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Une interview du type qui promène un coq au bout de son pénis sur la place du Trocadéro

Steven Cohen est un artiste juif, gay et sud-africain.

Photos : Quentin Evrard

Par une belle journée du mois de septembre, cette année, Steven Cohen a décidé de déambuler sur l'esplanade du Trocadéro à Paris. Un corset autour de la taille, des plumes sur la tête. Un coq tenu en laisse au bout du sexe.

Steven s’était déjà fait remarquer, avant cela, en demandant à la femme de ménage de ses parents, 88 ans, de faire un striptease en nettoyant leur maison. Il s'est également promené au milieu d'un township en démolition de Johannesburg vêtu en tout et pour tout d'un chandelier. Et il a récuré une place de Vienne avec une brosse à dents géante et un diamant dans le cul.

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À quelques jours de son procès pour exhibitionnisme sexuel – qui devait se tenir aujourd’hui mais a été reporté au 24 mars prochain, a-t-on appris hier –, on l'a rencontré dans son atelier de Lille où il vit depuis six ans. Il a tenu à nous expliquer pourquoi il était important qu’il continue à faire ce qu’il faisait.

VICE : Salut Steven, dans ta dernière performance tu te fais arrêter par la police avec un coq au bout du sexe. Tu t'attendais à quoi ?
Steven Cohen : Je savais bien qu'il allait y avoir une altercation avec les propriétaires de l'espace. Il y a toujours quelqu'un pour croire qu'il possède l'espace. Que ce soit une place publique, un trottoir devant un magasin ou un escalator. J’avais choisi de faire ma performance à 9 h 30 du matin, quand il n’y a pas encore de touristes.

L’esplanade du Trocadéro est un peu comme une scène ?
Cet endroit est une invitation aux artistes. Il y a quatre phrases de Paul Valéry sur les frontons des bâtiments qui disent en substance : « Nous aimons l'art. » Je l'ai pris au pied de la lettre. Et il y a aussi Hitler.

C’est-à-dire ?
Hitler. Il était venu là, avec Albert Speer. Il existe une photo célèbred'eux à cet endroit. Ce lieu a une dimension politique.À Vienne, j'ai fait une performance sur la place centrale : avec un diamant dans le cul et une énorme brosse à dents à la main. Parce que les juifs ont été forcés de nettoyer la Grande Place de Vienne avec une brosse à dents en 1938. C'était une humiliation spéciale de la part des Viennois, les nazis n'avaient rien demandé.

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Et le diamant ?
Cela représente la richesse des juifs et comment c'est devenu pour eux une source de vulnérabilité. Aussi, l'anus avait un rapport direct avec la question : certains juifs avalaient leurs diamants avant de traverser la frontière pour ne pas tout perdre. Mais je suis un juif gay, pas juste un juif. Si j'étais un bon juif je ne ferais pas ce genre de chose ! [rires]

Ce n'est donc pas la première fois que tu te fais arrêter ?
C'est la troisième fois que je me fais arrêter en France, et c’est arrivé à de nombreuses reprises dans d'autres pays. Mais dans la plupart des cas, ça veut juste dire que la police interrompt ma performance, eux ou les gens qui croient détenir l'espace. Pour une raison ou une autre, je n'ai pas été arrêté à Vienne. Je crois que ça aidé que je connaisse le directeur de la Kunsthall. Il n'y pas d'autre raison pour qu'on laisse un drag-queen à poil nettoyer une place publique pendant 40 minutes.

Est-ce que tu comptes transformer ton procès en une performance ?
Je ne peux pas. Si j'y vais maquillé, il vont m'inculper pour ça aussi.

Et pourquoi as-tu choisi un coq, parmi tous les animaux possibles ?
C'est le symbole de la France. Même la police sait ça ! Ils n’arrivaient pas à croire que quelqu'un puisse faire une chose pareille. Mais les accusations n'ont rien à voir avec le coq – c'est tout à fait légal de se promener avec un coq s'il est considéré comme un animal de compagnie, il doit juste être tenu en laisse.

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Le coq était avec toi au commissariat ?
Ils ne l'ont même pas arrêté.

Mais quel était le but de cette performance? Rendre hommage à ton pays d'adoption ?
Oui je voulais un passeport français. [rires] Je vis hors d’Afrique du Sud depuis presque dix ans, mais j'y retourne souvent, six fois cette année, à chaque fois pour le travail.

Pourquoi es-tu venu t'installer à Lille ?
Je sortais avec un garçon qui avait une formation de danseur de ballet. Ce n'est pas ça qui m'a attiré chez lui mais, d'une manière ou d'une autre, j'ai fini par faire de la danse. C’est comme ça que je me suis tourné vers la France ! Le mec avec qui j'étais participait à un atelier en France, ça faisait quatre ans qu'on se connaissait et je l'ai suivi.

Aujourd'hui, tu te considères comme un danseur ?
Non mais ça fait douze ans que je travaille en rapport avec ce milieu. Je montre des choses à travers des vidéos, comme le bidonville de Johannesburg, ou Nomsa en train de faire un strip-tease.

Comment tu as convaincu ta nounou de faire ça ?
C'est ce qu'une journaliste française lui a demandé et Nomsa lui a répondu : « Fais fonctionner ton cerveau, c'est ton boulot ! »

Nomsa a l'air d'être un sacré personnage.
Elle est géniale ! Parce qu'elle s'en fout de savoir qui est la personne en face d'elle, si c'est quelqu'un d'« important » ou pas. Nomsa a voyagé à travers le monde et il n'y a que peu de choses qui l'affectent vraiment. Tout le reste, elle s’en fout.

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Revenons à ton procès : c’est la première fois que tu vas au tribunal ?
Oui, je ne connais rien aux tribunaux. Le tribunal est la partie la moins intéressante de cette performance, mais c'est quand même révélateur. Parce que je n'ai montré qu'une infime partie de mon pénis, je ne suis pas non plus en train de bander, même si on a l'impression que c'est le cas. Donc m'accuser d'exhibitionnisme sexuel est incorrect.
Ce n'est même pas de mon travail dont il s'agit, c'est du droit des gens à agir dans l'espace public. Il faut remettre ce que j'ai fait dans son contexte : l'image de moi nu au milieu de grandes sculptures de femmes nues. Sur ces sculptures le vagin est explicite, le clitoris, les lèvres… ça a dû être un choc dans les années trente, quand ils ont installé les statues.

Qu'est-ce que tu penses du mec qui s'est récemment cloué les couilles sur la place Rouge en signe de protestation contre la loi anti-homosexuelle en Russie ?
Faire ça, je trouve que c'est beau, que c'est fou. Ça me redonne foi en la capacité de l'artiste à trouver une réponse appropriée face à l'innommable.

Toi-même dans tes performances, tu irais jusqu'au point de te faire du mal ?
Je ne pense pas qu'il y avait besoin de faire la même chose au Trocadéro, le lieu appelait plus une esthétique du cabaret, mais la performance devait se faire avec la même manière de dire « Je vous emmerde », avec la même conviction.

Tu as été maltraité en garde à vue ?
Non, il ne m'est rien arrivé, mais un des flics a dit des choses comme : « Ne le frappez pas, mettez-le dans la cellule avec les deux Arabes, ils n'aiment pas les travelos. » Je n'ai pas parlé un mot de français de toute mon arrestation, ils pensaient que je ne comprenais rien à ce qu'ils disaient. La femme dans la voiture qui m'emmenait au commissariat m'a dit : « Je peux voir que tu es un gentil garçon. » Elle en avait 27, j'en ai 51, je suis assez âgé pour être son père habillé en drag-queen.