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Culture

Un restaurant chinois plus un karaoké avec Vincent Macaigne

Un entretien avec la figure de proue du nouveau cinéma français « exigeant ».

Cet article est extrait du numéro « Tout ce qu'il y a de plus personnel »

Ceux qui pensent que « théâtre » rime avec « chiant » n'ont sans doute jamais vu Idiot ! Parce que nous aurions dû nous aimer, l'adaptation de L'Idiot de Dostoïevski par Vincent Macaigne, créée en 2009. Le roman interroge la place de la naïveté dans un monde cynique et corrompu. La pièce, elle, était ponctuée de hurlements au mégaphone, d'une musique hardcore assommante, le décor s'abattait sur les premiers rangs, les acteurs qui hurlent leur texte. À chaque représentation, spectateurs comme comédiens en sortaient exténués. J'y étais. C'est pour ça que, comme à peu près toutes les personnes présentes dans la salle, lessivée, je me suis demandé : « Mais – c'était qui ce gars ? »

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Vincent Macaigne a aujourd'hui 37 ans. Il est comédien, scénariste, réalisateur et metteur en scène. Au cinéma, il fait aujourd'hui partie d'une jeune génération que Les Cahiers annonçaient il y a 5 ans comme « le cinéma de demain », avec des réalisateurs tels que Guillaume Brac, Antonin Peretjatko ou Sébastien Betbeder. Au théâtre, il fut particulièrement remarqué au festival d'Avignon en 2011 avec son adaptation d'Hamlet Au moins j'aurai laissé un beau cadavre, qui comme Idiot ! en a agacé plus d'un, enthousiasmé d'autres et unanimement épuisé tout le monde. Puis, en 2013, ce fut la consécration avec ses apparitions dans les films Deux automnes, trois hivers, puis La Bataille de Solférino, qui l'ont élevé au rang de mini-star du cinéma d'auteur français. Paradoxalement qualifié à la fois de rêveur et d'enragé, l'homme de théâtre et de cinéma est sans conteste l'un des plus doués à s'être révélé en France ces quinze dernières années.

Très actif sur les réseaux sociaux, Facebook fut encore le meilleur moyen pour moi de le contacter ; je lui ai lui proposé de dîner au restaurant chinois dans son quartier, à Belleville, afin de nous parler de ses projets actuels et futurs. Entre son adaptation de Dom Juan et Sganarelle qui vient d'être diffusée sur Arte, La Loi de la jungle d'Antonin Peretjatko dans lequel il joue, et le montage de Pour le réconfort, un film qu'il a écrit en une nuit et tourné en dix jours, Vincent Macaigne dort rarement. Voire jamais.

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« Pour le réconfort est un projet un peu laboratoire, a-t-il commencé. Je me suis isolé dans une maison à Orléans et j'ai proposé à des comédiens de passer pour les filmer au caméscope. Ils improvisaient, récitaient leurs textes. J'écrivais au jour le jour ; il y a du bon et du moins bon, c'est un film compliqué, malade. Un peu comme Dom Juan. »

Réappropriation toute personnelle du classique de Molière, son adaptation de Dom Juan a été diffusée sur Arte le 5 mai dernier. Il s'agissait d'une commande simultanée de la part de la chaîne et de la Comédie-Française, à réaliser dans les règles : 14 jours de tournage, un texte à respecter à la virgule et un timing d'1 h 40 à ne surtout pas dépasser. Crucifix tatoué sur le torse et mention « I Want to Die » dans le dos, le Dom Juan de Macaigne est révolté et suicidaire. « C'est un enfant de son époque, un mec insatisfait et désespéré, dit-il. Il se confronte à son propre cynisme, qu'il essaie d'enrayer. Mais c'est impossible, donc il va mourir. » Entre deux raviolis à la crevette, le cinéaste confie ne plus souhaiter se replonger dans ce type d'exercice, « trop académique » selon lui.

Laborieux et insomniaque, il passe ses nuits à élaborer des projets, toujours plus nombreux. « Du coup quatre idées sur cinq ne se font pas. » Insatisfait comme le personnage de Dom Juan, Vincent Macaigne est perpétuellement dans l'urgence : « Travailler, être tout le temps en mouvement me permet de ne pas sombrer », m'annonce-t-il. Après lui avoir servi un verre de vin, je lui confie que personnellement quand je ne dors pas, je regarde des épisodes de Friends en boucle. Il me répond immédiatement. « Je ne regarde jamais un épisode ou un film deux fois. La première fois, c'est une expérience, la deuxième fois, je m'emmerde. »

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Vincent Macaigne a peur du vide et s'ennuie vite. Sa filmographie est la preuve de son hyperactivité : depuis 2013, il a joué dans plus d'une dizaine de films, parmi lesquels La Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjatko et Les Deux amis de Louis Garrel.

Selon lui, « faire l'acteur est facile ». Il s'agit simplement de se laisser porter et de faire ce qu'on lui demande. « C'est un état presque végétal », me dit-il. Au contraire, il est convaincu que la mise en scène est un défi. « Là, c'est moi qui prends la parole et le pouvoir – c'est plus difficile. » Ses pièces, furieuses, sont montées dans la sueur et le sang. Vincent Macaigne est connu pour pousser tous ses acteurs à bout. « Ça crie tout le temps dans mes pièces, mais quand tu lis L'Idiot, tu entends que ça hurle ! Dostoïevski, Molière, avaient une violence en eux, une violence politique qu'ils ont exprimée. C'est très rare, surtout aujourd'hui. Surtout dans le cinéma, et particulièrement français. »

Tranquillement mais pas résigné, Macaigne exprime sa déception du système culturel français, qui, selon ses dires, ne pense « qu'au nombre d'entrées ». Attaché à l'expression art et d'essai, il déplore le manque d'aides allouées aux tentatives et aux incertitudes dans le spectacle contemporain. « Heureusement que je suis honteusement bien payé pour jouer dans des films ; ça me permet d'avoir le temps de monter mes projets pas rentables. »

Plus tard dans la soirée, autour d'une bière dans un karaoké cramé aux néons roses et rouges situé tout près du restaurant chinois, Vincent Macaigne décrit son allergie au cynisme. Selon lui, cette façon d'envisager le monde est très dangereuse et reflète la suffisance des élites actuelles. « Au théâtre ou au cinéma, il [le cynisme] s'exprime au travers de metteurs en scène et de réalisateurs qui ont beaucoup trop regardé la télé. Notamment Coucou c'est nous. » L'émission de TF1 des années 1990 présentée par Christophe Dechavanne est pour lui la base matricielle du déluge d'ironie à l'œuvre partout aujourd'hui, et il la range – curieusement – avec les canulars de Jean-Yves Lafesse. Tous sont pour lui des métastases du syndrome Canal + : ce regard suffisant qui se moque des gens en direct.

« Un jour, Dechavanne a rendu visite à un homme persuadé de pouvoir aller sur Mars à bord de sa soucoupe en bois contrôlée par l'esprit. Il a filmé le décollage… forcément raté. Ça m'a marqué, j'ai presque pleuré ! C'est atterrant. »

Admirateur des réalisateurs Leos Carax et Pier Paolo Pasolini, Macaigne retrouve dans leur cinéma une certaine forme de pureté, d'hommage à la beauté et à la vie. Lui-même adore faire déborder cet amour sur les planches, avec colère et humour, mais sans ironie. Il qualifie celle-ci de prêt-à-porter ordinaire, derrière laquelle il est facile de se planquer. « Je crois en l'humour, je ne crois pas en l'ironie. C'est trop facile et pas franc. Depardieu par exemple, meilleur acteur de sa génération, savait être drôle sans faire de second degré. »

Entre deux larsens et le morceau « Vivo per lei » craché par les enceintes, il ajoute : « On n'est pas d'accord politiquement mais si j'étais un gros libéral de droite, j'adorerais faire un film à Hollywood. Batman vs Superman, c'est direct, premier degré et très sincère », me dit-il, hypnotisé par une danseuse emportée par « La Tribu de Dana », le morceau de Manau. « Peu importe ce qu'ils ont à dire, ces mecs-là le disent – et c'est tout. »