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Fumer du crack et tuer des tortues

En mai 2013, pour la première fois au Costa Rica, un défenseur de tortues a été assassiné.

Jairo Mora Sandoval, le défenseur de tortues assassiné (via).

Le mois dernier, pour la première fois au Costa Rica, un écologiste défenseur de tortues a été assassiné. Le 30 mai au matin, Jairo Mora Sandoval et quatre autres activistes ont été enlevés pendant qu’ils faisaient des relevés sur la plage de Moin, près de Limon, sur la côte caraïbe. Les quatre autres écologistes ont été ligotés et déposés dans une maison, mais Sandoval a été battu à mort. Quand son corps a été retrouvé au petit matin, sa bouche aurait été remplie de sable – le message adressé aux défenseurs des animaux était clair : ils feraient mieux de la boucler.

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Ça fait des années que les volontaires du Costa Rica se battent contre les braconniers pour protéger les tortues luth, les tortues vertes et les tortues imbriquées qui viennent pondre leurs œufs sur les plages du pays. Malgré les vols, les passages à tabac et les menaces armées dont ils sont l’objet, les activistes n’ont jamais renoncé à leur combat, pour protéger des tortues de moins en moins nombreuses.

Jairo Sandoval supervisait une plage pour le Wider Caribbean Sea Turtle Conservation Network (WIDECAST). Juste après sa mort, WIDECAST a suspendu ses activités sur la portion de plage où il a été tué. Mais dans le reste du pays, le travail continue comme si de rien n’était, et beaucoup redoublent d’efforts et poursuivent le travail pour lequel le jeune militant a perdu la vie.

Une tortue luth pendant la ponte, l’une des espèces que défendait Jairo Sandoval. (photo via)

J’ai demandé à Daniela Moeller, qui est en charge des relations extérieures à WIDECAST, pourquoi le braconnage prenait de telles proportions au Costa Rica : « Plusieurs types de braconniers viennent sur les plages pendant la saison des pontes, m’a-t-elle expliqué. Beaucoup sont des drogués et leur mode de vie ne leur permet pas d’avoir un travail normal. En général, ils échangent des œufs, de la viande et des carapaces de tortues contre de la drogue. Surtout du crack. Parfois, ils sont tellement désespérés qu’ils tuent une tortue imbriquée pour à peine 20 dollars. C’est de l’argent facile : un œuf de tortue luth coûte environ un dollar [on dit que ça a des vertus aphrodisiaques] et une tortue en pond entre 80 et 100. Donc s’ils trouvent beaucoup de nids, ils peuvent se faire plusieurs centaines de dollars en une nuit. »

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On sait aussi que les cartels de la drogue sont très actifs dans la région et débarquent leurs chargements sur les plages où pondent les tortues. Au début de la saison des pontes l’an dernier, un groupe de dealers armés a menacé Sandoval et l’a sommé d’arrêter ses patrouilles. Pour Daniela Moeller, « les dealers utilisent ces drogués-braconniers. Ils échangent les œufs et la viande contre de la drogue et les dealers revendent ces produits au marché noir. »

J’avais du mal à imaginer les membres d’un cartel surarmés troquant de la drogue contre des tortues – et encore plus à imaginer la version locale, du petit dealer échangeant un gramme contre des pigeons évidés – donc j’ai demandé à Daniela ce que les tortues avaient de si spécial. « Avec les tortues imbriquées, on peut faire des bijoux, ou des piques qui servent à stimuler les animaux pendant les combats de coqs. Les tortues seraient tranquilles s’il n’y avait pas ce problème de drogues, et si les gens refusaient d’acheter des produits à base de tortues. Mais tant qu’il y aura des drogués et des gens que ça ne dérange pas de manger des œufs ou de la viande de tortue, ce commerce continuera d’exister. »

Sandoval supervise un événement WIDECAST en 2010 (via).

Bien que le braconnage soit illégal, la police ne fait pas grand-chose pour mettre un terme à cette pratique, et c’est de là que vient le problème. Daniela a passé six ans et demi au Costa Rica, et elle n’a vu la police faire une patrouille sur les plages une seule fois. Les policiers font souvent face à un manque de moyens humains ou de véhicules adaptés pour faire leur travail. Quand ils sont appelés, les policiers doivent sauter dans un bateau pour rejoindre les plages. Le temps qu’ils arrivent, les braconniers et les œufs ont disparu depuis longtemps.

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Daniela Moeller a poursuivi : « Le braconnage n’est pas considéré comme une priorité à cause de la drogue, c’est ce que m’ont dit les garde-côtes à qui j’ai parlé. Certains garde-côtes voudraient vraiment nous aider mais leurs supérieurs ne les soutiennent pas. Même les plus motivés ne savent pas comment faire. Ce ne sont pas les individus mais le système qui échoue, parce que les crimes contre l’environnement ne sont pas punis comme des vrais crimes. Et tant que ça restera comme ça, la situation ne changera pas. »

Nombreux sont ceux qui pensent que le meurtre de Sandoval aurait pu être évité grâce à un peu plus de présence policière. Le militant avait déjà fait l’objet de menaces, et le 26 avril 2012, la couveuse de Moin avait  été attaquée. Des hommes armés s’y étaient introduits de nuit et avaient ligoté les employés. Une autre écologiste, Vanessa Lizano, a dû quitter son poste et retourner vivre à la capitale, San Jose, après avoir reçu des menaces et des photos de son fils par la poste.

Un flic portoricain sur une moto (via)

Après ces incidents,  la police a commencé à envoyer des patrouilles auprès des défenseurs de l’environnement, mais de façon sporadique, et en nombres insuffisants. J’ai voulu contacter les forces de l’ordre pour avoir plus d’informations quant à cette affaire, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’ils n’ont pas été très communicatifs. J’ai reçu un e-mail écrit tout en majuscules – et, aussi étrange que ça puisse paraître, sans aucun espace – m’informant qu’ils ne donneraient aucune information sur une affaire en cours.

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La police n’a quasiment plus apporté de soutien aux militants écologistes depuis début 2013, malgré des messages Facebook postés par Sandoval. Il demandait à des forces de police armées de ne pas avoir peur, et de venir les aider à patrouiller sur les plages. Malheureusement, c’est lui qui a fini par payer le prix du manque d’investissement de la police. Suite à sa mort, Les défenseurs de l’environnement espèrent que la mort de Jairo Sandoval n’aura pas été inutile, et que la police va réagir en accordant plus d’attention au problème.

Mais les militants n’attendent pas la réaction de la police et continuent à surveiller les plages chaque nuit. « Quand on repère une tortue sur le point de nidifier, on attend qu’elle ait terminé d’enterrer ses œufs. Ensuite, on les récupère, m’a expliqué Moeller. On consigne les informations importantes, puis on bague la tortue et on lui prélève des échantillons de tissus pour déterminer son état de santé. Après, soit on repose les œufs ailleurs sur la plage, dans une zone plus sûre, soit on les place dans notre couveuse. La couveuse est gardée 24 heures sur 24 jusqu’à ce que les œufs éclosent. »

Mais malgré tous ces efforts, selon Moeller, « on n’arrive à sauver qu’environ 50% des œufs de tortues chaque saison. Si on laissait faire les braconniers, tous les œufs de tortues vertes et imbriquées seraient détruits. »

Des volontaires de WIDECAST (publié avec l’autorisation de WIDECAST, via)

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C’est assez surprenant mais certains braconniers, sur d’autres plages que celle de Moin, ont passé un genre de pacte avec les défenseurs de l’environnement : celui qui trouve un nid a tous les droits sur celui-ci. Mais Daniela Moeller m’a expliqué que ce procédé était plus souvent frustrant qu’utile : « Parfois, les gens de chez nous fouillent la plage à la hâte en partant d’un côté, et les braconniers font pareil de l’autre côté. S’ils nous battent, on doit accepter le fait que les tortues sont pour eux. C’est extrêmement dur de les voir emmener les tortues pour les tuer et de ne rien pouvoir y faire. Sur certaines plages, vingt ou vingt-cinq braconniers attendent les tortues. »

Les groupes de défense de l’environnement ont offert la somme de 10 000 dollars à quiconque pourrait aider la justice à retrouver les assassins de Sandoval. Une semaine après le meurtre, deux hommes armés ont été arrêtés, sur la plage où le jeune homme est mort, mais on ne sait toujours pas s’ils sont liés au meurtre. Un fonds pour la mémoire de Jairo Mora Sandoval a aussi été ouvert.

Entre-temps, Daniela Moeller et les écologistes demandent aux gens de soutenir WIDECAST et de continuer à aider l’organisation, qui ne peut pas survivre sans l’aide de volontaires. Ils demandent aussi aux touristes de ne plus encourager le commerce des tortues en refusant d’acheter des carapaces de tortues comme souvenirs, et en n’allant pas manger dans des restaurants qui servent de la viande ou des œufs de tortues. Mais que leurs vœux soient entendus ou pas, Moeller promet qu’ils ne s’en iront pas et qu’on les trouvera encore, nuit après nuit, pour combattre les braconniers.

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Jack est sur Twitter : @JBazzler

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