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Santé

Le scientifique français Xavier Duportet crée des robots biologiques

Ce jeune chercheur veut révolutionner le marché des antibiotiques et à sauver des millions de vies – tout en traitant votre saloperie d'acné.

Toutes les photos sont de l'auteure

« Je t'offre le café mais moi je m'en passerai parce que je suis déjà hyperactif. » Un peu au hasard, il prend un 7up saveur Mojito, ce qu'il aura l'air de regretter par la suite. Il est 9h30 et je suis à la cafétéria de l'Institut Pasteur avec Xavier Duportet, ce jeune scientifique sympa de 28 ans qui avait décidé de faire de la recherche sur les insectes, avant de se retrouver en train de cultiver des robots biologiques susceptibles de révolutionner le marché des antibiotiques, de sauver des dizaines de millions de vies ou de traiter votre saloperie d'acné.

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Avant de rencontrer Xavier Duportet, je me doutais déjà que nous avions un sérieux problème avec les antibiotiques. Deux sérieux problèmes, pour être plus précise. En mai 2013, le New York Times avait publié un article sur les cent mille milliards de bactéries qui vivent et meurent dans notre organisme à tout instant. Cette population, pouvant peser jusqu'à un kilo, était jusqu'ici largement inconnue des scientifiques qui commençaient tout juste à l'étudier et à comprendre son importance pour notre santé. Une perte de diversité ou une prolifération de la « mauvaise » sorte de bactérie au sein de notre microbiome nous prédisposerait donc à l'obésité, à tout un ensemble de maladies chroniques et à certaines infections. Or, la diversité de la flore semble nettement plus faible chez les Occidentaux que chez des civilisations moins industrialisées – ce qui pourrait s'expliquer en grande partie par notre usage inconsidéré des antibiotiques. Un autre article, publié quelques mois plus tôt dans The Fern, faisait le point sur la perte d'efficacité des antibiotiques et la réticence de l'industrie pharmaceutique à en créer de nouveaux, le marché n'étant pas jugé assez rentable. L'auteure déclarait qu'avec la multiplication des souches résistantes, nous risquions de rentrer dans une ère post-antibiotique, où la moindre égratignure pourrait redevenir mortelle. Elle citait le cas d'Albert Alexander, l'une des premières personnes ayant été traité expérimentalement avec de la pénicilline : le policier britannique s'était égratigné le visage sur un rosier. Résultat, son cuir chevelu suintait du pus et il avait fallu lui enlever un œil. Il était mort malgré tout, le médicament n'étant pas disponible en quantité suffisante pour le soigner.

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Selon l'OMS, à partir de 2050 les infections causées par des bactéries devenues résistantes à tous les antibiotiques seront la première cause de décès par an. Les antibiotiques détruisent tout sur leur passage, les bonnes bactéries comme les mauvaises, déséquilibrent le microbiome et, utilisés à l'excès, favorisent l'essor de germes qui leurs sont résistants. Mais en dépit des nombreux dangers et effets secondaires qu'ils comportent, ce sont les seuls outils dont nous disposons aujourd'hui pour lutter contre les infections. C'est dans ce contexte que la trouvaille de Xavier Duportet et David Bikard, son associé, prend tout son sens : un robot biologique, composé d'ADN et de protéines – un biotique – intelligent capable de cibler de manière extrêmement précise les bactéries à tuer, y compris les bactéries résistantes aux antibiotiques. Ce nouvel antibiotique, baptisé « eligobiotique » a déjà décolonisé des souris porteuses de staphylocoques dorées multirésistants, l'un des dix pathogènes les plus dangereux au monde. D'autres utilisations sont envisageables : les eligobiotiques pourraient être « reprogrammés » pour éliminer les bactéries responsables de l'inflammation des intestins, comme c'est le cas dans la maladie de Crohn, ou de l'inflammation de la peau à l'origine de l'acné. Si ce produit se révèle bel et bien efficace, il ouvre un vaste champ de possibilités puisque le type de technologie utilisé pourrait sur le long terme, être appliqué à toutes les pathologies liées au microbiome tel le diabète ou certains types de cancers, dont le cancer du côlon. Pour l'instant 2,4 millions d'euros ont été levés et les chercheurs sont en phase pré-clinique : le robot Eligo pourrait être mis sur le marché d'ici sept ou huit ans.

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« Je ne suis pas très photogénique », me dit Xavier Duportet d'un air sincèrement navré et tout à fait touchant, lorsque je jette un œil contrarié aux quelques photos prises sur le vif, pendant la discussion. On a très vite envie de l'appeler Xavier plutôt que de lui donner du « Monsieur Duportet ». Il est extrêmement expressif, bouge tout au long de l'entretien et dégage une énergie et un enthousiasme communicatif. Il dispose d'un capital sympathie dont il est conscient – il sait vendre son projet – mais il est impossible de déceler chez lui la moindre forme d'arrogance. Il insiste pour que je mentionne bien son ami et associé, David Bikard, et souhaite que ses collègues figurent sur les photos. Une petite fourmilière trône sur son nouveau bureau. « Avant, j'en avais des milliers. Là, je commence une nouvelle colonie », précise-t-il. Il me montre les deux reines. Je lui demande ce qu'il ressent quand il les regarde, si sa curiosité est purement scientifique. Il est curieux, c'est indéniable, mais attaché à sa fourmilière aussi.

Duportet, qui se définit lui-même comme un enfant « plutôt » remuant, a grandi à Lyon. Sa mère, professeur de lettres, décide ne pas le brider et multiplie les activités afin de canaliser son énergie débordante et de réussir à l'envoyer au lit la nuit tombée. Il commence le piano à trois ans et en fait une heure tous les matins. Il lit énormément et affectionne tout particulièrement les romans de Jules Verne, qui le font rêver « par pour les voyages mais pour toutes ces machines incroyables ». Il fait beaucoup de sport – il pratiquera plus tard le ski à haut niveau et développera un penchant pour les activités sportives « intenses » – et joue pendant des heures dans le jardin. C'est à cette occasion qu'il commence à s'intéresser aux fourmis. « Je faisais beaucoup de jeux de construction. Je créais des entrepôts de nourriture pour les fourmis dans le jardin et je les regardais récupérer tout ce que j'y déposais. Je leur faisais aussi des chemins, des labyrinthes en Lego ». Il se met à construire des fourmilières artificielles qu'il garde dans sa chambre, où il élève aussi des phasme et des « énormes » scolopendres. Sa mère, toujours patiente, l'aide à tout remettre en ordre lorsque sa ménagerie décide de prendre possession de la maison. Après son départ, elle s'est d'ailleurs lancée dans l'élevage d'abeilles et Duportet se demande lequel des deux a finalement transmis le virus de l'entomoculture à l'autre.

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À l'école, il est « très dissipé », parle beaucoup, s'ennuie et on l'isole pour l'empêcher de distraire les autres. « Je crois que j'ai passé la majeure partie de ma scolarité tout seul, au fond de la classe ». Ce qui ne l'empêche pas d'être régulièrement délégué et d'avoir de bons résultats. « J'ai la chance d'avoir de bonnes notes. J'ai une bonne mémoire visuelle et à l'école il faut surtout apprendre et recracher ». Il précise qu'il trouve ça dommage. Il saute le CE2 ce qui lui vaudra, comme il est né en fin d'année, de passer son bac à 16 ans. Il insiste discrètement sur ce point. Duportet ne tient pas à être présenté comme un petit génie, il estime avoir énormément de chance. Pourtant, au détour d'une question, il finit par admettre, presque gêné qu'il n'a jamais vraiment eu besoin de prendre des notes – « enfin dans l'enseignement supérieur si, car les cours étaient tout de même assez complets » – et qu'il commençait généralement à réviser ses examens la veille du jour J. Je lui fais gentiment remarquer qu'avec un parcours comme le sien, il n'est pas étonnant qu'il ait au moins quelques facilités. Il écarte habilement le sujet, qui ne semble tout simplement pas l'intéresser, et me raconte sa première rencontre avec Bernard Mauchamp.

Très vite, il souhaite étudier les insectes. Alors qu'il avait 12 ans, un membre de sa famille lui conseille d'aller faire un stage chez ce dernier, qui se trouve être non seulement entomologiste mais également généticien. « J'ai été inspiré par cet homme là quand j'étais gosse, ça m'a suffit pour devenir ce que je suis aujourd'hui ». Il s'entend très bien avec Bernard Mauchamp, chercheur confirmé « gentil, passionné et didactique » qui prend sous son aile le gamin curieux et lui fait découvrir la recherche et la génétique. « A l'époque c'était vraiment des pionniers, ils faisaient les premières modifications génétiques chez les insectes, les vers à soie ». Au microscope, Duportet observe les yeux et les différents membres des vers à soie se développer. À ce moment précis, il décide de faire de la génétique.

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Il se rend à Paris seul, à 16 ans, pour faire une classe préparatoire à Janson de Sailly, dont il garde un excellent souvenir, puis intègre l'AgroParisTech, une prestigieuse école d'ingénieurs. « C'était cool, j'ai beaucoup fait la fête aussi », assure-t-il. Il regrette simplement le fait que l'école ne motive pas davantage ses élèves, ne leur ouvre pas les yeux sur tout ce qu'ils pourraient faire ensuite. Il part faire de la recherche dans l'Ohio puis en Nouvelle-Zélande dans le cadre d'une année de césure, et participe à la découverte d'une molécule anti-fongique qui sera brevetée. À son retour, il entreprend un Master externe en biologie synthétique au CRI – « une super formation » – où il commence à se faire remarquer en remportant le prix international de la recherche fondamentale iGEM. Il enchaîne trois stages de trois mois à l'Institut Pasteur, à l'Inria puis au MIT où il entame ensuite une thèse qui durera quatre ans tout en lançant deux start-up dont « Eligo Bioscience », qui naît en mai 2014. Il termine sa thèse en novembre, obtient les félicitations du jury pour son travail sur le circuit génétique des mammifères, et part dans les semaines qui suivent en quête des fonds nécessaires au développement pré-clinique d'Eligo qu'il obtiendra rapidement. Car Duportet est aussi un homme de réseau : il aime parler et convaincre.C'est aux États-Unis qu'il a appris à « networker » de façon positive – « pas seulement intéressée » – le « réseautage » étant, à son grand regret, encore très mal connoté en France. « Il faut être curieux et cultiver sa curiosité. Quand tu montre aux gens que tu es curieux et que tu bosses, tout est possible, beaucoup de portes s'ouvrent ».

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Parallèlement à sa thèse, il lance l'association « Hello Tomorrow » dans le but de décloisonner science, technologie et entrepreneuriat tout en accélérant le développement de technologies innovantes. « Je me bats pour éveiller les curiosités et ce qu'on devrait inspirer aux jeunes c'est la volonté d'aller au-delà du digital, d'utiliser la science pour mettre des produits sur le marché. Le web c'est très bien, mais ce n'est pas tout », affirme-t-il. « Les nouvelles technologies sont en plein essor, ouvrent des champs d'application complètement dingues et en France on passe totalement à côté de ça. Il faut leur montrer qu'il y a plein d'entrepreneurs, jeunes moins jeunes qui sont en train de changer le monde en France avec la science », dit-il.

À 28 ans, Duportet a reçu déjà reçu neuf distinctions pour cinq projets différents – dont le prestigieux titre d' « innovateur français de l'année » qui lui a été décerné en 2015 par le MIT Technology Review dans le cadre de ses recherches sur l'antibiotique du futur. A ceux qui insinuent qu'il se disperse, il répond que l'interdisciplinarité est extrêmement importante et précise qu'il n'a pas peur d'arrêter net certains projets lorsqu'il sent que ces derniers risquent de se révéler chronophages et stériles. « J'ai placé des pions un peu partout, c'est vrai que j'ai cette chance là, d'être hyperactif, sinon je pense que je n'y serais pas parvenu ». En temps normal, il ne dort que quatre, cinq heures par nuit. Depuis le lancement d'Eligo, il dort davantage – « l'année a été intense ». C'est le moins que l'on puisse dire, lorsque l'on sait ce qu'il a accompli tant sur le plan de la recherche que celui de l'entrepreunariat.

Sa vocation de chercheur-entrepreneur lui est venue au MIT, où il a découvert d'autres personnes avec des profils similaires. Il s'est vite rendu compte que la thèse, la recherche en académie c'était bien, mais que si on se contentait de découvrir une nouvelle technologie, elle ne sortirait pas du laboratoire. « Il y a plein de choses à faire, plein de problèmes à résoudre. Si on ne fait que de la recherche on s'arrête à la première étape. Ce que je préfère, c'est mixer ingénierie et science : découvrir puis appliquer, faire en sorte que ça marche. Il y a des contraintes beaucoup plus fortes dans le passage d'une technologie à un produit que dans la mise au point de la technologie elle-même : la réglementation, les temps, les coûts à respecter… », ajoute-t-il.

Quand je lui demande quelles erreurs il a faites, il écarquille les yeux et réfléchit quelques secondes avant de me dire que ses erreurs les plus importantes sont des erreurs de recrutement. Il n'avait aucune expérience dans le domaine et, à son sens, la réussite d'un projet repose à moitié, si ce n'est plus, sur l'équipe. Il faut pour cela trouver des personnes avec qui l'on s'entende parfaitement, des personnes qui ont un esprit d'équipe plus important que l'esprit d'égo. Besogneuses et éclairées – un peu comme des fourmis. Maintenant que l'équipe de ses rêves a été réunie, Duportet pense à la prochaine étape à atteindre : les premiers essais cliniques sur l'homme, qui devraient débuter dans deux, trois ans.

Marie est sur Twitter.