Brandon Celi illustration de vierges
Illustration : Brandon Celi 
Sexe

Ça fait quoi d’être encore vierge quand on a 20, 30, 40 ou 50 ans ?

On a discuté avec des hommes et des femmes de 19 à 52 ans afin de savoir pour quelles raisons ils ou elles n’avaient pas encore eu de rapports sexuels.

La plupart des gens perdent leur virginité à la fin de l’adolescence. À partir d’un certain moment, presque tout le monde autour de vous l’a fait : des enquêtes menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne indiquent qu’entre 95 et 99 % des trentenaires ont eu des rapports sexuels au moins une fois. Pour la minorité restante, naviguer dans les eaux tumultueuses d’une société obsédée par le sexe — et subir la stigmatisation d’être encore vierge — est un challenge unique en son genre. 

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La pop culture a l’habitude de tailler les personnes qui n’ont jamais eu de rapports sexuels. Tout le monde se marre devant 40 ans, toujours puceau. Mais il est rare que des personnes réelles nous parlent de ce qu’ils ou elles ressentent ou vivent. Pour certain·es, la relation au sexe se trouve compliquée par des facteurs tels que la santé mentale, les traumatismes et la religion, et le fait de porter l’étiquette de « vierge » ou « puceau » ne fait qu’ajouter à leurs craintes d’être ridiculisé·es ou abandonné·es. Pour d’autres, perdre leur virginité n’est tout simplement pas une priorité.

Cinq personnes âgées de 19 à 52 ans nous ont expliqué pourquoi elles n’avaient pas encore eu de rapports sexuels et comment elles envisageaient l’avenir.

Alan (19 ans)

Jusqu’à l’âge de 16 ou 17 ans, je comprenais pas les codes sociaux et je savais pas du tout comment socialiser avec les gens. Je suis autiste. Je bégaie beaucoup. Si j’arrive pas à parler aux gens sans bégayer, sans trébucher sur les mots et sans que les choses sortent correctement, ça craint.

Je suis bisexuel ; j’ai jamais éprouvé de sentiments amoureux qu’envers les femmes. Si j’avais un partenaire, je voudrais que mes expériences avec cette personne, tant sur le plan sexuel que romantique, soient épanouissantes pour nous deux et ne se limitent pas à se masturber avec le corps de l’autre. J’aime pas vraiment la pornographie ni le concept actuel du sexe pour le sexe. Je crois que j’ai toujours voulu considérer le sexe comme un lien spécial entre deux personnes.

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« J’ai peur d’arriver à 45 ans, ou même à 35 ans, et de vivre seul. »

J’ai peur d’arriver à 45 ans, ou même à 35 ans, et de vivre seul. J’ai toujours voulu avoir construit quelque chose quand je mourrai, et avoir des enfants. Je me retrouve souvent à fantasmer à ce sujet — sur le fait d’avoir une relation dans le futur, avec une espèce de version idéalisée de moi-même. En regardant les gens vivre ces expériences et en me voyant rester à côté sans jamais prendre part à ça, j’ai l’impression d’être un peu à la traîne.

Je suis pas un de ces incels qui rejettent la faute sur les femmes. C’est un problème qui ne concerne que moi. C’est juste que j’ai du mal à parler aux personnes pour lesquelles j’éprouve des sentiments. Je pense que je finirai par trouver quelqu’un. Je suis même pas si seul que ça. Je ressens des émotions très intenses, mais j’arrive pas toujours à les exprimer. Une chose qui m’a toujours un peu inquiété, c’est que je vais aimer quelqu’un un jour, mais que je serai probablement pas capable de le lui dire.

Emma (25 ans)

La pression exercée sur les femmes et les jeunes filles pour qu’elles aient des rapports sexuels est sans aucun doute une chose qui nous est imposée par un grand nombre de nos pairs masculins ou de ceux qui se présentent comme tels. On pense simplement que c’est la chose à faire. Mais je vais aller à mon propre rythme. Je veux être sûre de passer un bon moment et que ce soit avec quelqu’un en qui j’ai confiance. En matière de romantisme, j’aime bien laisser les choses mijoter. Je suis un rôti qu’on fait cuire pendant huit heures ; pas un sac de pop-corn qu’on met au micro-ondes et qu’on engouffre en cinq minutes. Et peu importe ce que les autres en pensent. Quand je me marierai, ça arrivera. Si je me marie pas et que je suis satisfaite, alors je serai contente de ne jamais m’être mariée.

J’ai eu des histoires. En tant que bisexuelle et queer, j’ai eu des dates avec des hommes, des femmes et tous les autres genres. Mes potes disent en plaisantant que je place la barre trop haut, mais je trouve pas mes exigences excessivement élevées. Je suis une personne très particulière, je le sais et je comprends qu’on puisse penser ça. Je suis très indépendante. Je préfère quelqu’un d’indépendant. Et quelqu’un qui s’implique vraiment.

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C’est difficile, de rencontrer des gens et de leur balancer d’un coup : « J’ai jamais eu de rapports sexuels. Ce sera donc pas pour ce soir, ni pour le prochain date. J’ai besoin que tu respectes mon point de vue et la façon dont j’envisage ces choses ». J’ai déjà essayé d’en parler dès le départ, et ça n’a pas marché. Les hommes sont devenus très creepy avec moi, ou bien ils m’ont ghostée. Pour certaines personnes, ça met tout de suite fin au truc. Et je peux comprendre.

Là tout de suite, je pourrais aller sur Tinder et faire savoir que je cherche des coups d’un soir. Je suis sûre qu’on me répondrait en quelques minutes. Ça pourrait se faire. Ce ne serait pas si grave. En fin de compte, c’est une invention. C’est une construction sociale. Il n’y a aucun moyen de prouver ou d’infirmer que quelqu’un est vierge.

Klaas (31 ans)

Bien sûr, j’ai essayé les rencontres en ligne. J’ai utilisé Tinder, Bumble et Facebook Dating. J’ai pratiquement pas éprouvé d’attirance, presque jamais swipé à droite. Le principal problème, c’est mon anxiété sociale. J’évite les endroits bondés et j’aborde rarement des gens que je connais pas. J’ai fréquenté les bars et les clubs à la fin de mon adolescence, mais je m’y suis toujours senti à l’écart et jamais à mon aise. Mon apparence n’aide pas beaucoup non plus. J’ai aussi une très faible estime de moi, une confiance en moi quasi inexistante, un comportement autodestructeur et j’ai réussi à me convaincre que j’étais pas digne d’une relation.

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Ça fait du bien, de lire les histoires et les combats des autres. Mais dans l’ensemble, les subreddits sur la virginité peuvent avoir un effet déprimant. Et la question diffère d’une personne à l’autre. Certaines veulent juste du sexe, tandis que d’autres cherchent l’intimité, le fait de se sentir désirées par quelqu’un. Il y a aussi celles qui font tout un drame d’être encore vierge à 16 ans. En ce qui me concerne, le fait de ne pas avoir de relations sexuelles a une certaine importance, mais c’est pas le principal problème. C’est le manque d’intimité, le fait de ne pas se sentir désiré, puis la solitude générale.

« J’ai réussi à me convaincre que j’étais pas digne d’une relation. »

Seuls mes parents et mon frère sont au courant. C’est pas quelque chose dont je suis fier, alors je le garde pour moi. Mais à partir d’un certain âge, les gens ne demandent plus ou supposent simplement que tu l’as déjà fait. Je me suis toujours dit que si j’avais pas eu de relations sexuelles avant 30 ans, j’irais voir une escort. J’approche de mes 32 ans et je me demande encore si je dois m’engager dans cette voie. Parfois, je me dis que je devrais simplement convenir d’un rendez-vous et en finir. Peut-être que ça me donnerait davantage confiance en moi et que je me débarrasserais enfin de certaines insécurités. Si je choisis pas l’escort, je pense que je vais rester vierge jusqu’à la fin de mes jours.

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Nigel (44 ans)

Tous les autres aspects de ma vie vont bien : je suis stable financièrement, j’aime ce que je fais, j’ai beaucoup de loisirs et je me fais très facilement des amis. Mais en ce qui concerne les femmes, je pense avoir une idée de ce qu’elles recherchent, du moins physiquement, et je crois pas vraiment posséder les attributs qui me rendraient compétitif par rapport à d’autres hommes. Je sais que, d’un point de vue logique, la seule chose qui m’empêche d’y aller, c’est moi. J’ai juste l’impression que j’ai pas envie d’avoir à patauger dans un océan de rejets pour y arriver.

Beaucoup de mes amis m’ont dit : « T’inquiète pas, ça va venir. » Moi aussi, je m’attendais simplement à ce que ça arrive, sans avoir à faire quoi que ce soit. Aujourd’hui, le fait d’être aussi vieux que je le suis et de ne pas avoir vécu cette expérience humaine normale qui, pour la majeure partie d’entre nous, est presque une porte d’entrée dans l’âge adulte, dégrade encore plus ma confiance en moi.

Je cherche à me protéger émotionnellement en éloignant les gens avant qu’ils ne puissent me blesser. Je sais que ce genre de problème peut généralement être résolu par une thérapie cognitivo-comportementale et que la meilleure chose que je puisse faire est probablement d’affronter directement ma peur en cherchant activement le rejet. D’une certaine manière, je me sens presque retardé sur le plan émotionnel parce que j’ai pas vécu ces expériences.

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Je prône pas cet aspect-là de moi, mais en même temps, je veux pas que quelque chose comme ça définisse qui je suis en tant que personne. Je sais que c’est facile de se moquer, mais j’ai pas l’impression d’être un loser en puissance. Je peux pas l’affirmer avec certitude, mais je crois que la plupart des gens se considèrent comme le personnage principal de leur propre histoire. J’ai toujours ressenti le contraire : j’ai toujours été une sorte de figurant pour tous les gens qui m’entouraient.

Michael (52 ans)

J’ai eu des petites histoires dans le passé, mais ça n’a jamais duré plus d’un mois. Ce que j’ai dit à certaines personnes, c’est que niveau sexe, je peux me satisfaire tout seul — ce qui me manque vraiment, c’est une connexion avec quelqu’un d’autre. Ça arrive que t’essaies un truc et que ça échoue ; tu tentes ensuite autre chose, et ça échoue aussi ; tout ça mène à un autre niveau de frustration. Tu te dis simplement que t’en a marre de te taper la tête contre un mur en essayant de faire en sorte que quelque chose se produise. Je souffre de dépression et je suis sous traitement.

À un moment donné, j’ai décidé que le principal objectif des applications et des sites de rencontres était de pomper le fric des personnes seules. J’ai donc supprimé tous mes profils. Je pense pas avoir de problème pour parler aux gens. Je pense que mon problème, c’est que j’ai jamais appris comment fonctionnent les relations intimes. C’est un peu effrayant. Tu penses d’office que tu vas être humilié. Je sais pas s’il existe la bonne personne qui voudra bien être assez patiente avec moi quand je répète constamment que je sais pas quoi faire.

« Il y a toujours ce moment où je me dis : “Cette année, ce sera la bonne, les choses seront différentes”, et finalement rien ne change. »

Je le cache pas nécessairement. La plupart de mes ami·es sont marié·es et ont des enfants. Généralement, on part du principe qu’à ce stade de la vie, on a tou·tes déjà eu des relations sexuelles, donc on n’en parle pas souvent. On discute plutôt de leur carrière, de leur vie de famille ou de leurs enfants.

Il y a toujours ce moment où je me dis : « Cette année, ce sera la bonne, les choses seront différentes », et finalement rien ne change. Tout ça peut mener à augmenter la frustration, la dépression, générer de la misogynie. C’est vraiment injuste d’en vouloir au monde entier, ou du moins à la moitié de la population, parce que je n’obtiens pas ce que je veux.

Ce que j’essaie de faire, c’est de laisser tomber et d’accepter qu’à ce stade de ma vie, il est peu probable que je trouve cette personne spéciale. Il faut que j’essaie de vivre autant que possible dans les circonstances qui sont les miennes.

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