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Travailler moins pour gagner plus

Dès 1891, Oscar Wilde préconisait de travailler moins longtemps - et il avait entièrement raison.
Illustration : Cei Willis

Ces fainéants n'en ont-ils pas marre de passer leurs journées à ne rien faire ? Vous savez de qui je parle, n'est-ce pas ? Des Danois, bien entendu. Vous les connaissez, ils glandent en regardant Borgen ou des films avec Mads Mikkelsen. Ils devraient s'inspirer des Grecs, qui travaillent comme des acharnés pendant des heures. Et je ne vous parle pas des Portugais, de véritables esclaves menottés à leur bureaux, tandis que les Néerlandais passent leur journée à flâner dans des parcs.

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Il n'y a rien de plus amusant que les clichés, vous ne trouvez pas ? Ceux-ci s'avèrent être le plus souvent l'exact opposé de la réalité. L'heure est à la dénonciation unilatérale de la fainéantise des Européens du sud qui ne lèveraient le petit doigt que pour aller chercher une bière dans leur frigo ou rajuster leur hamac. Pas étonnant que ces pays soient ruinés ! Ils feraient bien de s'inspirer des Européens du nord, de bons petits gars sérieux dont l'éthique protestante est 100% compatible avec la « valeur travail ».

Les citoyens européens qui restent le plus longtemps au bureau ne sont ni protestants, ni nord-européens : ce sont les Grecs et les Autrichiens - pas vraiment des types qui voient le soleil se lever à 3 heures du matin. Les travailleurs qui débauchent le plus tôt sont les Danois et les Lituaniens - pas vraiment des amateurs d'apéritifs fruités.

En réalité, les trois pays scandinaves qui appartiennent à l'UE - j'ai nommé la Suède, le Danemark et la Finlande - sont tout en bas du classement des plus gros travailleurs au monde. Pourquoi les gouvernements nordiques ne font-ils rien pour lutter contre ce fléau ? Ne vont-ils pas devoir prendre des décisions radicales afin que ces pays soient compétitifs au sein d'une économie mondiale globalisée ?

Göteborg - la deuxième ville de Suède - a débattu récemment de cette question et a mis en place un nouveau plan : ramener la journée de travail à six heures. Et oui, alors qu'ils sont déjà parmi les plus fainéants d'Europe, les compatriotes d'Ingmar Bergman et d'Henrik Larsson veulent passer encore plus de temps entre amis ou chez eux à manger des boulettes de viande.

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Les pays scandinaves ont tous quelque chose en commun : ils sont parmi les plus riches au monde. OK, les Norvégiens peuvent s'appuyer sur leurs ressources en pétrole. Mais les Danois et les Suédois font sans or noir, et leurs économies sont très prospères - tout simplement parce qu'elles sont plus efficaces que les autres. Mais ce ne sont pas les seuls. Les Néerlandais, les Irlandais ou les Allemands sont par exemple plus riches que les Britanniques alors que ces derniers travaillent plus longtemps.

Du côté français, certaines voix s'élèvent pour mettre fin aux tant décriées « 35 heures », considérées comme le pêché originel des socialistes et symbole de la prétendue inaptitude des types de gauche à diriger efficacement un pays comme la France. Si l'on devait comparer l'Hexagone avec la sacro-sainte Allemagne, une étude de l'OCDE - organisation que l'on peut difficilement qualifier de crypto-marxiste - nous informe que la durée hebdomadaire dans l'emploi principal est plus élevée en France alors que notre pays est moins dynamique économiquement.

Si l'on observe uniquement les travailleurs à temps plein, les Français font partie des Européens les moins bosseurs, juste devant la Finlande - pays pas forcément réputé pour sa décrépitude économique. Mais si l'on analyse attentivement la situation - ce que ne font sans doute pas Le Figaro et l'institut COE-Rexecode, très proche du MEDEF - la France est l'un des pays qui a le moins recours au temps partiel et dont les temps partiels sont les plus longs. Au final, les Français travaillent autant que la moyenne des pays de la zone euro, et plus longtemps que les habitants de l'Allemagne ou des Pays-Bas. Bizarrement, il est assez rare d'entendre à la télévision ou en soirée que les Berlinois n'en foutent pas une.

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On pourrait également comparer la situation de la France avec celle de nos voisins d'outre-Manche, si souvent vantés chez nous par des mecs qui ne jurent que par la libre-entreprise, l'absence d'impôts et les « opportunités ». Si l'on ne prend en compte que la dimension économique, les Britanniques ne sont que onzièmes au classement des pays les plus riches d'Europe, derrière les Français. Les sujets de sa Majesté ressemblent à cet élève de quatrième qui bosse pour un contrôle pendant toute une nuit pour finalement obtenir un passable 11/20. La Grande-Bretagne est en plus un des pays les plus inégalitaires de l'UE - la France est dans ce domaine un élève très moyen.

Des questions doivent donc se poser : Faut-il réellement travailler plus longtemps ? Dois-je réellement mener une vie d'esclave pour que d'autres en profitent ?

En fait, ce n'est pas si surprenant. Plus quelqu'un travaille, moins il est productif. Il vaut mieux avoir une entreprise pleine de salariés qui partent tôt pour aller boire des pintes au bar d'à côté plutôt qu'une boîte remplie de travailleurs épuisés et peu épanouis qui enchaînent les pauses-café.

Mais cela va plus loin. Dès 1891, Oscar Wilde préconisait de travailler moins longtemps. Dans L'âme de l'homme sous le socialisme, il écrivait : « L'homme éprouve un dommage à la fois mental et moral, quand il fait quelque chose où il ne trouve aucun plaisir. » Dans un essai intitulé Perspectives économiques pour nos petits-enfants, John Maynard Keynes, le père de la macroéconomie, prédisait que nous finirions par avoir des semaines de quinze heures. Comme il le disait lui-même avec beaucoup de talent : « Nous avons été entraînés pendant trop longtemps à faire effort et non à jouir ».

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Ces deux penseurs géniaux, s'ils étaient loin d'avoir raison à tous les niveaux, insistaient sur une chose très simple. Dès le 20ème siècle, le problème dans les pays développés était celui de la répartition des richesses et non de la richesse elle-même. Avec la mécanisation, la productivité augmentait, alors pourquoi ne pas en profiter pour travailler moins ? J'imagine que cela plairait à nombre d'entre vous, sauf peut-être à certains workaholics dont la vie sociale s'articule essentiellement autour du brainstroming hebdomadaire.

Je pourrais poursuivre cette analyse en mettant en avant le fait que travailler moins doit s'accompagner d'une valorisation de l'individu, de la sécurisation de sa condition et surtout de la mise en place d'une atmosphère saine de travail. Si les Français sont parmi les plus stressés au travail, il faut sans doute en attribuer le mérite à des méthodes de management datées qui ne font que scléroser le tissu économique du pays. Il serait peut être temps d'arrêter de former des petits chefs qui deviendront managers sans connaître la définition-même du mot empathie.

Il serait également temps de s'attaquer directement aux problèmes de l'augmentation des inégalités, avec des riches toujours plus riches et des pauvres toujours plus pauvres, sans tomber dans un discours inique et stupide qui mépriserait les plus aisés.

Les très puissants syndicats du début du XXème siècle avaient joué de leur influence afin de généraliser un jour de congé pour nous tous : le dimanche. La problématique de notre génération sera semblable : quel jour voulons-nous rendre chômé pour nos petits-enfants ? Personnellement, je vote pour le lundi.

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