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Sexe

Une brève histoire du cannibalisme au cinéma

De « Viol sous les Tropiques » au « Dernier monde cannibale », une étude sélective des films qui ne pourraient plus sortir en salles aujourd'hui.
Image issue de Cannibal Holocaust

Nous vivons une drôle d'époque, où tout et n'importe quoi suscite l'indignation. Il est devenu difficile d'allumer une caméra sans qu'une armée de journalistes ne crache toute sa haine sur des sujets aussi triviaux que la nullité de Fifty Shades of Grey. Néanmoins, ces journalistes indignés en quête de sujets faciles n'existaient pas encore dans les années 1970, quand des choses vraiment outrancières émergeaient des bas-fonds de l'industrie cinématographique. De cette époque, les films qui sont allés le plus loin sont les films italiens portant sur le cannibalisme, auxquels Eli Roth a récemment rendu hommage avec The Green Inferno.

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Malgré les années, ces films n'ont rien perdu de leur côté choquant. Truffés de violence sexuelle, de détails sanglants, de cruauté envers les animaux et d'insultes racistes à l'encontre des peuples indigènes – sans oublier un doublage catastrophique –, ces films frôlent souvent l'indécence.

À chaque fois que j'entends des personnes me dire à quels points elles sont choquées par un film récent, je me dis qu'elles n'ont probablement jamais vu La montagne du dieu cannibale, Dévoré vivant !, Le dernier monde cannibale ou l'incontestable chef d'œuvre du genre, Cannibal Holocaust. Ces films misanthropes, souvent racistes et sexistes, illustrent parfaitement à quel point les film d'exploitation des années 1970 ne connaissaient aucune limite. Mais en dépit de leur cruauté, ces films présentent quelques moments de sophistication et de grande beauté. Rien de tel ne pourrait être tourné aujourd'hui.

Image issue de Cannibal Holocaust

Depuis des années, le cannibalisme est présent dans les films – il y a même une tribu cannibale dans la production Disney de 20 000 lieues sous les mers. Il a fallu attendre les années 1960 et 1970 pour que ces films voient le jour. Bien avant l'apparition de sites tels que BestGore.com ou Rotten, le mondo jouait sur les sombres désirs du public, en montrant des animaux en train de se faire charcuter et les pratiques obscures de tribus d'Amérique du Sud.

Leurs créateurs prétendaient simplement documenter un monde difficile et délaissé des caméras, mais ils ont donné du crédit aux horreurs folkloriques de ces endroits « sauvages » que les Européens venaient de décoloniser, en décrivant un monde de violence où la vie ne vaut pas grand-chose et où l'homme blanc est un émissaire de sa civilisation.

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À ce moment, les peuples indigènes d'Amérique du Sud entraient plus que jamais dans la conscience occidentale – l'expansion de l'abattage en Amazonie et la construction de l'autoroute TransAmazon a conduit à une recrudescence du nombre de tribus qui ont dû intégrer de force des sociétés auxquelles elles avaient échappé pendant des années. Des cas occasionnels de rituels cannibales ont transformé ces peuples en caricatures – et de nombreux livres rédigés par des anthropologues enclins à faire dans le sensationnalisme ont renforcé ce sentiment.

David Attenborough a même fait un film intitulé A Blank On The Map en 1971, où il rencontrait des tribus en Nouvelle-Guinée qui lui ont poliment dit d'aller se faire foutre. De nombreuses personnes se sont soudainement intéressées à ces peuples – qui, en retour, ont été dépeints comme de méchants barbares dans les films les plus sordides jamais réalisés.

Image issue du film Au pays de l'exorcisme

Le premier film sur le cannibalisme qui mélange tous ces éléments est Au pays de l'exorcisme, une sorte de copie du film Un homme nommé cheval, où un photographe est torturé, puis accepté par une tribu en Thaïlande. Comparé aux films qui verront le jour plus tard, Au pays de l'exorcismeest plutôt innocent. Mais le film introduit deux éléments de base – Me Me Lai, une actrice burmano-britannique qui passera le reste de sa carrière à jouer une fille de tribu aux seins refaits, ainsi que des meurtres d'animaux inspirés par le mondo (ici, un singe se retrouve décapité).

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Rien ne peut défendre ça. Malheureusement, ces images peuvent nous paraître moins choquantes aujourd'hui, mais c'est toujours difficile de penser à l'enfoiré qui se trouve derrière la caméra et qui oblige un employé à tuer une pauvre bête.

L'affiche du Dernier monde cannibale

Cinq ans plus tard sortait le film Le dernier monde cannibale, conçu comme une suite au Pays de l'exorcisme, considérablement plus gore. On y voit un alligator se faire tuer et dépecer, au même titre que quelques singes. L'actrice Me Me Lai y incarne une aborigène qui aide le héros à s'échapper de la tribu, tout ça pour qu'il la viole au moment où elle refuse de lui obéir. La scène d'après, elle lui apporte le petit-déjeuner – ce qui est, il faut le dire, très problématique. Et tout ça se passe avant le climax du film, où elle se soumet humblement pour être décapitée, éviscérée, cuite et mangée.

Image issue du Dernier monde cannibale

Le Dernier monde cannibale a eu un succès monstre et a été copié à de nombreuses reprises. La plupart de ces copies étaient des sortes de porno soft avec quelques scènes un peu gore. Le légendaire réalisateur Joe D'Amato a tourné Viol sous les tropiques et Papaya, Love Goddess of the Cannibals en moins d'un an. Si, pour une certaine raison, vous aimez les plans à trois impliquant une femme qui se fait poignarder le vagin, ce dernier est à voir absolument.

Le film La Montagne du dernier cannibale est encore plus étrange – on y voit Ursula Andress (encore très loin de son rôle de James Bond Girl) être vénérée comme une déesse par une tribu, tout en ayant les fesses à l'air pendant la majeure partie du film. Il y a aussi une scène où un homme couche avec un porc, et un florilège d'animaux massacrés.

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Image issue de Cannibal Holocaust

Il aura fallu attendre 1980 pour que le réalisateur du Dernier monde cannibale, Ruggero Deodato, revienne avec Cannibal Holocaust. Une équipe de réalisateurs et de sombres connards sont portés disparus dans une partie de l'Amazonie appelé le Green Inferno (Eli Roth sait ce qu'il fait), où un professeur de l'université de New York est envoyé pour mener l'enquête. Son voyage est raconté dans la première partie du film, qui commence de manière assez gratinée – un homme viole une femme avec une pierre et la bat jusqu'à la mort, en guise de punition pour son adultère. Après, on voit notamment un avortement forcé pratiqué sur une femme crucifiée.

Les images deviennent encore plus rudes dans la deuxième partie, quand le film de l'équipe est ramené à New York. On y voit des images de vraies exécutions au Nigeria, ainsi que l'équipe qui orchestre un conflit tribal en brûlant des villageois vivants, en violant une jeune fille que l'on retrouvera plus tard empalée par le vagin, pour que finalement, le petit groupe soit assassiné et mangé par la tribu qu'ils ont provoqué pour les besoins de leur film. Bien entendu, des animaux sont tués – et le monde entier se remet encore de la fameuse scène de la tortue.

Bon, il y a peut-être un meilleur film à regarder lors d'un dimanche soir avec vos potes, mais sachez que Deodato a un vrai don pour la barbarie. La deuxième moitié du faux reportage, réalisé bien longtemps avant Blair Witch, est très crédible (Sergio Leone l'a adoré) ; le sentiment croissant de chaos et de panique est superbement mis en scène, et la musique de Riz Ortolani est incroyable.

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Deodato envoie quelques piques bien placées envers les médias et leur culture de l'exploitation. La dernière réplique du film est la suivante : « Je me demande qui sont les vrais cannibales ». C'est assez grandiose, si l'on considère qu'elle est prononcée par un type qui vient de faire un film avec quatre scènes de viol.

Le genre implosera peu de temps après, face à une censure qui se fera de plus en plus pesante. Depuis, il y a eu quelques timides retours, avec un tas de conneries à petit budget en 2003, et le film d'Eli Roth – qui est forcément un brin plus propre.

Image issue du film Au Pays de l'exorcisme

Alors, pourquoi regarder ces films ? Comme vous avez pu le constater, ce sont des films sales, qui montrent une attitude cavalière et peu sensible au problème de la violence sexuelle – entre autres.

Pour nos yeux acclimatés aux images de synthèse, la vue de ces vraies personnes évoluant dans ce qui s'apparente à un environnement extrême peut être d'un réalisme saisissant – ce réalisme terrifiant est radicalement éloigné des films aseptisés d'aujourd'hui. Ils ne sont pas agréable à regarder, mais il faut reconnaître qu'ils ont une énergie qui leur est propre.

Image issue du Dernier monde cannibale

Ces films constituent une capsule temporelle venue d'un autre monde. Ils étaient révoltés, dans une époque qui l'était tout autant. La fin des années 1970 a vu les Brigades Rouges commettre une vague d'attentats terroristes en Italie, et l'assassinat de l'homme politique Aldo Moro. Il aurait été étrange qu'une partie de cet extrémisme ne trouve pas son chemin jusqu'aux écrans, et en dépit du mauvais goût de ces films, vous ne trouverez pas une meilleure expression cinématographique des « mauvaises vibes » de l'époque.

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De plus, ces films accèdent à une sorte de statut admirable par leur intensité totale – qui représentent un accomplissement, un point inatteignable. Ce sont des films d'horreur, qui nous font craindre pour l'humanité – mais quel film d'horreur ne le fait pas ? Bien sûr, je pourrais vous citer de meilleurs films sur la nature primale des hommes qui se révèlent au contact de la jungle. Mais au beau milieu de toute cette cruauté, on trouve de temps à autre une profondeur très crue.

Image issue de Cannibal Holocaust

Herzog et Coppola sont allés dans la jungle et l'ont vu comme une épreuve capable de révéler l'animal qui se cache en nous. C'est également ce qu'ont fait ces films sur le cannibalisme, à leur propre manière. Dans tous les cas, ils révèlent quelque chose sur les gens qui allaient dans les cinémas miteux à la fin des années 1970. Aucun de ces films ne pourra plus jamais être réalisé, ou même espérer avoir une distribution plus large. Même si les films d'horreur extrêmes ont évolué, on ne trouvera jamais de scènes comparables – notamment grâce aux lois sur la cruauté animale.

Bien entendu, rien ne nous dit que les types à l'origine de ces scènes ne sont pas des gros tarés, mais ces films ont néanmoins leur place dans l'histoire. C'est étrangement réconfortant de savoir qu'à travers leur rage et leur haine, ils ont atteint une sorte de point de non retour – celui des films les plus malsains jamais réalisés.

@Lowrypalooza