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L’innocence des blancs

En tant qu’artiste, je supporte à 100 % le droit de tourner des films tout pourris qui ressemblent à un projet de fin d’année de lycéen et je ne pense pas qu’un massacre soit une réponse valable à toute forme d’art, même quand il est aussi merdique...

La semaine dernière, j’ai reçu plusieurs mails de lecteurs qui me demandaient quelle était mon opinion sur le film L’Innocence des musulmans. « La tolérance vis-à-vis de la satire est-elle un concept incompatible avec l’islam ? » ou encore « Y a-t-il des dimensions dans cette polémique qui nous échappent, à nous autres Occidentaux ? »

Quand on me pose des questions sur la rage que manifestent en ce moment les musulmans du monde entier, j’ai des réponses, mais je devine déjà les arguments qu’on m’opposera. N’importe quel défenseur de la civilisation occidentale me dira : « Peut-être, mais nous ne sommes pas violents comme eux. Ce sont eux qui tuent au nom de la religion. » Si vous voulez comparer les chiffres, il suffit juste de s'attarder sur le nombre de musulmans tués par les États-Unis ces trente dernières années. Pour maintenir leur culte séculaire en faveur du patriotisme, les États-Unis ont fini par créer un pays dont les habitants sont devenus de véritables aficionados du meurtre et du sang. Ils vénèrent le travail et l’effort vus à travers le prisme du « sacrifice », en prétendant défendre cette cause divine qu’est la « liberté ».

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L’Occident a envoyé un message clair aux musulmans. Nous ne vivons pas dans un monde où un camp possède le sens de l’humour et l’autre pas. Un monde où un camp est « moderne », « éclairé », tandis que l’autre vit dans l’obscurantisme le plus total. Le camp moderne et éclairé s’amuse constamment à jeter de l’huile sur le feu. L’Innocence des musulmans, c’est un peu comme quand le caïd de la cour de récré insulte ta mère après t’avoir pété la gueule et s’étonne que tu ne comprennes pas son sens de l’humour.

Je n’essaie en aucun cas de faire l’apologie de la violence. En tant qu’artiste, je supporte à 100 % le droit de tourner des films tout pourris qui ressemblent à un projet de fin d’année de lycéen et je ne pense pas qu’un massacre soit une réponse valable à toute forme d’art, même quand il est aussi merdique. Mais dans l’affaire qui nous occupe, il ne s’agit pas d’un conflit entre une religion violente et l’art. C’est une forme de violence face à une autre forme de violence.

J’ai écrit mon dernier article la semaine du 11 septembre. Cet article ne parlait pas du 11 septembre 2001 ; je n’ai ni parlé des événements qui étaient survenus onze ans auparavant, ni offert mon point de vue sur l'évolution des États-Unis depuis. Aussi, je ne me suis pas non plus excusé publiquement au nom de tous les musulmans « modérés ». À la place, j’ai écrit sur l’usage des drogues dans l’islam. J’ai l’impression que chaque année, l’anniversaire de ce terrible attentat provoque des démonstrations d’amour de la culture occidentale chez les bloggeurs et journalistes musulmans, à l’occasion desquelles ils se sentent obligés de rappeler à quel point ils sont horrifiés par ce qui s’est passé ce jour-là. Je les remercie du fond du cœur, car il faut bien que quelqu’un fasse ce boulot épuisant. Mais ce ne sera pas moi.

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La principale raison de mon silence sur le 11 septembre 2001 vient du fait que je ne suis pas seulement musulman, je suis aussi un Américain blanc. Je suis un homme. Je suis hétérosexuel. Pourtant, personne ne me demande mon avis lors de l’anniversaire des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, ou de n'importe quelle intervention militaire des États-Unis ces trente dernières années. Il n’y a pas de date sur le calendrier pour moi, homme blanc, qui me permette de faire amende honorable des siècles d’esclavage et d’inégalités entre noirs et blancs ; on pourrait inventer une date qui commémorerait cette triste période de l’Histoire, mais ce jour se terminerait sûrement en un discours mielleux dégoulinant de bons sentiments. En tant que blanc, on ne me demande pas non plus de m’exprimer sur les meurtres de civils noirs perpétrés par des policiers blancs, ni sur le tireur qui a tué quatre personnes dans un gurdwara – un temple sikh. Je n’ai pas non plus l’occasion, en tant qu’hétéro, d’avoir un jour de réflexion sur les statistiques inquiétantes en matière de viol dans ce pays.

En tant que musulman, en revanche, le public attend de moi que je remette ma foi en question à cause d’un seul horrible événement et les médias me rappellent à longueur de temps que le 11-Septembre est un cancer qui me ronge de l’intérieur. Des journalistes me posent tous les jours des questions sur la crise de l’islam, comme si c’était une espèce de démon contre lequel je devais me battre tous les jours ; pendant ce temps-là, on ne me demande pas si je me sens concerné par la décennie de haine de l’étranger qui a suivi le 11-Septembre. Les journalistes ne se demandent pas non plus si la « culture blanche » est compatible avec les idéaux modernes d’égalité et de pluralisme, ou si la « communauté des hommes hétérosexuels » est capable de vivre en paix aux États-Unis. Alors que statistiquement, le fait que je sois un homme blanc me rend théoriquement plus dangereux que ma foi musulmane. Les hommes blancs ont un besoin nettement plus important que l’islam de se faire « réformer » ou « illuminer ». Après, OK, il s'agit simplement d'une question de chiffres.

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Il y a bien une chose que nous, Occidentaux, ne comprenons pas : c’est nous-mêmes. Nous ne voyons que la violence que nous avons envie de voir. Nous nous bandons volontairement les yeux devant notre longue tradition de haine et de destruction tout en nous demandant comment eux peuvent encore se regarder dans un miroir.

Michael Muhammad Knight est l’auteur de huit livres. Les Taqwacores est le seul à être traduit en français pour le moment.

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