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Culture

Le naufrage de la ville qui a bâti le Titanic

Quand James Cameron a décidé de réaliser Titanic, on lui a alloué un budget de plus de 200 millions de dollars.
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De faux passagers embarqués sur un faux Titanic, en train de dire au revoir à une foule qui n'existe pas

Quand James Cameron a décidé de réaliser Titanic, on lui a alloué un budget de plus de 200 millions de dollars. En 1995, le film était déjà le plus cher de l’histoire du cinéma ; mais à cela se sont ajoutés tous les problèmes de production liés aux impératifs de tournage, à savoir : reproduire un navire transatlantique. L’option tournage en milieu marin ayant été exclue, Cameron et ses amis se sont décidés à racheter 34 hectares de terrain dans la ville de Rosarito, au Mexique, une petite station balnéaire proche de Tijuana. Ils ont construit un studio sur le littoral et y ont inclus un réservoir assez large pour y faire couler une réplique du paquebot. Un choix économiquement viable puisque Rosarito se trouve seulement à quatre heures en voiture de Los Angeles, que les loyers défient toute concurrence et que les producteurs du film pouvaient faire des économies en sous-payant les locaux. On connaît la suite ; Leonardo Di Caprio s’autoproclame « roi du monde », des centaines de millions de gens s’entassent dans les salles et le film génère des sommes infinies. Dans le sillage du film, l’économie de la ville explose. Les Studios Fox Baja tournent à plein régime et continuent à produire des films en profitant de l’âge d’or du tourisme de la fin des années quatre-vingt-dix, lorsque les autocars en provenance des États-Unis déversaient en masse familles, surfeurs et springbreakers afin que tout le monde puisse profiter du soleil et de la tequila bon marché. On y trouvait aussi ce truc nommé « Foxploration » – qui proposait des visites touristiques du studio – et un musée dédié au Titanic. Seul problème, la fête a tourné court. Au cours de la décennie qui a suivi, les cartels ont pris le contrôle du pays. L’augmentation des violences liées au trafic de drogue et une épidémie de grippe porcine en 2009 ont rapidement fini par décourager les touristes de venir y picoler et les gros bonnets d’y investir. En 2007, La Fox vend ses studios à des investisseurs locaux et ferme Foxploration, ne laissant derrière elle qu’une poignée de panneaux décrépits en bordure d’autoroute.

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Dans ma vie de figurant pour le cinéma et la télévision française

Depuis, le paysage environnant a vu pousser bien d’autres panneaux « à vendre », les entreprises à l’abandon fleurissent et la vie nocturne d’autrefois n’est plus qu’un lointain souvenir. En réalité, le seul indicateur rappelant le glorieux passé cinématographique de Rosarito, ce sont les centaines de figurants anonymes qui y ont bossé durant le tournage du film.

On a eu la chance de rencontrer trois d’entre eux : Sergio Sotelo, un infirmier né à Rosarito et qui y vit toujours, Aislinn Puig, concierge dans l’hôtellerie aujourd’hui établie à San José et Liza Ampudia del Cabo, une femme au foyer qui a déménagé à Bonita, en Californie. Ils nous ont parlé de leur expérience lors du tournage du deuxième film le plus rentable de l’Histoire juste derrière Avatar, du même Cameron.

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VICE : Comment avez-vous appris que les producteurs du film Titanic recherchaient des figurants ?

Sergio Sotelo : Ils avaient collé des affiches sur tous les murs de la ville, tous mes amis en parlaient. Je suis allé dans le petit bâtiment où se tenait le casting ; ils ont pris ma photo et des informations perso. Liza Ampudia : J’ai appris qu’il y avait des auditions dans un centre commercial de Tijuana et je m’y suis rendue. Ensuite j’ai reçu un coup de fil – ils m’ont annoncé que j’étais prise. Du coup, je suis allée à Rosarito pour qu’on me donne le costume et tout ça. Et une fois arrivée sur le tournage, vous avez fait quoi ?
Aislinn Puig : Un jour, ils ont fait s’aligner quelques filles de mon âge. Le directeur de la photographie a passé en revue chacune d’entre nous. Il m’a pointée du doigt et on m’a donné une prothèse de femme enceinte avec une énorme robe. J’étais une passagère de troisième classe qui attendait un enfant. Le truc marrant, c’est qu’au début personne ne réalisait que je n’étais pas vraiment enceinte et du coup, tout le monde sur le plateau me laissait son siège. Ça a duré quelques mois et puis j’ai fini par faire un cadavre lorsqu’on a filmé la scène de fin, dans l’eau. Sergio : Je jouais aussi un passager de troisième classe. Dans le film, j’étais pauvre donc on m’a donné un béret, une écharpe jaune et une veste trop petite. Ils te donnaient tout ce dont tu avais besoin, sauf les sous-vêtements.
Liza : J’étais une passagère de deuxième classe. Le premier jour, j’ai fait semblant de dire au revoir aux passagers sur le bateau. Lorsque dans le film, vous voyez le bateau couler, je suis sur l’un des radeaux. Puis dans plusieurs scènes où le bateau commence à se dresser, je devais courir. C’était quoi votre journée type sur le tournage ?
Sergio : Tôt le matin, un bus passait nous chercher. On devait recommencer pas mal de fois la même scène parce qu’ils la filmaient sous un angle différent à chaque fois. Quelqu’un hurlait « Action ! », puis là Cameron se mettait à engueuler des mecs. Il a vraiment un sale caractère ; ça faisait vraiment flipper tout le monde. Aislinn : Je m’attendais à un truc glamour et j’étais sûre de tomber sur Leonardo Di Caprio à un moment ou à un autre. Mais non ! Il y avait des hordes de figurants, les réalisateurs nous traitaient comme du bétail. Si tu merdais, ils venaient t’engueuler. Pas mal de gens se sont fait virer pour des trucs à la con. Je me souviens de ce mec qui a fait un peace sign devant la caméra – du coup, viré. Le film coûtait des millions et ce type avait fait foirer une scène entière. Cameron l’a bien engueulé. Ce mec est un putain de gros nazi mais bon, je me suis rendu compte que c’était surtout à cause de la pression engendrée par le film. Je l’ai rencontré dans plusieurs événements aux studios Fox après le tournage et il était plutôt cool.

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Et votre expérience avec les acteurs du film ?

Aislinn : Danny Nucci, le mec qui jouait Fabrizio, le pote rital de Di Caprio, était devenu son personnage. En gros tu faisais la fête avec lui et il venait te parler en italien. Ce mec a même dragué ma sœur avec un accent italien. Je me souviens que Billy Zane avait loué une maison loin de l’endroit où étaient tous les autres types du tournage. C’était dans les collines et il y organisait des fêtes, un mec assez cool. Winslet était plutôt sympa mais elle ne sortait jamais. Par contre celui qui sortait beaucoup, c’était Di Caprio. Je n’ai jamais fait la fête avec lui mais les mecs qui tiennent le Rock & Roll Taco – un bar local – m’ont dit qu’il foutait tout le temps la merde au moment de partir ; selon lui, il était Leonardo Di Caprio et ça lui suffisait pour ne pas avoir à payer la note. Vous avez gagné combien, au final ?
Aislinn : 40 dollars la journée, plus la nourriture et le transport. Liza : Entre 80 et 120 dollars par jour. À la fin de chaque journée, il y avait deux stands – un sur lequel était écrit DOLLARS et un autre avec un écriteau PESOS. Les Américains étaient bien mieux payés que nous. Je ne sais pas pourquoi, on m’a pris pour une Américaine. Je crois que ça vient du formulaire que j’avais rempli. Ma sœur n’avait pas précisé qu’elle possédait un passeport américain et elle a été payée en pesos, moi en dollars.

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