FYI.

This story is over 5 years old.

Stuff

Souvenirs de la pluie

On a déjà bientôt passé la moitié de l'année et on cumule environ 70% d'heures de soleil en moins que les trois années précédentes.

Illustrations : Zelda Mauger

On a déjà bientôt passé la moitié de l'année et on cumule environ 70% d'heures de soleil en moins que les trois années précédentes. Ça fait huit mois que les gens ne se demandent plus quel temps il fera demain, mais s'il pleuvra beaucoup ou très beaucoup. Au cas où vous n'aurez pas compris notre actuel niveau de désœuvrement, sachez que ça fait 126 ans qu'il n'a pas fait aussi froid à Paris à la fin du mois de mai. D'ailleurs, j'écris ces lignes pieds-nus devant mon bureau, mes chaussures remplies de pages de brouillon roulées en boules et mes chaussettes pliées en deux dans des feuilles de papier absorbant, tout ça parce que j'ai eu l'audace d'aller chercher un kébab de l'autre côté de la rue.

Publicité

Alors que parler de la pluie et du beau temps est d'habitude considéré – à raison – comme le pire sujet du monde, plein de scientifiques se sont dernièrement prononcés sur le sujet sous prétexte que le pire hiver depuis les années 1950 a laissé place au pire printemps depuis ma venue au monde – les années 1980. Les plus pessimistes font état d'un changement climatique global dû au réchauffement planétaire ; d'un climat tempéré, la France pourrait passer, dans les années à venir, à un climat continental de plus en plus froid. En gros, Paris va devenir Amsterdam, puis Berlin, puis Vilnius. Pour célébrer notre nouvelle vie sans lumière, humide et déprimante, on a demandé aux gens du bureau et à nos proches de nous raconter le pire truc qui leur était arrivé un jour d'intempéries.

LE FESTIVAL DU TAROT
J'étais à la Route du Rock, à Saint-Malo, il y a cinq ou six ans, avec cinq potes et comme chaque année, il pleuvait des cordes. Le vendredi soir, il a plu non stop de 18h à 5h du matin. À un moment, j'ai quand même décidé d'aller voir un concert. J'ai flingué mes Jordan avant d'arriver sur le site et par la même occasion, j'ai découvert que les bières étaient infinies : elles se remplissaient de flotte plus vite qu'on arrivait à les boire. À un moment, je me suis même dit que les teufeurs qu'on voyait barboter dans cet immense océan de boue devant leur mur d'enceintes étaient limite plus décents que les trentenaires maladroits qui tanguaient devant moi.
Vers 22h, je suis rentré dans le camping-car et on s'est mis à jouer au tarot, « en attendant que la pluie passe ». Un cubis de vin et douze parties plus tard, il pleuvait encore. Je n'avais appelé aucun roi, eu trois misère de têtes, une misère d'atouts et je pointais lamentablement à la dernière place. Je me suis même planté en distribuant à un moment, ce qui m'a coûté quelques points. Le lendemain, il faisait un temps radieux. Le camping-car de mon pote puait le chien mouillé. Je n'avais pas vu le moindre groupe. C'est de loin la meilleure édition de la Route du Rock que j'ai faite.
LOYD #HASHTAG

Publicité

ANGERS SOUS LES EAUX
Fin janvier 1995, la ville d'Angers a connu le plus grand déséquilibre pluviométrique de toute son histoire. La ville s'est retrouvée inondée de toutes parts et des canots de la SNSM ont été réquisitionnés pour venir en aide aux habitants. J'avais sept ans et bien que j'ai tendance à vachement exagérer mes souvenirs, je me rappelle quand même être sortie de l'école primaire avec de l'eau jusqu'aux genoux et avoir eu le droit de rentrer chez moi en canot. D'autres Angevins, plus aventureux, avaient décidé de déambuler maladroitement sur des planches en mousse installées çà et là afin d'assurer quelques zones de circulation. Comme il était impossible de faire les courses, ma mère a été contrainte de cuisiner nos restes pendant deux jours de suite – une période post-apocalyptique à l'échelle angevine. Une semaine plus tard, forte de cette première expérience maritime, j'ai obtenu le grade de « squale » à mon diplôme de natation décerné par un moniteur, qui s'appelait – fait véridique – Jean-Marc Bar.
JULIE CE BALLON

LA CONTROVERSE DU SAC DE LINGE
La semaine dernière, j'ai combiné mes machines au Lavomatic avec mes courses de la semaine. Je ne suis pas vraiment organisé d'habitude, mais je cherchais à minimiser mon temps passé sous la pluie. J'ai récupéré mon linge propre et avant de partir au Franprix, j'ai déposé le sac de vêtements que je n'avais pas lavés dans le hall de mon immeuble. Quand je suis revenu, mon sac avait disparu. Je me suis demandé qui avait pu être intéressé par une pile de chaussettes de sport sales lorsque j'ai réalisé que toutes mes sapes avaient été jetées au fond de l'une des grosses poubelles vertes de mon immeuble, heureusement pas trop crade.
Le lendemain, j'ai mis un mot dans l'entrée pour tenter de récupérer mon sac, en expliquant qu'il ne s'agissait pas d'affaires à jeter. Mon colocataire a reçu un appel du responsable du syndic qui lui a demandé de « signaler l'heure exacte du vol de manière précise » afin d'étudier les bandes de caméra de surveillance. Je ne savais pas qu'on avait des caméras de surveillance. Celles-ci ont permis de connaître le fautif, un voisin, qui tenait manifestement à la propreté des parties communes. Il avait l'air déjà passablement humilié, mais je lui ai quand même dit d'aller se faire foutre.
ALIX IN WONDERFRANCE

Publicité

TYRANNOSAURUS AVEC MON EX
C'était le 24 janvier 2007. J'étais chez mon amoureux en pleine campagne et on avait séché les cours pour regarder Jurassic Park à la télé. À peu près au moment où Jeff Goldblum explique la théorie du chaos à la paléontologue en faisant glisser une goutte d'eau sur sa main, il s'est mis à pleuvoir, à grêler, à neiger, puis à neiger abondamment. On assistait au spectacle, bouche bée. Ça faisait longtemps qu'on n'avait pas vu de neige donc on a appuyé sur pause puis on s'est précipités à l'extérieur pour faire une énorme bataille de boules de neige. Fatigués, on est retournés mater Jurassic Park pour la scène avec les raptors et on a attendu le générique pour, tous les deux, ressortir et se jeter de nouveau de grosses boules de neige à la gueule. C'était la meilleure façon de se consoler de vivre dans un monde dont l'espèce qui se rapproche le plus du dinosaure est l'émeu d'Australie.
JOLLY OMARION

LE BATEAU DE L'ANGOISSE
Quand j'avais 13 ans, ma mère s'est mise avec un connard d'acupuncteur relou qui s'appelait Robert. J'ai pris la décision de ne jamais lui adresser la parole mais un jour, il m'a forcée à faire une promenade en bateau. C'était le calme plat et on est restés coincés tous les deux au large hyper longtemps, sans s'adresser la parole à aucun moment. Une heure après, j'ai commencé à flipper ; personne ne venait nous chercher. Au bout de trois heures, une tempête s'est levée. En plus du vent infernal, la pluie nous glaçait jusqu'aux os et ce connard, en plus d'être un beau-père merdique, m'a prouvé qu'il était incapable de naviguer par gros temps. On a dessalé et j'ai cru qu'on allait y rester. Les secours ont fini par arriver – environ un quart d'heure plus tard, soit « beaucoup » – et quand on est revenus sur la terre ferme, j'ai obtenu l'autorisation d'aller en internat jusqu'à ma majorité. J'ai quand même fini par adresser la parole à Robert, un an plus tard, quand son fils s'est tué en bagnole. Je lui ai dit : « Désolée ».
CLÉMENT-CRIME, DOUZE-ANS

LE VENT M'EMPORTERA
En CM2, notre maîtresse nous a organisé un super voyage de fin d'année. Toute ma classe s'est barrée deux jours et une nuit dans une résidence au bord du lac du Moutchic, près de Lacanau. Le matin, on faisait un peu de maths et de français et l'après-midi était réservé à la voile. Malgré le temps pourri, j'étais hyper content parce que je pouvais manger des céréales le matin alors que chez moi, il n'y en avait jamais, et dès notre arrivée, on a profité de vingt minutes de quartier libre pour s'acheter des flingues qui tire des balles en papier. Quand j'ai vu les gros nuages noirs le matin du deuxième jour, j'ai essayé de trouver une excuse pour ne pas aller naviguer ; le moniteur, réputé pour sa petite taille et son front dégarni, a dû me forcer pour embarquer sur mon optimiste. Quinze minutes plus tard, le vent m'a fait chavirer et je me suis retrouvé dans l'eau. Le petit moniteur chauve est venu me chercher mais, comme les bagages étaient déjà dans la soute du car, j'ai fait les trois quarts d'heure de voyage de retour en slip, enroulé dans la serviette de bain de ma maîtresse.
UN CŒUR CHAGRIN

BONUS BEAU TEMPS :
LE BRONZAGE DE L'ENFER
En février 2002, j'avais 17 ans et je suis partie faire un trek de 15 jours au sud du Sahara. Je suis hyper pâle et à l'époque, ça me faisait vachement complexer. Quand je n'avais pas l'impression que les gens me dévisageaient comme si j'étais atteinte d'une maladie incurable, je me disais que j'étais translucide et qu'ils ne me voyaient pas. Du coup, je me suis promise de revenir au lycée méga bronzée, histoire de crâner un peu. Le deuxième jour du trek, je me suis mise en maillot de bain, me suis généreusement étalé du monoï sur tout le corps et me suis allongée sur le ventre. J'ai passé deux heures comme ça, en plein soleil. Le soir, j'avais le dos recouvert d'énormes cloques de couleur blanche (parfois mauves) et j'en ai même remarqué quelques-unes, plus petites, qui pointaient sur mon visage. Comme on était à des kilomètres de la moindre ville, je n'ai pas pu aller à l'hôpital. Je crois que j'ai passé les quinze jours les plus douloureux de ma vie. Ces trucs ont évolué tout au séjour et mon seul regret, c'est de ne pas avoir fait de photos pour les mettre sur doctissimo ou le site préféré des lycéens, rotten.com. C'était il y a dix ans, et j'ai encore le dos tacheté comme un léopard. Et probablement un cancer de la peau en gestation.
LA LÉGENDE DE ZEBDA