FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

Une offrande féline

De toutes les histoires extravagantes qui ont jalonné la vie de Burroughs, la meilleure a aussi été la mieux gardée : sa rencontre avec l'amour et sa rédemption juste avant sa mort, en partie grâce à ses chats.

William Burroughs avec Ginger, son chat, dans son jardin à Lawrence, dans le Kansas

L’écrivain William S. Burroughs a fait une déclaration d'amour publique aux félins dans son roman The Cat Inside, dans lequel il décrit les chats comme de véritables « compagnons psychologiques ». Dans les dernières lignes de son journal – qu'il a griffonnées juste avant son décès – Burroughs s'étend sur l'amour, qu'il définit comme un remède à tous les maux. J'ai utilisé cette citation de Burroughs dans William Burroughs: A Man Within, le documentaire que j'ai réalisé sur l'écrivain. Ce que j'ai omis de mentionner dans le film, c'est que l'amour auquel il fait référence est celui qu'il portait à ses chats. Il écrit, précisément :

Publicité

La seule chose qui pourrait mettre un terme aux conflits est l'amour, comme celui que j'ai éprouvé pour Fletch, Ruski, Spooner et Calico. Un amour pur.
Ce que je ressens pour mes chats, au présent comme au passé.
L’amour ? Qu'est-ce que c'est ?
Le calmant le plus naturel jamais créé.
L'AMOUR.

Toute sa vie, Burroughs a été abonné au magazine Cat Fancy. Il a d’ailleurs accumulé des centaines de numéros au cours de sa vie, qu’il conservait précieusement. En mai 2010, Tom King, l'homme chargé de sa succession, a pitché une histoire qu'il a envoyée à ce magazine spécialisé en félins en mettant l'accent sur l'amour inébranlable de l'écrivain pour les chatons. Ce pitch s'ouvrait ainsi :

Alors que William S. Burroughs est considéré comme l'un des auteurs les plus importants du XXème siècle, son génie artistique est souvent éclipsé par l'ombre de son mode de vie : le mouvement Beat, la toxicomanie et l'homosexualité. Au tableau de ses frasques figure le meurtre accidentel de sa femme au cours d'un jeu alcoolisé où il était question de mimer l'histoire de Guillaume Tell. Plus tard dans sa vie, on l'a désigné comme le grand-père officieux du punk rock. De toutes les histoires extravagantes qui ont jalonné la vie de Burroughs, la meilleure a aussi été la mieux gardée : sa rencontre avec l'amour et sa rédemption juste avant sa mort, en partie grâce à ses chats.

Le rédacteur en chef a décidé (quel gros con) de ne pas retenir le pitch. Mais il semblerait que c'est Burroughs qui ait eu le dernier mot. En faisant une recherche rapide sur Internet pour trouver l'adresse des bureaux de Cat Fancy, on tombe sur le 3 Burroughs Drive, à Irvine, en Californie – le chiffre 3 était supposément doté de pouvoirs mystérieux, à en croire l'écrivain.

Publicité

Alors tous deux au crépuscule de leur existence, le poète Allen Ginsberg a demandé à Burroughs s'il souhaitait être aimé, ce à quoi l'écrivain a répondu : « Tout dépend par qui ou par quoi. S'il s'agit d'être aimé de mes chats, certainement. » L'écrivain a en effet voué un puissant amour à une longue série de chats lorsqu'il habitait Lawrence. Un jour, à l'occasion d'une discussion avec un jeune partenaire amoureux sur la possibilité d'une frappe nucléaire, Burroughs a déclaré que sa plus grande inquiétude concernait les dangers qu’encourraient ses chats.

Au-delà de sa dévotion pour ses amis à quatre pattes, Burroughs portait un intérêt particulier à ce qui touchait de près ou de loin aux sciences, à l'occulte, à la magie et envers tous les trucs qui allaient à l'encontre du système. Jeune, il avait reçu une éducation classique à Harvard et avait rapidement étudié la médecine à Vienne, avant de tout laisser tomber pour entamer sa carrière d'écrivain.

Roger Holden, qui vit à aussi à Lawrence, était un ami proche de Burroughs. Il est inventeur et partageait la passion de l'auteur pour les chats, les sciences et le rejet des idées conventionnelles. Roger s'est d'abord intéressé aux sciences à travers l'arrivée des premiers ordinateurs et en particulier le prisme de la « numérisation du son et l'accès direct au premier prototype de framebuffer intégrant des puces électroniques en silicone – à savoir, la télévision digitale ». Il a inventé par la suite une caméra d'animation robotique dont il s'est servi pour tourner des courts métrages adaptés d’œuvres littéraires qui ont été diffusés sur Reading Rainbow. Il travaille en outre depuis des années sur un système de projection holographique inspiré par celui dont est équipé R2D2. Il espère le dévoiler au public à la fin de l'année 2012.

Publicité

Le duo a collaboré sur plusieurs projets durant le séjour de Burroughs dans le Kansas, notamment celui d'un stéréogramme en trois dimensions qu'on connaîtra plus tard sous le nom de « l'œil magique » et dont des exemplaires ont été exposés lors du Ports of Entry, l'expo qui s'est tenue auLos Angeles County Museum of Art en 1996.

Les liens de leur amitié se sont resserrés lorsque le chat préféré de Burroughs, Marigay, est tombé malade. Roger a fait fi des traitements préconisés par la médecine conventionnelle et a réussi à sauver la vie de la créature que Burroughs considérait comme « son chat sacré » en se servant de médecines alternatives.

Roger Holden chez lui à Lawrence, dans le Kansas. Photo : Barrett Emke

VICE : Bonjour Roger. Comment vous êtes-vous retrouvé à vous occuper du chat de Burroughs ?
Roger Holden : Je passais chez lui avec des amis tous les deux mois environ. On dînait ensemble et on débattait de choses et d'autres – d'ovnis et des dizaines d'autres centres d'intérêts qu'on avait en commun. William a vite remarqué ma passion pour les chats et m'a donc demandé : « Tu serais intéressé par un chat si d'aventure je t'en donnais un ? » Je lui ai répondu que bien sûr, ça m'intéresserait. Un jour, il m'a appelé pour me dire qu'il avait retrouvé un chat sur son porche. Ce dernier s'était blessé dans une collision avec une voiture et il m'a conseillé de l'emmener chez le vétérinaire qui s'est affairé pour le remettre d'aplomb. Il a appelé le chat Porch parce qu'il l'avait trouvé sur le porche de sa maison. Dans les années qui ont suivi et jusqu'à la mort de Porch en 1995, William s'est acquitté de tous les soins vétérinaires du chat. À chaque fois que le vétérinaire délivrait une ordonnance ou une facture concernant le chat, il signait en lui donnant le nom de Porch Burroughs. Depuis cet épisode, chaque fois que je fais allusion à un chat que William m'a donné, j'appose « Burroughs » à côté de son prénom. Porch est décédé des suites d'une leucémie féline. C'était triste. On a essayé de le soigner avec des remèdes conventionnels mais il a fini par succomber. Je me suis promis que si je recevais un autre chat des mains de William et qu'il tombait malade, je me devais de trouver un traitement alternatif pour le soigner.

Publicité

Beaucoup de gens du coin savent comment vous êtes devenu le propriétaire de Marigay, le « chat blanc » de Burroughs. Comment ça s'est passé ?
En janvier 1997, j'ai reçu un coup de fil de William où il me disait qu'il cherchait un foyer pour un incroyable chat blanc. Il m'a demandé si je pouvais l'aider parce qu'apparemment, il ne s'entendait pas avec les autres chats de William. Je suis passé chez lui pour prendre l’animal et William a sorti de sa bibliothèque un livre de M. Oldfield Howey intitulé Cat in the Mysteries of Magic and Religion. Il l'a ouvert au chapitre qui traitait de l'histoire des chats dans la magie antique et a lu : « Voici Margaras, le Chat Blanc – le chat sacré. » Il m'a aussi conseillé de feuilleter les pages du livre qui résumait l'histoire de ce chat dans l'histoire des croyances magiques. Je me suis vite rendu compte que ce « Chat Blanc » avait une importance toute particulière aux yeux de William. Certains appelaient ce chat Marigay mais je l'ai surnommé Butch Burroughs. Je laissais Butch se promener librement dans les rues de Lawrence. Dehors, c'était un chat plein d'énergie, une véritable brute. Une fois à l'intérieur de la maison en revanche, il était chaleureux et amical.En août 1997, William est décédé. Butch a disparu pendant les trois jours de l'agonie de William. On l'a retrouvé un peu plus tard dans un refuge pour animaux. Après son retour, je le laissais toujours aller et venir librement ; jusqu'au printemps 1999, où il a été attaqué par un berger allemand qui l'a poursuivi jusqu'au seuil de ma maison. Au départ, j'ai cru que tout allait bien mais au matin, j'ai remarqué qu'il avait été mordu violemment. Je l'ai emmené chez le vétérinaire favori de William. Il s'est occupé de Butch et l'a remis sur pieds. Mais pendant l'examen, ils ont découvert qu'il avait contracté une leucémie féline en phase terminale. On m'a annoncé qu'il ne lui restait plus que quelques semaines à vivre. Comme je l'avais promis, je me suis mis en quête d'un remède alternatif. J'étais dans une période de méditation intense : je portais un regard introspectif sur ma foi en l'univers et sur ma relation avec William. J'espérais trouver la voie qui m'aiderait à trouver une réponse à mes questions. J'ai recherché des traitements sur Internet et je me rappelle avoir trouvé de nombreuses solutions extrêmement complexes émanant de guérisseurs de tous bords. Je suis tombé sur un message de quelqu'un qui expliquait comment il avait entrepris de soigner son chat avec un mélange d'herbes – du « thé à l'essiac » – qui avait fait des miracles.

Publicité

Voici la dernière photo connue de Butch Burroughs, prise quelques semaines avant sa mort. Photo d'archives publiée avec l'aimable autorisation de Roger Holden. 

Le thé à l'essiac est un remède amérindien traditionnel. Quant au chat, il a été trouvé près de la maison de Burroughs, elle-même située à deux pas d'Haskell, l'une des rares universités amérindiennes des États-Unis, c'est bien ça ?
Oui. J'ai poursuivi mes recherches sur ce thé en et j'ai découvert qu'il s'inspirait d'une recette amérindienne élaborée par un chaman membre de la tribu des Ojibwas. Pour moi, la meilleure façon de commencer le traitement était d'utiliser cette marque, FlorEssence. Il s'agissait d'un mélange de huit herbes différentes – j'ai demandé l'aide de plusieurs spécialistes et celle de la marque. Il m'ont conseillé de lui en donner une à deux cuillères à soupe par jour. Je pouvais utiliser une pipette ou mélanger directement le médicament avec sa nourriture. Si des effets positifs se faisaient ressentir, j'avais le droit de réduire progressivement les doses. Trois semaines plus tard, l’hôpital a mené une batterie de tests sanguins et a établi que le nombre de globules blancs dans le sang de Butch connaissait une augmentation très significative ; les médecins l'ont appelé le « chat miraculé ».

Quelle a été votre réaction ?
Je me souviens avoir été très enthousiaste lorsque j'ai appris la nouvelle. Je me suis donné deux ou trois mois de plus pour déterminer si oui ou non, le traitement aboutirait sur un succès. À ce moment, Butch était presque guéri. De 1999 à 2005, Butch a vécu en parfaite santé, grâce au thé à l'essiac, selon moi. On m'avait dit qu'il lui restait moins de trois mois à vivre, et il a vécu plus de cinq années supplémentaires.

Publicité

Burroughs a perpétué cette vision d'une médecine alternative au travers de concepts tels que la magie, l'orgone, la dream machine, l'apomorphine ou le yagé. Je pense qu'il aurait approuvé le traitement de Butch.
C'est un succès lié à William, au chat et à moi-même. Mon approche a été directement inspirée de celle de Burroughs. On discutait souvent des méthodes de protection immunitaire inconnues ou disparues. Par exemple, on parlait de l'orgone, de la vitamine B1, des rayons d'énergie aux propriétés curatrices et de certains exercices abdominaux que l'on retrouve dans le yoga. Ces discussions m'ont conduit à la recherche de solutions analogues pour le chat blanc. Si William était toujours de ce monde, je suis certain qu'il voudrait que l'on parle plus des bénéfices potentiels que l'on pourrait retirer de la remise en question de l’utilisation systématique des traitements les plus courants.

La leucémie féline vue au microscope ; une maladie mortelle que Roger Holden a guérie grâce au thé à l'essiac 
Photo publiée avec l'aimable autorisation de la CDC

Vous pensez que l'épreuve que vous avez surmontée avec Butch révèle les défauts de la médecine moderne ou du moins, de la façon de faire des vétérinaires ?
Oui, je vois mon expérience avec le chat blanc et le thé à l'essiac comme une contribution importante pour la recherche en ce qui concerne l'utilisation des traitements alternatifs contre les maladies chroniques. Je pense que les hommes et les animaux pourraient grandement en bénéficier. La science bureaucratique empêche la reconnaissance de l'efficacité de certains traitements. Il est déplorable de constater qu'aujourd'hui, les seuls médicaments considérés comme efficaces contiennent toutes sortes de produits chimiques entraînant de terribles effets secondaires. Quel est l'intérêt d'avoir un « meilleur accès » à la sécurité sociale si notre choix en matière de traitement est limité aux seuls médicaments produits par l'industrie pharmaceutique ? Ne serait-ce pas merveilleux si l'héritage laissé par Marigay pouvait trouver un développement dans la généralisation des remèdes dits « alternatifs » ?

Ça le serait. Je crois que Burroughs voyait les médecins, les vétérinaires et les prêtres comme de possibles agents d'un système mis en place il y a des siècles afin de garantir l'obéissance de la population et assurer un bonheur aveuglant, notamment avec l'utilisation des antidépresseurs.
Je suis entièrement d'accord avec ça. En revanche, je veux rappeler qu'il respectait énormément son vétérinaire, avec qui il entretenait de très bonnes relations. La médecine que j’exerce peut être explorée par le commun des mortels. Par exemple, j'encourage les gens à suivre de près les récentes découvertes dans l’utilisation d'extraits de propolis d'abeille ; ceux-ci pourraient potentiellement réduire la taille des tumeurs dans les cas de cancer de la prostate. Comme Burroughs l'a écrit dans The Cat Inside : « Joe posa une litière de chat sur la table de la salle de réunion. Doucement, il la retira. Les membres du conseil d'administration qui rampaient en dessous de la table hurlèrent : "Le Chat Blanc ! Le Chat Blanc !" » À cet extrait vient s'ajouter cette phrase : « Le Chat Blanc avait révélé les fraudes, le poison, la corruption – toute notre richesse, notre pouvoir fondront comme neige au soleil. »

Où le chat blanc repose-t-il aujourd'hui ?
Il est enterré aux côtés des autres chats de William, dans le cimetière à chats de son jardin.