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Vice Blog

J’ai 189 amis en commun avec le mec qui m’a agressée sexuellement

Parfois, ça arrive que je lise ses commentaires, sous la photo d'une amie, et je like le commentaire, avant de voir de qui il provient.

J'ai 189 amis Facebook en commun avec le mec qui m'a sodomisée de force. J'ai 189 amis Facebook qui parfois partagent ses opinions, ses photos (mon agresseur en forêt! mon agresseur devant une bouteille de vin rouge! mon agresseur et sa nouvelle coupe de cheveux!) et me rappellent que je l'ai déjà trouvé vraiment excitant et intéressant ce mec.

Je les comprends d'être son ami. Il est charismatique, il sait parler de volcans et de bordels, et il a les lèvres d'un enfant qui ne grandit pas et qu'on n'oserait pas punir, les lèvres gonflées comme par une piqûre d'abeille ou tachées de jus de raisin chimique.

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Être ami avec la victime ou avec l'agresseur?

Moi aussi j'ai déjà bu du vin rouge avec lui et mangé du poulet au beurre sur son lit. J'ai aussi ri quand il me parlait de sa queue, qu'il trempait dans des verres d'eau en faisant semblant que c'était une trompe d'éléphant et qu'il fallait absolument lui donner à boire, à Babar. Mais je l'ai aussi amené dans une clinique, quand il se disait totalement perdu sans moi. Je l'ai connu en moi quand ce n'était plus juste lui qui était perdu, mais moi aussi, et je n'étais pas perdue parce que j'étais sans lui, mais avec lui, avec trop de lui en moi.

Des membres de ma famille sont amis Facebook avec lui. Une amie avec qui je devais aller à la Ronde cet été aussi. Et parfois, ça arrive que je lis ses commentaires, sous la photo d'une amie, et je like le commentaire, avant de voir de qui il provient, et de retirer tout de suite mon like, et de m'en vouloir, de continuer à avoir un lien, comme ça, avec lui, parce que je ne vais pas fermer mon compte (j'aime trop liker les photos de chiens qui grandissent à côté d'une bouteille de Sriracha) et je ne vais demander à personne de choisir entre son amitié ou la mienne.

Erin, elle, avait une quarantaine d'amis Facebook en commun avec son agresseur. Elle avait l'impression de le voir partout. Elle les a bloqués: « Ma santé mentale en dépendait. Voir des proches heureux et souriants en sa présence me donnait l'impression qu'ils approuvaient la cruauté qu'il m'avait fait subir. »

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Comparer sa situation et sa réputation à celle d'un agresseur qui se dit féministe

Kate ne condamne pas ses amies qui en viennent souvent à échanger des pensées et des articles avec son agresseur dans des groupes Facebook féministes, mais elle a très peur que personne ne la croie si elle expose l'identité de son agresseur. « C'est pas ma seule agression, mais c'est celle qui me trouble le plus. Peut-être parce qu'il continue d'être le gentil gars féministe pour tout le monde », me dit-elle. Or, le lendemain de son agression, il lui avait simplement expliqué qu'elle était trop attirante et qu'il n'avait pas pu se retenir. Chaque fois qu'elle revoit son agresseur sur les réseaux sociaux, elle compare leurs situations : « Il a une blonde, il dit des trucs brillants, il a l'air bien. Je le vois passer de temps en temps, par amies interposées, sur mon fil d'actualité. Moi, je vis encore des moments où un mauvais souvenir me coupe l'envie de baiser avec mon copain, que j'aime et qui me respecte. »

Manipuler l'autre grâce à un écran

Parfois, ce n'est pas qu'un retweet ou une page Facebook qui précipitent les contacts entre survivants d'un viol et violeur. Le père de Nelleke l'a agressée. Elle l'a poursuivi en justice et ne le voit plus depuis près de quinze ans. Elle a bloqué sa mère de son compte Facebook, mais celle-ci se crée continuellement une nouvelle identité afin de continuer à s'immiscer dans la vie de sa fille. Elle a déjà fait une demande d'amitié à la fille de Nelleke. Qui a 13 ans, le même âge que Nelleke quand son père a commencé à l'agresser. « Je croyais que ma fille serait épargnée, mais là, avec Facebook, je réalise qu'il peut étendre son emprise malgré les heures de route qui nous séparent et malgré le fait que je lui ai interdit tout contact avec mes enfants », déplore Nelleke.

Quand ce ne sont pas la mère ou le père qui dépassent les limites de Nelleke, c'est parfois la famille proche : « C'est déjà arrivé qu'une cousine fasse des captures d'écran de photos de moi et les envoie à mes parents. J'ai alors supprimé mes amis Facebook, mes photos et mes statuts. Peu à peu, j'ai rajouté des membres de ma famille, même si certains préfèrent encore se fermer les yeux sur ce qui s'est produit. Ça me fait toujours un pincement, quand je vois un like ou un commentaire de ma mère. »

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L'agresseur de Kate lui a récemment envoyé un texto. Il voulait prendre de ses nouvelles. Elle avoue que, si elle le croisait en vrai, elle serait sans aucun doute bouleversée, mais elle réussirait peut-être à l'engueuler, lui qui, au lendemain de l'agression, l'accusait au téléphone, en pleurant, de le faire sentir tout croche.

Réussir à contrôler la place d'un agresseur dans sa vie numérique

Une fois, Alexis a reçu un message Facebook de son agresseur, des années après l'agression. En lisant le message simplet de son agresseur (« Salut, ton enfant va bien? »), tout le corps d'Alexis a réagi à cause du dégoût et du choc. Il ne soupçonnait même pas que son agresseur réussirait à en savoir autant sur lui et sur sa famille. « J'ai figé. J'ai braillé. J'ai vomi. Tout le kit. C'était horrible. J'ai cru pendant des mois après que mon nouveau-né était pas en sécurité. »

Après avoir vu le nom de son agresseur à quelques reprises dans la section « Vous connaissez peut-être », Alexis l'a finalement bloqué. Quand il voyait le visage de son agresseur, il avait souvent le goût de le tuer, pendant quelques secondes. « Mais, tout de suite après, je revivais les moments suivant l'agression. Je me sentais sale. Je me sentais dans l'obligation de prendre une douche et de me frotter jusqu'à ce que ça fasse mal », me confie-t-il.

Depuis qu'il l'a bloqué, Alexis ne pense pas moins à son agresseur, mais il parvient à mieux contrôler les moments où il pense à lui. « Genre, son nom ne me poppe pas dans la face pendant que je jase avec des amis ou que je regarde des vidéos de fail. »

Si les réseaux sociaux forcent parfois les connexions entre survivants et agresseurs, ils sont aussi un lieu de solidarité et de témoignages. Le groupe Facebook et Tumblr Je suis indestructible le prouve. Il donne aussi une voix aux personnes qui souhaitent dénoncer la culture du viol, comme le blogue Commando Culotte de Mirion Malle, qui, récemment, montrait graphiquement l'impunité des agresseurs qui sont des célébrités.

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