Laurent Alexandre
Photo Lionel Bonaventure / AFP
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Laurent Alexandre : « La liberté n’est plus à la mode »

Le cofondateur de Doctissimo est très remonté contre les décroissantistes, les collapsologues et Greta Thunberg.

Voilà déjà vingt ans que Laurent Alexandre a fondé Doctissimo, le site qui permet à tout-un-chacun de s'auto-diagnostiquer un cancer du péritoine, aux côtés de son confrère Claude Malhuret. Et forcément, on ne lance pas un pilier du web français sans se faire remarquer. Depuis le début des années 2010, l'ancien chirurgien-urologue multiplie les livres, les conférences, et les interviews sur ce thème vaste et flou qu'est le futur. Il fait aussi pas mal de boucan sur Twitter, tout particulièrement depuis que Greta Thunberg est à la mode. Laurent Alexandre voit l'adolescente comme le porte-étendard d'une « hystérie collapsologique » qu'il refuse en bloc. Rencontre.

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VICE : Laurent Alexandre, bonjour. Vous vous accommodez de l’étiquette de futurologue ?
Laurent Alexandre : Je me décrirais plutôt comme prospectiviste. J’essaie de voir quelles sont les conséquences sociales et politiques de la technologie.

Et quels sont vos pronostics ?
Le 21e siècle verra des tensions très fortes, c’est certain. Cependant, l’analyse à charge contre le progrès de Fred Vargas ou Aurélien Barrau me choque beaucoup. Tout ce qui va mieux est caché, tout ce qui va mal est magnifié. Ces apocalyptiques oublient que le passé était horrible. Jusqu’à l’invention de l’appendicectomie [ablation de l'appendice, NDLR] quand on avait une appendicite aigüe, on appelait le curé et le croque-mort. Et il n’y a pas si longtemps, la rougeole tuait six millions de personnes sur Terre chaque année, cent mille aujourd’hui grâce à la vaccination. Malgré tout, les gamins entendent les collapsologues et pensent que la fin du monde arrive. Cette vision très négative, portée par Greta Thunberg, je la trouve mortifère pour les enfants.

« Si les mesures réclamées par les décroissantistes étaient appliquées, comme des réductions du pouvoir d'achat de 30, 40 ou 50%, ce serait la révolution »

Vous utilisez souvent ce mot, « mortifère »…
Annoncer la fin du monde ou dire qu’il va rester au maximum 300 millions d’habitants, ce sont quand même des propos mortifères !

Vous ne croyez pas qu’une catastrophe écologique nous guette ?
Je pense qu’on est en pleine hystérie collapsologique. L’extrême gauche a récupéré le discours collapsologique par intérêt politique. Ce faisant, elle a généralisé un discours extrêmement pessimiste, qui ne voit que les mauvais côtés de notre siècle. Et ces gens sont franchement casse-couilles ! Entre ceux qui veulent qu’on arrête de soigner les vieux, ceux qui veulent interdire les vidéos pornos parce que ça a un impact environnemental trop fort, ceux qui veulent interdire Netflix… Ce discours apocalyptique est sadomasochiste, pervers, castrateur. On veut empêcher les gens de tout faire. On croirait les cathos intégristes de 1880. Avant on faisait chier les filles-mères, maintenant on fait chier les gens qui prennent l’avion. Les inquisiteurs écologiques ont remplacé les inquisiteurs religieux.

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Mais comment ces mesures pourraient-elles servir un intérêt politique ?
Si les mesures réclamées par les décroissantistes étaient appliquées, comme des réductions du pouvoir d'achat de 30, 40 ou 50%, ce serait la révolution. Et c’est sans doute l’objectif : foutre le bordel pour récupérer le pouvoir. D’autre part, beaucoup d’entre eux proposent une politique « no border ». Ajoutée à la décroissance économique, l’ouverture des frontières aux milliards d’Africains qui sont en train d’apparaître conduirait certainement à la victoire d’une extrême droite dure, racialiste. La société deviendrait archaïque : chacun mangerait dans son potager sans échanger, sans prendre l’avion pour voyager ou faire des études… Ce serait un monde étriqué, insupportable. Jadis, la gauche proposait l’ouverture. Aujourd’hui, elle propose un schéma de fermeture sur soi-même, où l’on ne bouge pas.

C’est souvent la faute des gens de gauche, non ? Dans une interview filmée pour Thinkerview en juin dernier, vous avez déclaré : « J’ai le droit de détester les gauchistes. »
Les gauchistes autoritaires ! Ceux qui défendent Mao, 1793, le meurtre. Je n’aurai pas la cruauté de citer tous les intellectuels de gauche qui ont fait l’apologie de Staline ou Pol Pot dans les années 70. Ces gens préfèrent souvent la non-liberté à la liberté. Mais pour moi, c’est la principale valeur à défendre. Les libéraux dans mon genre espéraient que la technologie et l’évolution sociale conduiraient les gens à demander plus d’autonomie, or en ce moment ils souhaitent des ordres, la schlague, qu’on régule leur vie et qu’on réduise leurs libertés. Le combat entre ceux qui souhaitent développer la liberté des individus dans une attitude raisonnée face au progrès et ceux qui surfent sur les peurs pour proposer un nouvel avatar de la dictature rouge reverdi, à mon avis, ne fait que commencer.

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Ce sont des références datées. Vous pensez qu’il existe encore des individus prêts à défendre Mao, Pol Pot et Staline dans la gauche européenne ?
Les gens qui défendent les camps d’internement, on en trouvera toujours quand les circonstances le permettent.

Qu’ils soient réellement instrumentalisés ou pas par la gauche, les mouvements étudiants pour l’écologie semblent prêts à abandonner l’avion pour préserver la planète.
Bien sûr ! Et il n’y aura bientôt plus qu’un étudiant sur 100 000 qui pourra aller à New York en prenant le bateau. Parce qu’il faut quand même quinze jours aller, quinze jours retour. Je conseille à Greta Thunberg de prendre plusieurs boîtes de Nautamine, car elle risque de passer plus de temps à vomir qu’à regarder les cachalots ! Je ne comprends même pas que ses parents acceptent qu’elle fasse une telle traversée. Une gamine aussi fragile sur le plan psychique, je trouve que c’est prendre un risque déraisonnable que de lui imposer ce genre d’épreuve. Ses parents sont des gens à mon avis dangereux pour leur enfant. Mais c’est une autre question.

« Nous n’échapperons pas à la technologie »

Vos remarques sur Greta Thunberg et l’immigration rappellent celles d’Alain Soral et de personnalités d’extrême droite. Vous n’avez pas peur de vous attirer des amitiés douteuses ?
Je suis très clair sur ma position politique, je suis un libéral libre-échangiste, macronien, pro-mariage gay, pro-PMA, mais je suis pro-border. Je pense que la communautarisation en cours en France montre que nous ne savons pas absorber une immigration de masse. Des communautés se ferment autour de règles religieuses que je n’approuve pas, comme l’inégalité homme-femme. Ça me conduit à être pro-border. Ça ne fait pas de moi un Soralien ou un membre de Sens commun.

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Libéral, libertarien, ce sont des positions plutôt américaines. « Don’t tread on me », ça vous parle ?
Je me sens éloigné de l’échiquier américain. Mais oui, je préfère une idéologie où on couche avec qui on veut, on pense ce qu’on veut, on fait ce qu’on veut, et pas un système dans lequel un groupe religieux ou politique détermine votre sexualité, ce que vous devez penser, ce que vous devez bouffer… Parce qu’une fois qu’on commence à réduire les libertés et dicter le comportement de tous les individus, c’est assez compliqué de s’arrêter. On va toujours trouver plus autoritaire. Malheureusement, la liberté n’est plus à la mode. Les gens sont en attente de gouvernements et de décisions autoritaires. La collapsologie abrite des gens qui développent des discours sadiques et ceux qui les reçoivent entretiennent des pulsions masochistes. On a fait du mal à maman Terre, on doit être puni. La société technologique est instable et complexe mais la société collapsologique c’est l’enfer du Moyen-âge.

Vous croyez que la technologie et ses progrès sont notre seule chance ?
On ne va pas s’en sortir par la nature. Dans un monde avec onze milliards d’habitants à la fin du siècle et des puissances impérialistes comme la Chine, on ne va pas retourner à une vision moyenâgeuse de la société. Nous n’échapperons pas à la technologie. Je demande à ce qu’on m’explique comment, dans un scénario décroissantiste, on va payer le traitement des enfants leucémiques, empêcher les astéroïdes de détruire la planète ou gérer des épidémies très graves… Et surtout agir sur notre génome. Aujourd’hui, lorsqu’on est porteur d’une mutation génétique défavorable on ne meurt plus dans l’immense majorité des cas. Les humains les plus faibles arrivent à l’âge de reproduction grâce à l’état-providence. Ça n’a pas d’impact sur un siècle, mais sur les 10 000 prochaines années, si nous n’agissons pas sur notre génome, nous aurons une diminution de notre qualité génétique.

Vous savez que ces propos peuvent sembler inquiétants, eux aussi ?
Oui. Mais j’assume ce que j’ai dit sur les capacité cognitives. Les gens plus doués et mieux formés auront l’avantage sur ceux qu’on aura laissés sur place. Le seul vrai tabou de notre société est celui des inégalités cognitives et intellectuelles. On fait deux hypothèses : la première dit que ce n’est pas important et que nous sommes tous égaux. C’est faux, c’est un mensonge politique. La deuxième dit que l’école peut réduire les inégalités. Or jusqu’à présent elle n’a pas montré qu’elle pouvait réduire les inégalités. Sachant que ces inégalités sont largement d’origine génétique, il faudra beaucoup de travail pour éviter une société ultra-inégalitaire. Or on n’investit rien dans la recherche en pédagogie. Les gens qui rentrent aujourd’hui à la maternelle seront encore sur le marché du travail en 2070, et je doute fort que les gamins les moins doués soient compétitifs face à l’intelligence artificielle de 2069.

Vous savez aussi que ces thèses sont défendues par des racialistes ?
Je n’y suis pour rien. J’ai dit dans Le Monde que Reich avait tort de parler des différences génétiques interraciales. On voit, dans tous les pays occidentaux, une augmentation des inégalités entre les gens plus et moins formés, j’ai peur qu’on n’en soit qu’au début. En France, nous avons déjà d’énormes problèmes d’inégalité. C’est la raison pour laquelle, d'ailleurs, je suis favorable aux statistiques ethniques et à la discrimination positive. Parce qu’un monde dans lequel les petits ashkénazes de Neuilly font polytechnique pendant que les petits beurs du 9-3 sont laveurs de carreaux, c’est inacceptable et un monde explosif. Il faut mesurer les inégalités intercommunautaires et lutter contre elles. Savoir quelle est la contribution sociale, culturelle ou génétique à ces différences intercommunautaires intéresse peut-être les racialistes, mais pas moi. Une France café au lait ne me pose aucun problème.

Avez-vous l’intention de vous lancer en politique ?
Non, non, non, non. J’appartiens à un courant de pensée tellement minoritaire que ce serait groupusculaire. Le courant de pensée libéral, rationaliste, athée, pro-progrès auquel j’appartiens est aujourd’hui minoritaire. Si c’est pour faire 0,1% aux élections… Quand je vois comment des médecins ont promu l’homéopathie face à la vraie médecine et la façon dont on brocarde la finance, à laquelle on préfère la pensée magique… Je ne crois pas pouvoir fédérer. Et puis, j’ai observé que tous les hommes politiques sacrifiaient leur famille. Ce n’est pas pour moi, je ne veux pas abandonner mes enfants.

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