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LE NUMÉRO PERSISTANCE RÉTINIENNE

La belle vie, en autarcie

Interview de Dolly Freed, l’auteur de Possum Living

Photos publiées avec l'aimable autorisation de Dolly Freed Dolly Freed est mon héroïne. En 1978, à l’âge de 18 ans, elle a écrit un manifeste brillant, drôle et franc intitulé Possum Living (Comment vivre confortablement sans avoir un travail­ et avec – presque – pas d’argent). Elle y explique comment elle et son père (qu’elle appelle tout au long du bouquin « le Vieux Fou ») ont vécu avec 700 dollars par an et se sont payé une bonne tranche de rigolade en n’ayant aucun compte à rendre à la société. Et c’est pas comme s’ils étaient des hippies ou des gros bouseux – comme l’écrit Dolly en intro : « Quelle est la raison pour laquelle les gens présument qu’on doit être un hippie, vivre dans un trou paumé, être un rustre qui travaille d’arrache-pied, ou encore un illuminé végétalien gorgé de théories de retour à la nature pour contourner le système économique ? Mon père et moi habitons une maison sur un terrain d’un demi-hectare à une soixantaine de kilomètres au nord de Philadelphie (pas vraiment une ferme de pionnier), on maintient des apparences de classe moyenne et on vit bien, sans avoir de boulot ou de revenu régulier – et sans travailler dur non plus. » Est-ce qu’elle n’est pas absolument adorable ? Ensuite, elle livre ses instructions, étape par étape, pour mener à bien tous vos projets, de l’élevage de lapins et de poulets dans votre cave à la distillation de votre propre alcool en passant par les questions de logement, de transports, de santé, de législation… juste, tout. C’est très consciencieux et détaillé, et pourtant très agréable à lire parce qu’elle écrit d’une façon très impertinente (mais d’accord, j’ai peut-être sauté le chapitre sur les déclarations d’impôts fonciers). Au cours du livre, elle se dépeint, ainsi que son père, comme d’adorables excentriques – et ce même quand elle donne des instructions détaillées sur le détournement de pièges à rats pour attraper des pigeons (dans le but de les manger). Elle a les idées incroyablement bien arrêtées et la plupart de ses conseils sont justes. Son remède contre la dépression ? « Courez jusqu’à ce que vos yeux essayent de sortir de vos orbites. » Son ­remède pour remplacer le gaz ? L’alcool. Son remède contre les douleurs menstruelles ? L’alcool aussi ! Profond. Le seul chapitre qui m’ait un peu rebuté est celui qui aborde les problèmes légaux, dans lequel Dolly suggère de rendre une petite ­visite nocturne à son adversaire, « pour lui faire savoir qu’il a un ennemi qui n’a aucune intention de la jouer à la loyale. » Elle ­continue ensuite en suggérant subtilement que vous lanciez une brique à travers sa fenêtre ou tuiez son chien – mais seulement si le chien en question est méchant (« ce n’est pas un péché de tuer une créature vicieuse »). D’une manière assez compréhensible, Dolly a désavoué ce chapitre dans la nouvelle édition de son livre, sortie fin 2009 chez Tin House Books, mais ça reste savoureux. Dolly Freed (ndlr : Poupée Affranchie – un pseudo, si vous en ­doutiez encore) est une femme fascinante, et vous devriez lire son bouquin et regarder sur Youtube le court documentaire sur elle qui a été réalisé après la première parution de Possum Living. Si après ça, vous n’avez pas envie de quitter ce monde de sales gitans de droite, au moins pour un temps, c’est que vous en êtes un. Vous voyez très bien ce que je veux dire. Ah oui, et quand Dolly en a eu marre de cette vie, elle est allée à la fac et est devenue ingénieure aérospatiale à la NASA. Aussi simple que ça. Vice: D’abord, je voudrais vous dire que j’ai adoré votre livre.
Dolly : Oh ! Merci. J’ai grandi en ville, et je vous jalouse, parce que je n’ai pas la moindre idée de comment me débrouiller pour vivre sans moyens. En un sens, ça me fait flipper. Je vous admire beaucoup, et je suis très curieuse. Par exemple, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire Possum Living ?
Il y a bien deux ou trois choses. La raison principale, c’est que j’ai abandonné l’école quand j’avais 12 ans, donc j’ai toujours été très préoccupée par le fait de développer mes capacités intellectuelles. Et aussi, je m’ennuyais beaucoup en hiver. On n’avait pas de voiture. On n’avait pas de téléphone. Il n’y avait pas grand-chose à faire quand il faisait trop froid pour sortir, donc ça a été un bon projet hivernal. Je ne peux pas m’empêcher de vous demander comment un auteur accompli tel que vous, ingénieur aérospatial de surcroît, a pu laisser tomber l’école au collège.
J’aime vivre au grand air. D’ailleurs, comme je vous parle, je suis en train de marcher dans mon jardin. Quand je suis à l’intérieur, j’ai l’impression d’être enfermée, je ne me sens plus aussi alerte, ça me frustre beaucoup. Aussitôt que je sors, je me détends. Et aussi, j’étais très différente des autres enfants. J’ai grandi sans télé. Je mangeais des tatous ou des trucs comme ça. J’étais très sensible, et on se moquait beaucoup de moi. Je suis, en quelque sorte, quelqu’un de très intense, donc l’école me crispait beaucoup. C’était vraiment pas un truc qui me faisait du bien d’être assise derrière un petit pupitre, enfermée toute la journée en compagnie de gens qui m’embêtaient. Et vos parents n’ont pas eu d’objection quant à ce que vous abandonniez l’école ?
La goutte qui a fait déborder le vase, c’est quand ils ont eu à ­remplir une sorte d’enquête sur leurs revenus et leur niveau d’études. Mon père a tout simplement refusé de le faire. Le professeur principal m’en a fait baver, du coup. Il m’a vraiment mené la vie dure. Je ­rentrais à la maison en pleurant tous les soirs. Mon père a appelé le prof et lui a dit : « Il faut que vous arrêtiez ça. » Le prof a ré­pondu : « Moi, je dois récupérer mon formulaire. » Mon père a rétorqué : « Non, je ne le remplirai pas. » Le prof a demandé : « Et pourquoi pas ? » Mon père lui a dit : « Le fait que vous soyez un idiot ne m’oblige pas à en être un. » Ça n’a pas vraiment arrangé les choses. À cette époque, mes parents avaient une entreprise de bougies. Ma mère est plus conventionnelle que mon père, donc ce qui est arrivé, c’est que mon père m’a demandé si je voulais laisser tomber l’é­cole, et bien sûr j’ai répondu que c’était mon vœu le plus cher. Donc il est allé voir le proviseur et il lui a dit qu’on déménageait en Californie et qu’on leur enverrait l’adresse pour récupérer mon dossier sco­laire une fois là-bas. On est allés dire au revoir à tous mes profs. Et ensuite je suis simplement restée à la maison, chez mon père. Je ­restais à l’intérieur pendant la journée et je sortais uniquement quand les autres enfants étaient dehors, et ma mère n’a pas pigé ­pendant des semaines. Ça, c’est plutôt sournois.
Bien sûr, je ne lui ai rien dit, parce que je ne voulais absolument pas retourner à l’école. Donc je restais à l’intérieur, chez mon père, et je lisais, je lisais, je lisais. Finalement, c’est un des voisins qui a compris et qui l’a dit à ma mère. Mais à ce moment-là, c’était trop tard, d’une certaine façon. On dirait que votre père était un personnage explosif. Je me demande – le ton de votre livre est plein d’aplomb, pour une jeune fille de 18 ans – si vous tenez ça de lui ?
Oui, c’est certain. Mon père était probablement la personne la plus intelligente que j’aie jamais connue. Il avait un côté très indépendant, et la société, pour lui, c’était presque une façade, un décor. Après qu’il a épousé ma mère, il a pris un travail à temps plein, et il détestait cela pour les mêmes raisons qui me faisaient détester l’école : être à l’intérieur toute la journée, faire la même chose à longueur de temps. Quand ma mère a ouvert son magasin de bougies, il a démissionné pour l’aider. Ensuite, ils ont divorcé. Ma maman est partie avec mon frère, et je suis restée avec mon papa. On vivait dans une maison décrépite qu’on avait achetée dans une vente aux enchères après une saisie. On élevait déjà depuis un certain temps des poulets et des lapins, donc il s’agissait simplement de continuer à le faire. On dirait que vous étiez une ado précocement mature. La plupart des ados veulent sortir avec leurs amis et fumer des cigarettes, des trucs comme ça. Vous aviez de tels désirs ?
Parce qu’on m’avait donné beaucoup de liberté très tôt, je me suis rebellée assez tard, quand j’ai eu une vingtaine d’années. Et ma rébellion a consisté à devenir plus normale. En d’autres termes, je suis allée à l’université, j’ai pris un boulot, une voiture. C’est difficile de se rebeller quand on a chez soi sa propre distillerie ! On doit se rebeller à l’envers. Donc vous avez arrêté de vivre en possum quand vous avez eu 20 ans ?
Ouais, ce qui est arrivé c’est qu’après que le livre a été publié, la première chose qu’on ait faite a été d’acheter un téléphone pour pouvoir rester en contact avec l’éditeur et l’attaché de presse. Ça, c’était une sacrée avancée pour nous. Ensuite, j’ai voulu avoir une voiture. Mais une fois qu’on a une voiture, il faut de l’argent pour la faire rouler. Donc j’ai pris un boulot, j’écrivais des petits articles dans un journal local. Vous voyez, ce qu’il faut savoir sur le fait de vivre en possum, c’est que ce n’est pas si difficile que ça, et une fois qu’on maîtrise ça, on peut difficilement pousser plus loin le truc. Je pense que j’étais prête à affronter de nouveaux défis, à voir ce que je pouvais faire d’autre, et à faire partie d’un monde plus grand. Quelles ont été les réactions à votre ouvrage ?
Très positives. La seule chose qui ait un peu remué les gens, c’est le passage qui porte sur le fait de manger des chiens. Pourtant, ce n’est pas comme si je faisais l’apologie de la manducation de chiens ! Mais supposez que le chien est méchant, vicieux, et que vous devez le tuer, autant le manger après. Je crois que c’est la seule chose au sujet de laquelle j’aie reçu des courriers haineux. Et aussi, des gamins de la ville ont, d’une façon ou d’une autre, su qui nous étions et où nous habitions, ils passaient en voiture devant notre maison en criant : « Mangeuse de chiens ! Mangeuse de chiens ! » C’est terrible. Mais je dois dire que c’est vraiment quelque chose qui saute aux yeux quand on lit le livre. Vous évoquez le fait de manger des chats, aussi.
Eh bien, ouais, mais le seul chat que je me rappelle avoir mangé était un chat écrasé. Je vais vous dire pourquoi – quand vous écorchez un chat, ça pue. Je n’ai jamais écorché un animal qui puait autant qu’un chat. Oh, mon Dieu.
J’ai des chats ! J’adore les chats ! Ne vous méprenez pas. C’était ­l’hiver, et le chat était déjà mort. Il n’y avait plus rien à faire pour lui. Je suppose que non.
Vous devez comprendre, on vivait en haut d’une colline traversée par une petite route, et ensuite c’était semi-rural. Les camions ­passaient à 100 kilomètres heure, il y avait des masses d’animaux écrasés ! L’hiver, en Pennsylvanie, il fait si froid que quand tu écrases un animal, le froid le conserve comme si tu l’avais mis au congélo. On a mangé pas mal de bêtes écrasées, celles qui n’étaient pas trop éclatées. Eh bien on peut dire que vous n’êtes pas facilement dégoûtée ! Un chapitre entier traite de la façon dont tuer et cuisiner toutes sortes d’animaux, des lapins, des canards, des marmottes, des poneys et des cougars. Vous avez vraiment mangé du cougar ?
Non, le cougar, c’était une blague. Mais si vous mangez de la viande, et si tuer votre viande vous-même est la seule façon pour vous d’en manger, vous passez outre le sentiment de dégoût assez rapidement. J’aime énormément les animaux, à vrai dire. J’ai beaucoup d’animaux de compagnie. Si nos lapins en étaient venus à tomber malade, je me serais fait un sang d’encre. Je ne voulais pas qu’ils souffrent. Quand on les tuait, on s’en chargeait très, très rapidement – leur traitement était bien meilleur que celui de n’importe quelle viande que vous pouvez acheter. Je ne mange pas de bœuf, je ne peux pas supporter la façon dont les vaches sont élevées et tuées. Nous traitions de façon très humaine les animaux que nous élevions. Ensuite, vraiment, l’idée est que quand ils sont morts, ils sont morts. Ouais, c’est assez dégueu de les vider, mais c’est tout aussi dégueu de changer une couche de bébé. Au bout d’un moment, on s’habitue, c’est juste une chose de plus qu’on fait dans la vie. Je pense que c’est admirable. Je ne serais jamais capable de faire ça.
Je pense que mes enfants ne le pourraient pas non plus. On a eu des poulets pendant un moment, jusqu’à ce que le chien des voisins les tue. Mais on se contentait d’en manger les œufs. Ils auraient vraiment eu du mal à tuer les poulets. Bien sûr, les poulets sont si incroyablement stupides que si vous ressentez de l’attachement pour eux, c’est purement anthropomorphique. C’est vrai.
Mais les poulets, c’est marrant. Vous pouvez les mettre sur votre tête et vous promener comme ça, avec votre petit chapeau poulet, c’est très confortable. Et ils viennent quand on les appelle. Je pense que si tout était à refaire, je mangerais probablement moins de viande. Mais je sais que les lapins que nous avons élevés ont eu la meilleure vie qu’un lapin puisse espérer. Vous pensez que vivre en possum est encore possible aujourd’hui ?
Oh que oui ! Pour tout vous dire, quand mon mari prendra sa re­traite, je pense qu’on s’y remettra. Bon, je ne pense pas qu’on le fera à fond. Je ne veux plus faire de bêtises avec les lapins. Mais oui, j’ai hâte de m’y remettre. Votre mari travaille toujours pour la NASA, et pas vous ?
J’ai changé de métier parce qu’après en avoir bien bavé en tant qu’ingénieur à la NASA, je me suis rendue compte que j’étais assise derrière un petit bureau dans un petit box dans un immeuble sombre toute la journée, et que ce n’était pas ce dont j’avais envie. Pourquoi devenir ingénieur dans l’aérospatial ? Ça semble juste être à l’extrême opposé de la vie de possum.
Eh bien, je crois qu’en premier lieu, je lis trop de science fiction. Ah ah !
C’est la vérité. Et aussi, j’étais très bonne en maths. Donc vous faites des études, vous êtes bonne en maths – la chose que tout le monde vous dit, c’est : « Deviens ingénieur. » Je voulais faire quelque chose qui me semblait important, qui aurait un impact sur l’humanité. Je vous ai dit que j’étais quelqu’un d’intense. J’étais très idéaliste. Vous avez bossé sur des vaisseaux spatiaux ?
J’ai bossé sur une navette. Oh, waouh.
J’ai travaillé sur deux grands projets à la NASA. Le premier s’intitulait « Spacehab », et visait à créer plus d’espace à vivre dans la navette. Ensuite, Challenger a explosé. J’ai fait partie de l’équipe qui a tenté de comprendre ce qui s’était passé et la manière dont réparer ça. On s’est tous fait envoyer en Floride, et on a vu les débris. C’était très dur. On est rentrés, et on a commencé à réfléchir à des hypothèses. L’un des projets dont je me suis occupée était de déterminer si nous pouvions trouver une façon de remplacer les anneaux en O qui avaient causé l’explosion de Challenger. Vous êtes probablement trop jeune pour vous souvenir de la commission qui a été chargée ­d’élucider ce qui s’était passé. Ce qui est arrivé, c’est que beaucoup de gens ont essayé de couvrir leurs arrières. Ouais, je savais pas. Je me souviens juste d’avoir regardé ça à la télé, en salle de classe, en primaire.
Eh bien, la question était la suivante : est-ce que le froid (parce que ce jour-là était particulièrement froid) avait altéré le fonctionnement des anneaux en O ? Tout le monde disait : « Non, non ! », parce que tout le monde couvrait ses arrières. Richard Feynman, le Prix Nobel de physique, siégeait dans cette commission. Il a pris un anneau en O et l’a mis dans un verre d’eau glacée, l’en a sorti et l’a rompu. Plus personne n’a pu le nier. Mais pourtant, sur toute la ligne, l’équipe en charge avait choisi d’ignorer l’évidence. La raison, c’est que Reagan devait faire son discours sur l’état de l’Union le soir du lancement de Challenger. Il voulait pouvoir dire : « On a envoyé des civils dans l’espace ! » Il y avait beaucoup de pression pour lancer l’engin en temps et en heure. Donc ils se sont dit : « On va s’obstiner et le ­lancer, même si la température est trop basse. » Et ils l’ont fait, et ça a explosé. J’ai eu l’impression qu’on avait nous-mêmes fait exploser ces gens – que nous, à la NASA, avions trahi ces gens. Ça m’a ôté tous mes moyens. C’est pour ça que vous avez démissionné ?
Ouais. C’était la raison principale de mon départ. Je ne peux pas vous en tenir rigueur.
Ouais, je ne pouvais pas travailler dans un truc si bureaucratique. Je ne pouvais pas travailler dans un endroit où on laissait ce genre de choses arriver. Donc vous avez changé de métier ?
Ouais. Bien sûr, ça n’a pas été aussi facile que ça en a l’air. J’avais très peur, je me demandais ce que j’allais faire de ma vie. Ça n’avait pas été simple de devenir un ingénieur aérospatial. J’avais beaucoup travaillé. J’avais encore sur le dos le prêt de mes études. Mon mari et moi vivions dans un petit appartement tout ce qu’il y a de plus ordinaire pour pouvoir rembourser tous nos emprunts et faire des économies – on est tous les deux plutôt économes. Il m’a dit : « Écoute, fais ce qui te rend heureuse. » En ce temps-là, j’étais bénévole, le week-end, dans un centre d’éducation à la nature, et j’adorais ça. Une façon de savoir quelle carrière emprunter est de voir si on aime le faire bénévolement. J’aime regarder sous les feuilles, sous les pierres, dans l’eau, sur les arbres, pour observer les oiseaux, les insectes, les papillons. Pour moi, c’est comme de la méditation. Ils ont eu besoin de ­professeurs. Au début, j’ai pensé que j’allais détester, mais quand j’ai commencé à enseigner à des classes d’enfants, j’ai absolument adoré. Il s’est avéré que j’étais très bonne pour enseigner. Il y a beaucoup de choses pour lesquelles je suis très mauvaise. Je suis nulle en art ou en musique. Mais je suis plutôt douée lorsqu’il s’agit d’emmener un groupe d’enfants dehors et de leur montrer la nature, de susciter leur enthousiasme et de leur apprendre des choses. C’est comme si j’étais née pour faire ça. Ça m’inspire beaucoup. J’aimerais bien pouvoir le faire aussi. Tous les conseils que vous donnez dans la postface de votre livre sur la façon d’être heureux dans la vie, ça m’a incité à réfléchir à ce que je faisais de la mienne.
Ah, c’est bien. J’étais un peu inquiète au sujet de cette partie-là, quand je l’ai écrite, j’étais plutôt arrogante. Oui, mais c’est ce qui la rend géniale. Il y a plein d’autres bouquins qui vous apprennent à être frugal, mais celui-ci est super marrant à lire. Je l’ai lu d’une traite, parce que vous vous exprimez sur un ton amical et excentrique. C’est ce qui fait qu’il est vraiment unique. Et en ce qui concerne l’arrogance, je me demande encore comment on peut être une jeune fille de 18 ans et avoir autant d’assurance. Les filles sont plutôt mal dans leur peau à cet âge-là. Vous, vous vous qualifiez vous-même de « bombe ».
Eh bien, je l’étais. Ça, je n’en doute pas ! Est-ce que vos amis et petits amis trouvaient votre style de vie étrange ?
Ouais. Mais ils aimaient ça aussi ! Ça leur permettait de s’extirper des contraintes de la civilisation normale. Si tu viens me rendre visite, on regardera pas la télé, mais on ira nager dans la crique. Peut-être qu’on ira pêcher. On jouera au poker et on jettera nos coques de cacahuètes par terre, on se couchera tard… Quand vous relisez ce que vous avez écrit, est-ce qu’il y a des choses qui vous font rire ou au contraire qui vous font honte ?
Le chapitre sur la loi, oui. Quand je l’ai relu j’étais genre : « Je ne peux pas croire que j’aie pu écrire ça. » Oui, j’allais vous en parler. Vous préconisez de se faire justice soi-même, en donnant des conseils plutôt risqués. Vous êtes-vous déjà causé des problèmes ?
Non, jamais. C’était plutôt mon père qui se chargeait de ce genre de besognes. Parfois, je l’accompagnais, mais je dirais que ce que j’ai appris – et je l’ai écrit dans la postface – c’est que menacer les gens pour obtenir ce que l’on veut n’est pas vraiment une bonne idée. Ça peut fonctionner à court terme, mais à long terme, ça n’aide pas, et ça fait de vous quelqu’un de mauvais. Donc, quand ils sont venus me parler d’une nouvelle édition, je leur ai dit qu’on devait désavouer ce passage. Mais je n’ai jamais eu d’ennuis. En revanche, mon père, si, après que je suis partie de la maison. Vous avez écrit qu’il avait brûlé des maisons pour empêcher des ­promoteurs immobiliers de construire sur des terrains protégés.
Oui, il a fait ça. Heureusement, il n’y avait personne dans ces maisons. Elles étaient encore en construction. Mais en plus d’être une très mauvaise chose à faire, ça n’était pas efficace. Ils se contentaient de reconstruire les maisons.
Ouais. Ils l’ont arrêté pour ça ?
Non, jamais. Pas pour ça. Il s’est fait arrêter pour avoir menacé quelqu’un, et il a fait de la prison, bien après que j’ai quitté la maison. Je ne veux pas vivre de cette façon. C’était un des aspects de ma rébellion : quitter la maison et me mettre à respecter la loi ! Enfin, surtout respecter la loi. C’est marrant. Une fois que vous êtes partie de chez votre père, est-ce que vous avez cédé à une tentation qui vous taraudait mais que vous ne pouviez pas vous permettre ?
Oh, des sushis ! Quand ils m’ont envoyé faire la promo de mon bouquin, j’ai mangé des sushis à New York, pour la première fois de ma vie. C’était un gros plus. Et puis je suis allée en boîte. Il y avait une soirée sur le thème du cirque, dans un club de travelos. Ça m’a complètement retournée ! On n’avait rien de tout ça dans ma petite ville. J’aimais danser, je me suis bien amusée. Je pense qu’aujourd’hui, je ferais un peu plus attention, mais à l’époque j’allais vers des gens que je ne connaissais pas, et je les laissais me balader dans Central Park ou m’emmener en boîte. Vous avez été invitée à des talk shows aussi ?
Oh, oui. C’était hilarant. Je suis passée sur pas mal de chaînes locales. Des radios aussi. J’ai fait Merv Griffin. Il y a aussi eu un documentaire sur la vie de possum. Si vous pensez que je suis arrogante, vous devriez me voir à la télé. Vos enfants ont lu votre livre ?
Mon fils ne l’a jamais fini. Il a du mal à se concentrer, il est à la ­limite de l’hyperactivité. Ma fille l’a lu et m’a dit : « Et pourquoi je peux pas avoir ma propre distillerie ? » Ah ah.
Je pense qu’une partie de cette arrogance s’est gommée quand j’ai grandi. Mais la majeure partie de ce que j’ai écrit est encore valable aujourd’hui. J’en ai intégré la plupart des principes dans ma vie de tous les jours. Je n’élève plus de lapins dans ma cave, certes, mais je me préoccupe de la façon dont on élève et nourrit les animaux, et j’ai toujours eu un jardin, et je me suis toujours posé des questions sur la façon dont je menais ma vie. Mais je sais que je fais beaucoup plus attention aujourd’hui. J’espère que ça ne sonne pas trop comme un abandon, mais quand on vieillit, on a plus d’expérience. Ce n’est jamais une bonne idée de terroriser les gens. C’est mal ! C’est mal ! Ah, oui, ça j’ai compris. Mais à part la partie qui concerne le fait de terroriser les gens, et peut-être celle aussi sur la manducation des chats, votre livre m’a beaucoup inspirée. Si je démissionne, c’est votre faute.
Ma faute ! Je ne sais pas si à New York on a le droit d’avoir des lapins dans sa cave… Y’a toujours Central Park…
Ah, voilà ! Plein de pigeons.