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Le gouvernement tanzanien s’apprête à tuer les Massaï

À Loliondo, au nord de la Tanzanie, des milliers de membres des tribus massaï se cramponnent à leurs terres ancestrales.

À Loliondo, au nord de la Tanzanie, des milliers de membres des tribus massaï se cramponnent à leurs terres ancestrales. Encore. Cette fois, c’est parce que le gouvernement tanzanien affirme vouloir transformer ces terres en réserve naturelle – un geste qui pourrait potentiellement anéantir tous les membres de la tribu qui vit dans la région.

Je dis « affirme » parce que, selon une rumeur, le gouvernement serait en train d’expulser les Massaï afin de donner à la compagnie de chasse Ortello Business Corporation (OBC), basée à Dubaï, un accès exclusif à la région et ce, afin d’y exercer des tournois de chasse. Yannick Ndoinyo, l’un des chefs de la communauté Massaï de Loliondo, a soutenu la véracité de la spéculation, me certifiant qu’un ministre avait rendu visite à sa tribu pour lui faire part des plans.

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« Ils veulent nous prendre nos terres pour qu’OBC puisse chasser. Je peux le confirmer », m’a-t-il confié, avant d’expliquer la prétendue volonté du gouvernement de transformer les terres en une réserve naturelle : « Le ministre a dit,  ‘’Nous prenons ces terres au nom de la conservation pour que vous ne puissiez pas vous plaindre. La communauté internationale soutient la conservation.’’ »

On dirait bien que ce projet de conservation est le dernier d’une longue liste d’excuses du gouvernement pour tenter d’arracher les 1500 kilomètres carrés des terres massaï. Ils ont commencé par prétendre que les Massaïs devaient être expulsés parce que leur bétail détruisait les terres. Et ce, bien que des chercheurs soutiennent que le bétail y est présent depuis si longtemps que sans ces animaux, l’écosystème perdrait tout son équilibre.

Le gouvernement a également justifié la prise de contrôle de ce territoire par la nécessité d’y protéger les sources d’eau. Mais cette excuse est assez douteuse vu qu’ils ont détourné le regard lorsque OBC a construit sa base, à seulement quelques mètres de la source d’eau principale pour la faune du coin et les habitants de plusieurs villages alentour.

Bien que les projets de construction d’une réserve naturelle aient l’air plausibles – on compte de nombreux troupeaux de gibier africain un peu partout dans la région – l’expulsion des Massaïs par le gouvernement est évidemment inutile. Les tribus ont vécu sur ces terres des siècles durant. Aujourd’hui, après s’être vues retirer la moitié de leurs terres lors de la construction du parc national du Serengeti, elles continuent à sacrifier des animaux ; une raison à cela : leur propre conservation.

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Yannick m’a expliqué : « Nous avons beaucoup de problèmes avec les animaux sauvages. Ils tuent des gens, viennent dans les fermes et mangent nos vaches. Mais nous pouvons vivre avec ça. Nous ne nous plaignons jamais ; pourtant les animaux continuent de manger notre herbe et notre bétail, de détruire nos fermes et tuer notre peuple. »

Jo Woodman de Survival International – la seule organisation qui se bat pour les droits des tribus africaines – a expliqué : « Il s’agit d’un cas où l’on pourrait pourtant voir apparaître une très bonne synergie entre les intérêts des Massaïs et les intérêts de la conservation et du tourisme. Ce que les touristes veulent voir lorsqu’ils viennent visiter cette zone, c’est la faune et la flore, et souvent, interagir avec les Massaïs eux-mêmes. Ces trois objectifs pourraient être atteints dans une parfaite harmonie. Mais tant que le gouvernement considèrera les Massaïs comme un problème et essaiera de les expulser de leur habitat, tout continuera de s’effondrer. »

Le président tanzanien, Jakaya Kikwete.

La majorité des Tanzaniens, le premier ministre inclus, soutiennent les tribus massaïs. Pourtant, le président Kikwete et Khamis Kagasheki, le ministre des ressources naturelles et du tourisme, refusent de céder. L’explication de Yannick est simple : « OBC est une compagnie très importante. Leurs seuls clients sont la famille royale de Dubaï ; de fait, ils reçoivent un traitement privilégié de la part du gouvernement à cause de la réputation qu’ils ont dans leur pays. C’est pour ça qu’ils bénéficient d’une meilleure protection de la part de notre gouvernement que nous, la population locale. »

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Yannick et sa communauté comprennent la position délicate du gouvernement, mais étant l’une des plus anciennes tribus d’Afrique et en tant que citoyens tanzaniens, ils pensent aussi qu’ils devraient avoir le dernier mot. « J’espère que le gouvernement cèdera à nos demandes. Nous ne sommes pas des intrus ici, nous sommes les habitants d’origine », a revendiqué Yannick.

Les Massaïs comparent les plans du gouvernement à une « condamnation à mort » et n’ont plus d’autres choix que de se battre. Ce n’est pas seulement une question de territoire, mais aussi leur condition de bergers qui est remise en cause. « Si les terres sont annexées, notre territoire sera réduit de 85%. Il disparaîtra », a expliqué Yannick.

Les Massaïs gagnent leur vie avec leur bétail, qui leur fournit la viande et le lait dont ils ont besoin, et leur sert aussi de monnaie à troquer contre d’autres biens. De fait, si les tribus sont déplacées dans une région dans laquelle les troupeaux n’ont pas de quoi se nourrir, elles seront forcées de regarder mourir leur bétail – avant que leurs familles elles-mêmes périssent inexorablement.

Un représentant de l’association caritative African Initiatives a expliqué à quel point la pression était en train de monter. « Un conflit pourrait facilement se déclencher dans la région si les Massaïs refusaient de quitter leurs terres. Beaucoup de gens évoquent la présence imminente de soldats et l’utilisation de tanks. Si ça devait arriver, ce serait un désastre. Les Massaïs sont aujourd’hui bien plus conscients de leurs droits qu’ils ne l’étaient par le passé, c’est pourquoi ils ont créé une forme d’entente communautaire très forte. Le risque de conflit en est augmenté – ils se mobiliseraient collectivement si jamais ils le devaient. »

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Yannick m’a confirmé ce point : « Il va y avoir des violences. S’ils se mettent à expulser les gens de force, nous allons entreprendre des actions pour les en empêcher. Nous avons clairement fait savoir à tout le monde que nous ferions tout ce qu’il serait en notre pouvoir afin de protéger nos terres. »

Malheureusement, si les Massaïs avaient recours à la violence, ils signeraient leur arrêt de mort. De même, au-delà du fait de mourir en défendant leurs terres, les tribus pourraient également périr en se battant contre les habitants des terres dans lesquelles ils seront déplacés – ou encore, en mourant de faim une fois leur bétail anéanti. Qu’importe l’issue, l’avenir ne semble pas sourire à Yannick et ses congénères.

Quoiqu’il en soit, les Massaï sont aujourd’hui déterminés à se battre par tous les moyens nécessaires. Comme me l’a expliqué Yannick, « Ces terres nous donnent la vie tous les jours, et nous la retirer signifie que nous allons mourir ou devenir des réfugiés, pour toujours. Ce projet n’est aucunement bénéfique à la nation mais il privera au contraire ses citoyens de la dignité. Il ne s’agit pas d’une colère temporaire de bergers isolés ; c’est une question de vie ou de mort. »

Claire est sur Twitter : @ClaireSimpzim

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