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Sports

Le premier vainqueur italien du Tour a-t-il été assassiné par les hommes de Mussolini ?

C'est en tout cas la thèse que défendent certains spécialistes de la vie d'Ottavio Bottecchia, vainqueur du tour 1924 et antifasciste convaincu.
Photo via Wikipedia

En remportant le Tour en 2014, Vincenzo Nibali est devenu le septième coureur italien à inscrire son nom au palmarès de la Grande Boucle. Parmi eux, certains ont laissé un souvenir impérissable dans les mémoires des fans de cyclistes, comme Coppi, Bartali ou Pantani. D'autres, pourtant tout aussi brillants, ont en revanche été oubliés par le grand public, devenant de simples objets de curiosité pour les spécialistes de la petite reine et autres historiens du cyclisme.

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Ottavio Bottecchia est l'un d'entre eux. Premier vainqueur italien du Tour – il l'a remporté en 1924 et 1925 – Ottavio n'a pas eu le temps de profiter de sa gloire nouvelle. Deux ans plus tard à peine, il était retrouvé mort, sur le bas-côté d'une route d'entraînement. Sans que personne n'apporte d'explication valable au décès mystérieux du champion.

Né en 1894 dans une famille sans le sou du nord est de l'Italie, Ottavio, qui se lance dans la maçonnerie, tente de joindre les deux bouts quand la Première guerre mondiale éclate et change radicalement le cours de sa vie. Le voici engagé dans l'armée italienne, affecté au service cycliste où il transporte les messages des officiers d'une position à une autre. Parfois, il remplit des missions plus épuisantes, comme lorsqu'il doit hâler des pièces d'artillerie en passant par des cols montagneux. C'est à ce moment qu'Ottavio forge son coup de pédale, sa résistance à l'effort et une passion pour le vélo qui ne le quitte plus. A la fin de la guerre, Bottecchia participe à plusieurs compétitions cyclistes et se lance dans une carrière de coureur à plein temps.

Sous la houlette d'Henri Pélissier, futur vainqueur du Tour en 1923, il parfait son apprentissage du vélo et des choses de la vie. Il apprend à lire, et découvre la littérature anti-fasciste, qu'il dévore avec passion. Sur ce même Tour 1923, Bottecchia termine deuxième, juste derrière Pélissier, se révélant ainsi au grand public. Un journal italien fait alors campagne pour lui et demande à ses généreux lecteurs de se cotiser pour financer la carrière de ce coureur prometteur. Parmi les donateurs, le premier à mettre la main à la poche s'appelle Benito Mussolini.

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L'appui du dictateur italien réussit bien à Bottecchia, qui remporte le Tour 1924 en conservant le maillot jaune, qu'il avait acquis dès la première étape. Pourtant, l'espace d'une journée, le leader du classement général ne porte pas le fameux maillot distinctif. Bottecchia choisit en effet de courir avec sa tenue habituelle sur l'étape passant tout près de la frontière italienne, sans expliquer la raison de ce choix. Certains disent qu'il craignait d'être reconnu et perturbé par des tifosi trop zélés qui auraient voulu le pousser ou lui parler, mais d'autres spécialistes de l'époque affirment qu'il voulait tout simplement échapper aux fascistes qui auraient pu lui poser des problèmes bien plus graves.

Bien qu'Ottavio Bottecchia n'a jamais exprimé publiquement son mépris pour les positions fascistes, il n'a pas cherché à masquer ses convictions socialistes non plus. Cela posait un problème de taille dans l'Italie des années 1920, où les athlètes étaient avant tout considérés comme des symboles de la puissance étatique. Autant dire que le positionnement un brin contestataire d'une star de l'envergure d'Ottavio Bottecchia a rapidement hérissé le poil des partisans les plus fervents de Mussolini. A tel point que les fascistes le haïssaient profondément, voire, comme l'affirment encore certains aujourd'hui, que les chemises noires seraient les commanditaires du meurtre du cycliste.

En juin 1927, alors que Bottecchia a 32 ans et est au sommet de sa gloire cyclistique, il est retrouvé mourant sur un bord de route. Son corps sanguinolent est retrouvé sur le bas-côté d'une route bordant un vignoble. Il a le crâne et la clavicule fracturés. Premier élément étrange, son vélo, délicatement posé contre une barrière, n'a pas la moindre éraflure. Difficile de croire à la chute dans ces conditions. Les observateurs les plus avertis, ou les plus paranos c'est selon, en ont déduit que la version officielle des faits – Bottecchia aurait souffert d'une insolation et se serait crashé contre un mur – n'était qu'une romance ficelée par les fascistes pour masquer une vérité bien plus glauque. Le double vainqueur du Tour aurait été victime d'un assassinat politique.

Si aucune preuve ne permet de privilégier cette piste plus "complotiste", les autres théories sur l'accident de Bottecchia ne sont pas plus convaincantes. Selon certains, Bottecchia aurait volé une grappe de raisin, provoquant la colère du vigneron qui l'aurait mortellement blessé en lui jetant des pierres. Ce dernier aurait d'ailleurs avoué son crime sur son lit de mort, sans que personne ne puisse vraiment confirmer cette confession.

Quelle qu'aient été les conditions de sa mort, le décès de Bottecchia a complètement éclipsé sa vie et son palmarès. Il était pourtant l'un des plus grands cyclistes des années 20 et un des héros sportifs du socialisme italien à une époque où défendre ces idées pouvait être problématique. Aujourd'hui, son nom perdure grâce au constructeur cycliste du même nom, toujours en activité, qui assure à ses clients qu'il « réalise des vélos pour tous les besoins, en conciliant et dévotion. » Une définition qui colle bien à Ottavio Bottecchia, qui a su briller dans le monde du cyclisme dans une Europe exsangue, en se sortant de la pauvreté et de l'illettrisme.