Beguinage greve Nezha Tarik USPR Bruxelles
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Société

Des nouvelles des ex-grévistes de la faim de l’église du Béguinage

Tarik et Nezha nous expliquent pourquoi les gens qui ont participé à l’action se sentent trahis par le gouvernement.
Quentin Damman
Brussels, BE

Dans notre série Occuper pour résister, on s'immerge dans des lieux occupés pour tenter de comprendre comment les gens s'organisent et militent pour leurs droits.

On est le 21 juillet 2021 quand l'une des grandes affaires de l'été s’achève. Les 470 personnes sans-papiers de l’église du Béguinage, de la VUB et de l’ULB à Bruxelles stoppent la grève de la soif. La grève de la faim est quant à elle suspendue. C’est un accord avec le cabinet du secrétaire d’État à l’Asile et la Migration, Sammy Mahdi (CD&V), qui met fin à huit semaines d’action politique radicale. En attendant que les dossiers des personnes concernées avancent et que celles-ci puissent enfin sortir de la clandestinité, les occupations sont alors maintenues. 

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Près de trois mois plus tard, les ex-grévistes disent se sentir trahi·es. Malgré des dossiers solides qui prouvent leur bonne intégration dans la société belge, la plupart des personnes ont vu leur demande de régularisation refusée. Que reste-t-il aujourd’hui de ce mouvement de contestation ? VICE est allé place du Béguinage pour parler à Tarik, porte-parole de l'Union des Sans-Papiers pour la Régularisation (USPR) et Nezha, l’une des occupant·es de l’église.

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Tarik

La mère, les frères et les sœurs de Tarik ont la nationalité belge et pourtant, après huit ans passés en Belgique, lui attend toujours. Quand il vient à ma rencontre devant l'église, on dirait qu'il n'a pas dormi depuis deux semaines, il a les traits tirés et on le sent tendu. Il me demande de le suivre et m'invite à rentrer dans un bâtiment qui se trouve juste en face de l'église. À l'intérieur, une petite pièce leur sert de bureau, c'est là que sont constitués leurs dossiers avec l'aide des avocat·es. On s'installe et il retrace avec moi tout ce qui s'est passé depuis le printemps dernier : « La grève de la faim a commencé le 23 mai et on l’a suspendue le 21 juillet suite à des négociations avec le gouvernement. Il y avait 4 personnes pour négocier : le père Daniel, Mehdi Kassou, Marie-Pierre de Buisseret et Alexis Deswaef*. Dès le lendemain, on a commencé à constituer les dossiers et on les a déposés. Puis, aucune nouvelle jusqu'au mois dernier, où on a reçu la première note administrative d’une des occupantes. Malheureusement, cette note était négative. »

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« Même si la personne remplit toutes les conditions, ça n’aboutit malheureusement à rien », regrette Tarik. On sent de la lassitude dans ses propos. Après des mois à dormir dans une église et une grève de la faim épuisante, il pensait enfin obtenir les mêmes droits que n'importe quel autre citoyen mais il n’en est rien. Retour à la case départ pour la plupart. « C’est le chaos, le stress, l’angoisse, poursuit-il. Surtout par rapport aux décisions suivantes qui sont tombées. Il n'y a presque que des refus : sur 20 décisions, 15 ou 16 dossiers sont négatifs. » 

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Le problème, c'est que l'Office des Étrangers, qui attribue – ou pas – de titre de séjour, a un pouvoir discrétionnaire qu’on pourrait trouver assez arbitraire. Aucun critère officiel n'existe pour savoir qui a le droit d'être régularisé ou non ; il n'y a que des lignes directrices informelles. Et c’est plutôt opaque. Par conséquent, l'Office des Étrangers ne doit même pas justifier sa décision et est totalement libre de refuser des personnes qui sont sur le territoire depuis plus de dix ans, ont de la famille ici ou un contrat de travail.

À la mi-juillet pourtant, Freddy Roosemont, le directeur de l’Office des Étrangers, était venu à la rencontre des grévistes pour leur expliquer qu’au moins la moitié des demandes devraient pouvoir être régularisées. Il avait notamment énuméré des éléments jouant en faveur des sans-papiers, ce qui avait entre autres conduit à la suspension de la grève. À la même époque, plusieurs ministres avaient aussi menacé de quitter la majorité si l’un·e des grévistes venait à mourir. On était alors au pic de la grève. 

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Nezha

Aujourd’hui, Roosemont est accusé d’avoir créé de faux-espoirs chez ces ex-grévistes. Parmi les dossiers considérés comme solides par les avocat·es des grévistes, il y avait celui de Nezha. Son cas avait même été mentionné lors des discussions avec le cabinet de Sammy Mahdi. Nezha fait partie des personnes à qui les paroles (claquées au sol) de Roosemont avaient donné un peu d’espoir. Caché derrière un rideau de fortune dans une des allées de l'église, se trouve l'espace des femmes où je la retrouve. Elle y a aménagé son espace de vie.

« Je suis allée en Italie avec un contrat de travail et une carte de séjour d'un an, pose-t-elle. Puis, en 2009, je suis venue ici, en Belgique, pour introduire une demande de régularisation. J’ai trouvé un boulot dans un restaurant qui m’a fait un contrat de travail mais ma demande a été refusée. J’ai fait un recours mais ça peut prendre des années pour obtenir une réponse. En 2019 j’ai introduit une nouvelle demande de régularisation grâce à une autre promesse d’embauche, elle aussi refusée. C’est pour ça que je suis là maintenant, dans l'église. » Nezha se rappelle bien de l’épisode avec Roosemont : « Il était choqué, il a dit qu'il n'avait jamais vu autant de femmes faire la grève de la faim. On était 47 femmes, même plus je crois. Il m’a dit qu’avec tous les éléments que je lui ai donnés sur ma situation personnelle, ça allait me permettre d’avoir une carte de séjour. »

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Nezha se demande aujourd’hui comment un refus a été possible : « Tout était positif. Casier judiciaire, j’ai rien ; sûreté de l’État, j’ai rien… J’ai pas de problèmes alors pourquoi Roosemont a signé “négatif” ? », dit-elle en montrant une note interne la concernant. Le document avait fuité et présentait effectivement des commentaires positifs, tels que ceux dictés par le directeur de l'Office des Étrangers lors de sa visite, ceux censés permettre aux demandeur·ses d’aboutir à une régularisation. De son côté, Roosemont a expliqué à la RTBF que la note était « interne et incomplète ». 

Deux semaines après la notification de refus, alors qu'elle est déjà au plus bas, un ordre de quitter le territoire est envoyé à Nezha. « J’ai peur de quitter l’église et que la police vienne me chercher. » Ce que les personnes sans-papiers considèrent comme une trahison du gouvernement a mis un point final à la confiance qu'elles lui accordaient. Aujourd'hui plus que jamais, la peur est présente à chaque coin de rue. Nezha m’explique que les choses anodines, comme prendre le métro, deviennent sources d'angoisse et rendent son quotidien invivable. 

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Bien entendu, tous les gens ici n’ont droit à aucune assurance, aucun revenu de remplacement ni même à une retraite. Plus les années passent, plus Nezha s'inquiète pour son avenir, alors qu’elle a toujours travaillé. « T’arrives à 60 ans et après ?, se demande-t-elle. J’ai 52 ans, combien d’années je vais encore travailler dans ma vie ? Je trouve toujours du travail dans des grosses sociétés, je garde des enfants, je fais des traductions, j’ai fabriqué et distribué des masques pendant la pandémie, j’ai distribué à manger aux sans-abri, j’ai travaillé avec des associations, j’ai fait du bénévolat… » 

Le calme qui règne actuellement dans l'église du Béguinage semble fragile. « Pour le moment, c’est un petit peu vide, ajoute Tarik. La plupart des occupant·es travaillent pour rattraper ces neuf mois d’occupation. Même si on n’a pas encore reçu toutes les décisions, les gens sont dans l’obligation de retourner travailler pour gagner leur vie. Mais si à un moment donné, on constate que les autres décisions qui vont tomber sont aussi négatives, tout le monde va revenir ici. Ça, c’est sûr et certain. »

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Les trois occupations préparent donc la suite de la lutte, non pas sans craintes. Tarik me rappelle aussi à quel point la gestion de ces lieux de (sur)vie rajoute une charge de travail à des personnes déjà exténuées et qui se remettent à peine de la longue grève de la faim : « On a su gérer trois occupations mais là, on peut pas faire plus. Il faut plusieurs personnes pour gérer tout ça. Une occupation, c’est pas juste faire ouvrir un lieu, installer des matelas et faire en sorte que des personnes viennent. Non, il n'y a plus d’intimité dans une occupation. Ça demande beaucoup de temps, d’énergie et de solidarité. »

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Leur seule victoire, depuis l’annonce des décisions quant à leur régularisation ou non, a été de médiatiser la réception des premiers dossiers. Depuis la rencontre avec Tarik, une autre série de décisions est arrivée. Les occupant·es en comptent environ 70 au total. Parmi elles, seulement une poignée de nouveaux avis positifs ont été rendus.. Afin de déterminer ce qui s’est réellement passé en juillet dernier et le contenu des accords, une commission a été déployée pour auditionner les différentes parties ayant assisté aux négociations et à la suspension de la grève. Vendredi 10 décembre, Sammy Mahdi et Thierry Roosemont seront les deux premiers à devoir s’expliquer. Les occupant·es espèrent que cette commission débouchera sur la reprise en main du dossier par le premier ministre Alexander de Croo, ce qui pourrait changer la donne. « On verra ce qu’on fera après l’audition », conclut Tarik. 

Fin novembre, cinq grévistes de l’occupation ont également attaqué l’État belge pour non-respect de la parole donnée, soutenues par le Ciré et la Ligue des droits humains. Le tribunal entendra les plaidoiries le 2 février.

*Marie-Pierre de Buisseret et Alexis Deswaef sont avocat·es, Mehdi Kassou est le coordinateur de la Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés et le père Daniel Alliet est le curé de l’église du Béguinage.

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