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Vers une deuxième révolution égyptienne ?

Samedi dernier, la police a lancé un attaque brutale contre un sit-in d'activistes (des blessés rescapés de la révolution de février dernier).

La semaine dernière, aux côtés de leurs pyramides miniatures toutes pétées, les commerçants de la place Tahrir vendaient des tee-shirts commémoratifs du printemps Arabe et du déboulonnage de Hosni Moubarak. Depuis quelques jours, ils ont ressorti les écharpes, les masques à gaz, et les lunettes de protection. C'est signe que les temps sont durs.

Samedi dernier, la police a lancé une attaque brutale contre un sit-in d'activistes (des blessés rescapés de la révolution de février dernier). Ils étaient là pour montrer leur mécontentement face au peu de changements constatés depuis. La nouvelle s'est répandue et des milliers de personnes ont afflué place Tahrir pour apporter leur soutien aux activistes. En seulement quelques heures, l'incident était devenu l'élément déclencheur d'un nouveau mouvement. Certains évoquent une seconde révolution, d'autres pensent que le printemps ne s'était jamais tout à fait terminé. Mais peu importe la nature du soulèvement, le peuple semble très énervé et plus de cent manifestants ont péri lors des récentes attaques. Ce conflit, le plus important depuis février dernier, ne connaît pas de répits depuis 5 jours, et de plus en plus de gens se rallient au mouvement au fil des heures.

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J'ai demandé à Sherief Gaber, un activiste de la place Tahrir, pourquoi les Egyptiens étaient toujours énervés, même après le départ de Moubarak.

« Ils voient que les choses continuent comme si rien n'avait changé, comme sous l'ancien régime. Régime qui est plus ou moins resté en place, à l'exception du départ de Moubarak et de quelques-uns de ses acolytes. La censure de la presse et les attaques violentes sur les manifestants sont plus que jamais d'actualité. »

« Nous avons assisté au procès militaire de plus de 12 000 civils ;  un genre de cour martiale dont la cible s'étend du petit voyou au pauvre type au chômage, en passant par les journalistes, les activistes, et les personnalités politiques qui cherchent à montrer leur opposition au gouvernement. Les violences contre les manifestants pourraient être qualifiées de massacre, comme celui qu'on a pu voir devant les locaux de la télé nationale en octobre, lors duquel 30 personnes ont été tuées en 15 minutes. »

Pour couronner le tout, l'économie s'effondre et les taux du chômage et d'inflation continuent de monter en flèche. Le Conseil Suprême des Forces Armées (CSFA) qui dirige l'Egypte actuellement, a prétendu être un gouvernement provisoire, le temps de remettre le pays à flot. Mais pour beaucoup, le CSFA est juste une émanation de l'ancien gouvernement, avec un nouveau nom.

Les nuages de gaz lacrymogènes sont si denses que pas mal d'émeutiers sont morts asphyxiés. De nombreux manifestants ont perdu un œil à cause des balles de chevrotines en métal ou en plastique. Dans la rue Mohammed Mahmoud, là où l'homme que vous pouvez voir ci-dessous a été blessé, les feuilles des arbres tremblent. Il se fait soigner dans un hôpital de fortune qui s'est d'ailleurs fait gazé quelques minutes après la prise de ce cliché.

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Certains se battent depuis plus de dix jours et ne s'arrêtent même pas pour dormir. D'autres se font rafistoler à la dure avant de retourner au front. Un activiste répondant au nom d'Ahmed Harrara, qui a perdu son œil le 28 janvier dernier dans un combat contre les forces de Moubarak, s'est joint aux troupes de la place Tahrir dès samedi. Son œil gauche a été touché. Aujourd'hui, il est aveugle.

Ces chevrotines, de même que beaucoup d'autres armes retrouvées par les activistes, portent l'emprunte des Etats-Unis, de l'Italie, et de la Chine.

Les hooligans de l'équipe de foot égyptienne sont toujours en première ligne dans les combats de rue.  Dans la nuit de samedi, quand ils sont arrivés par milliers, l'avantage semblait être aux révolutionnaire pour la première fois depuis la reprise du mouvement. Les supporters les plus extrêmes des grandes équipes – El Ahly et Zamalek – ont une organisation bien ficelée. Ils ne feraient qu'une bouchée des Boulogne Boys.

En tant qu'adulte responsable, on pourrait être contre l'idée qu'un gamin soit présent dans la zone de tir de la police. Mais quand ce petit gars est apparu devant moi, sortant tout droit d'un nuage de fumée, et m'a proposé d'asperger mes yeux en pleurs avec du bicarbonate dilué dans de l'eau, j'étais content qu'il soit là. Beaucoup de gamins se trimballent dans les rues du Caire avec cette mixture miracle contre les gaz lacrymo ou du vinaigre pour aider à respirer. Ils font partie d'un organisation non officielle qui distribue aussi des motos servant à transporter les blessés d'un côté, et les munitions de l'autre.

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Lobna Darwish, qui a participé aux manifestations, explique pourquoi les Egyptiens ont si peu d'espoir pour les prochaines élections.

« Le parlement ne sera pas capable de choisir un nouveau gouvernement et s'il n'est pas capable de mettre en place une nouvelle constitution dans les six prochains mois, le CSFA prendra la relève. Le parlement a des pouvoirs très limités, comme sous le régime de Moubarak. Le CSFA est prêt à le supprimer ou à le dissoudre à tout moment. »

Quant aux autres candidats, beaucoup sont des hommes d'affaires très riches ou des personnalités liées à l'ancien régime.

Comme si tout ça ne suffisait pas, la police alterne entre l’inaction et les actes d'une extrême brutalité. Parfois, les officiers restent immobiles, comme s'ils étaient conscient des atrocités commises lors de leur dernière tentative pour prendre la place Tahrir. Puis, lorsque la foule commence à gagner du terrain, ils reprennent les violences de plus belle. Il n'y a pas d'issue.

La relation qu'entretient le public avec l'armée est quelque peut différente, étant donné que les manifestants ne jettent pas de pierres ou de cocktails Molotov sur les soldats. Beaucoup de Cairotes croient encore que l'armée est du côté du peuple et qu'il existe une grande différence entre les soldats et les policiers. Pourtant, l'armée est désormais officiellement en charge des opérations et les manifestants ont déjà capturé plusieurs soldats, habillés en uniformes de policiers.

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Dimanche soir, la place Tahrir était à moitié pleine. Aujourd’hui, elle est bondée. Les tentes sont installées et les couvertures dépliées. Du jamais vu depuis février dernier.

Lobna nous donne sa vision des choses : « La victoire ou la mort, voilà ce que l'on perçoit quand on descend dans la rue. Le peuple n'est pas prêt de rentrer chez lui. Quand les jeunes quittent leur foyer, ils disent à leur parents qu'ils vont se battre pour gagner et qu'ils sont prêts à mourir. C'est comme ça. »

TEXTE ET PHOTOS : TOM DALE