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Musique

Une interview avec Svengalisghost, la dernière presque-caillera de la house de Chicago

Les mecs de la house ressemblent de plus en plus à ces groupes d'indie pop identiques qui partent en tournée avec un EP référencé sur Discogs.

Les mecs de la house ressemblent de plus en plus à ces groupes d'indie pop identiques qui partent en tournée avec un EP référencé sur Discogs. Du coup, les 1% de puristes relou râlent tant qu'ils peuvent tandis que le reste des auditeurs s'en battent les couilles. Actuellement en Europe, Svengalisghost n'a sorti l'année dernière que quelques morceaux sur le label new-yorkais du moment, L.I.E.S. Il fait une musique avec plein de synthétiseurs qui se superposent, juste pour faire chier les mecs de la minimale. Ça défonce. Tout son discours autour de la vie secrète des plantes et de la musique flasque aussi.

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VICE : J'ai lu que tu avais composé pendant un temps sous le nom de Below Underground. C'était quand ?

Svengalisghost : La première fois que je suis passé de dj à producteur, j'ai eu l'impression qu'il y avait un vide dans la scène underground de Chicago, en partie à cause de la gentrification à l'œuvre à la fin des années 1990 mais aussi parce que Chicago s'était laissée séduire par ce que j'appelle la Flaccid House, la house commerciale. Cette musique 4/4 insipide avait été promue par certains des mêmes mecs qui avaient tout tué quelques années auparavant et qui avaient fini par tomber dans la facilité.

Ouais.

J'ai senti un sorte de renaissance, quelque chose qui se préparait, ignoré des foules. L'énergie du truc pur se réveillait parmi quelques mecs. Je voulais prendre part à cette énergie et faire de la musique depuis les tréfonds de l'underground.

OK. Pourquoi ce nouveau nom, Svengalisghost?

Ma métamorphose en Svengalisghost est le résultat de ma frustration de ne pas avoir de lignes vocales sur mes titres. Je voulais avoir un contrôle complet sur mon environnement, et sans vocaux, je ne le pouvais pas. J'ai l'impression que tu dois t'exposer, comme disait Lao Tseu, « entre ciel et terre ».

Je vois.

Dans le roman [Trilbyde George du Maurier, paru en 1894] , le personnage de Svengali n'a jamais pu connaître le véritable amour, et ce, même si Trilby était entièrement sous son contrôle. À la fin, le contrôle implacable qu'il a sur elle le tue. Donc dans un contexte allégorique, SvengalisGhost est une représentation de ma situation : de simple producteur totalement control freak, j'ai ressuscité en artiste live.

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OK. Jusqu'au nom de ton dernier EP, Mind Control, on a l'impression que l'univers littéraire, philosophique et symbolique constitue une immense partie parmi tes préoccupations.

Plus précisément, je souhaite que ma musique résonne dans l'esprit des auditeurs, sur une piste de danse ou dans ton appart. Quand je vivais sur la côte ouest du Mexique, j'ai remarqué à quel point les habitants du côté pacifique ressemblaient aux Asiatiques du Pacifique sud. J'ai croisé des filles qui semblaient sortir d'un tableau de Gauguin. C'est la première fois que j'ai compris que c'était la terre qui nous façonnait. La terre est vivante, n'est-ce pas ?

En effet.

Ouais, et du coup j'ai pensé : « Wow, et si je poussais ça un peu plus loin ».

Ouais.

Je regardais La Vie Secrète des Plantes un jour et il y a cette scène où un labo créé un synthé se met à produire de la musique grâce à une rétroaction bioélectrique générée par les plantes. J'ai adoré cette merde. Donc je me suis dis que ce serait intéressant si l'on pouvait prendre le béton d'une ville et le connecter à un synthétiseur. Faire de la vraie musique concrète.
Dans les années 1980, à Détroit et à Chicago, tous les producteurs possédaient les mêmes machines mais je ne sais pas pourquoi, à chaque fois le rendu était complètement différent. J'ai l'impression que Chicago possédait une certaine énergie qui, lorsqu'on y était connecté, provoquait une réponse particulière. Je veux dire que les fondations de l'electronica dansante, la house donc, sont expérimentales et philosophiques par essence.

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Tu fais allusion à l'acid house de la fin des années 1980.

En partie, oui. Ici à Chicago, l'acid n'était qu'un bruit et quelqu'un, un jour, s'est dit « Merde, c'est un truc de fou, il faut enregistrer ça ! » Les mecs sortaient des trucs à partir de ce son en y rajoutant des polyrythmies de malade ; un truc vraiment dingue et extrêmement punk. C'est l'évolution de la musique vers les sons bruitistes que Luigi Russolo [compositeur italien de la fin du XIXème siècle et père de la musique bruitiste] présageait.

C'est étrange de t'entendre disserter sur Chicago mais de continuer à sortir tes maxis sur L.I.E.S, un label new-yorkais ?

Avant, les artistes restaient sur le même label durant toute leur carrière. Je pense à Chess, Tsop, Motown, etc. À la fin, ça se résume à qui prend soin de toi – Ron, le manager de L.I.E.S, le fait parfaitement. Et les labels de Chicago continuent de produire cette house flasque qui a hypnotisé les gens avec sa structure simpliste – la house merdique, telle qu'elle est perçue par la majorité. En réalité, les vrais bons labels de Chicago comme Nation ou Mathematics ne sortent pas beaucoup de disques produits par des mecs de Chicago.

En Europe, on tend à idéaliser la house de Chicago période 1985-88. En revanche, personne n'a une idée précise de l'état de la dance music actuelle – à l'exception peut-être de Mathematics Recordings.

Évidemment, cette époque est toujours importante. Elle a vu la genèse de ce qui est devenu un genre. La house était une réponse à tout cette electronica hystérique venue d'Europe. Aujourd'hui, tout a changé : les spots undergrounds de Chicago ne signifient plus rien. Comme je le soulignais plus haut, c'est dû aux importants changements démographiques survenus dans les anciens quartiers sordides de la ville. La gentryfication et les lois d'aménagement du territoire ont tué Chicago – au contraire, ils n'ont jamais vraiment affecté New York. J'ai vu Jamal Moss il y a deux mois à Chicago et il n'y avait que 40 personnes dans la boîte. Alors qu'à New York et en Europe, il défonce tout.

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Des câbles, des lunettes de soleil et des millions de couleurs difféentes dans le studio de Svengalisghost, à Chicago.

Malgré tout, j'ai l'impression qu'il demeure des traces de que l'on appelait la « scène de Chicago » il y a quelques années encore.

J'ai laissé tomber la « scène ». De toute façon, j'ai l'impression de n'en avoir jamais tellement fait partie. Je suis juste un énième mec obscur qui fait de la musique. J'ai vraiment arrêté de sortir quand j'ai commencé à faire de la musique et ce n'est que récemment que je me suis mis un coup de pied au cul et que j'ai commencé à sociabiliser.

Comment envisages-tu l'avenir de la house à Chicago ?

Je pense qu'à l'étranger et même à l'échelle nationale, Chicago est encore reconnue comme un élément vital de l'évolution de la culture club, et plus largement, de la musique électronique. La première fois que je suis venu en Europe, j'ai rencontré des mecs qui étaient là « Ah merde, tu viens de Chicago ? Tu mixes ou tu fais de la musique ? » Ça défonce d'avoir ce genre de reconnaissance. C'est une sorte de déterminisme géographique.  Quand je suis à l'étranger, j'aime l'idée de représenter ma ville, Chicago.

Justement, tu t'apprêtes à partir en tournée. Tu vas notamment faire les premières parties de Ron Morelli, le boss de L.I.E.S, connu lui aussi pour sa grosse personnalité.

Ouais. Ce mec est un vrai lascar hardcore de New York qui fait de la house comme on devrait la faire. Fous le feu et ne laisse rien que des ruines. Une éthique strictement DIY. Il a un vrai coté gang, dans la mesure où chaque mec du label a quelque-chose qui le relie directement à Ron, d'une manière ou d'une autre. Pas facile de s'intégrer là-dedans. D'ailleurs, je doute fort que tu puisses leur envoyer une démo. Ça rend le truc très exclusif, pour les initiés. La pureté du sang.

Le EP de Svengalisghost, Mind Control, est toujours disponible chez L.I.E.S Records.

Le calendrier de la tournée européenne de Svengalisghost :

4/10 – Hambourg
5/10 – Berlin 
19/10 – Göteborg 
28/10 – Glasgow, avec Ron Morelli 
2/11 – Au Scop Club à Paris, avec Ron Morelli 
13/11 – À Paris, pour la Gazza Night
15/11 – Berlin, avec Ron Morelli