemblés et dit qu'il espère, cette fois, que l'enquête sur sa mort sera sérieuse et transparente.

Le soir approchant, les amis et la famille commencent à se dire au revoir, la foule se disperse et la place revient au calme. Bientôt, tout ce que l'on entend encore, ce sont les rires des enfants des Gowanus Houses qui jouent dans le parc.