Des cliniques proposant des traitements miraculeux à base de cellules souches ruinent la vie des patients

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Des cliniques proposant des traitements miraculeux à base de cellules souches ruinent la vie des patients

Aux États-Unis, les méthodes marketing des cliniques privées convainquent des patients désespérés de dépenser des dizaines de milliers de dollars dans des traitements qui n’ont jamais été approuvés par une agence de santé.

Cet article est originellement paru sur Tonic.

L'histoire est cauchemardesque : trois femmes ont déboursé plusieurs dizaines de milliers de dollars dans une clinique de Floride en échange de « soins aux cellules souches », un traitement qui n'a jamais été approuvé par une quelconque agence médicale mais qui serait apparemment sans danger. Pourtant, suite à ce choix thérapeutique "révolutionnaire", elles ont perdu la vue.

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L'une d'entre elles était persuadée qu'elle participait à des essais cliniques et allait recevoir un traitement expérimental contrôlé par des personnes compétentes. Hélas, comme tant d'autres, les trois patientes ont suivi un procédure absurde dans un établissement parfaitement illégal.

Dans le cas présent, les résultats du traitement parlent pour eux-mêmes. Mais très souvent, les patients victimes de ces fameuses thérapies aux cellules souches restent invisibles, car ils ne subissent « que » des dommages financiers et psychologiques.

« Ces histoires de cellules souches émergent de toutes parts. C'est un gros problème. L'expression 'cellule souche' est devenue un synonyme de médecine de pointe voire de traitement miraculeux. Elle est donc utilisée comme un outil de marketing afin de vendre des traitements qui n'ont jamais été approuvés par une institution ou une agence de santé, et dont les bénéfices n'ont jamais été évalués », explique Tim Caulfield, détenteur de la chaire de recherche en droit et politique de santé à l'Université d'Alberta.

Comme l'explique Caulfield, les cellules souches ont un véritable potentiel en biomédecine puisqu'elles peuvent se développer dans n'importe quelle partie du corps. Elles sont associées à la régénération, au rajeunissement et au remplacement des structures organiques les plus élémentaires ; évidemment dans ce cadre, il n'est pas difficile de construire un discours pseudo-scientifique puissant et simpliste à leur sujet en affirmant qu'elles nous donnent les clés de la jeunesse éternelle.

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En biomédecine comme ailleurs, le rythme de l'avancement des connaissances scientifiques est lent et on ne peut pas l'accélérer par un coup de baguette magique. Les chercheurs travaillent sur les cellules souches depuis très longtemps, mais jusqu'à présent, la FDA n'a approuvé qu'un seul type de traitement à base de cellules souches. Cela n'empêche pas les cliniques du monde entier de proposer leurs propres traitements en utilisant des cellules graisseuses prélevées sur le corps du patient, puis traitées et réinjectées. C'est ce processus qui a causé la cécité des trois femmes en Floride. (Le seul traitement approuvé par la FDA utilise des cellules issues du sang ou de la moelle osseuse, et non pas de la graisse.)

De nombreuses cliniques se vantent de fournir des traitements miracles à base de cellules souches. Il y a dix ans déjà, Caulfield et ses co-auteurs avaient publié une étude décrivant la façon dont les sites Web de ces cliniques privées promouvaient leurs méthodes. Selon les chercheurs, leurs discours étaient « démesurément optimistes et non étayés par la littérature scientifique. » Très vite, l'inquiétude est montée : la nouvelle tendance des « pèlerinages » vers les cliniques de régénération ne se contentait pas de ruiner des patients – parfois en difficulté financière et psychologique – mais portait également atteinte à la réputation de la recherche sur les cellules souches.

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Depuis, rien n'a changé. « En fait, les choses ont empiré dans le sens où ces cliniques affirment désormais sans honte que ces traitements sont super-efficaces et ne présentent aucun risque, » explique Caulfield. Il pense que les réseaux sociaux, entre autres, ont contribué à la diffusion de fausses informations sur les cellules souches. Malheureusement, il est de plus en plus probable qu'un patient en difficulté, qui ne peut pas être aidé dans l'immédiat par la médecine allopathique, soit tenté par des traitements alternatifs pseudoscientifiques.

Ce besoin désespéré d'un remède miracle a permis trois hommes de faire plus d'1,5 million de dollars de bénéfice en soulevant de faux espoirs chez des patients atteints d'un cancer, de la sclérose en plaques ou d'autres maladies auto-immunes. Plus de 20 nouvelles cliniques ont ouvert à Tijuana, au Mexique, et offrent des traitements douteux à base de cellules souches tout en faisant croire qu'ils sont administrés dans le cadre d'essais cliniques dont les résultats s'annoncent extrêmement prometteurs.

Bien sûr, les réseaux sociaux ne sont pas à eux seuls responsables de cette catastrophe. Caulfield pense que les chercheurs doivent prendre leurs responsabilités et contrôler la façon dont leur travail est décrit dans la presse. L'intérêt du public pour la recherche sur les cellules souches se concentre aujourd'hui sur des questions juridiques et éthiques (est-il moral d'utiliser des cellules souches d'embryons humains, par exemple, et si oui, comment devrait-on en réglementer l'usage ?), et non plus scientifiques. Caulfield estime que la couverture médiatique sur les traitements à base de cellules souches suscite des attentes démesurées chez les lecteurs et patients potentiels. Lui et son co-auteur ont constaté que 69% des articles se risquant à faire des prédictions sur les avancées de la biomédecine suggéraient que les retombées concrètes des recherches sur les cellules souches étaient à espérer pour les cinq à dix ans à venir, voire plus tôt. « Hélas, en biomédecine, nous ne voyageons pas à la vitesse de la lumière, » ajoute-t-il.

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En plus de présenter des délais extrêmement optimistes quant au développement de traitements efficaces, les journalistes trompent régulièrement leurs lecteurs en privilégiant les récits de cas exceptionnels. L'histoire de Gordie Howe en est un parfait exemple, selon Caulfied. Howe, la légende du hockey a fréquenté les patinoires jusqu'à ses 52 ans, a subi un accident vasculaire cérébral en 2014, puis a frôlé la mort suite à divers problèmes de santé. Sa famille, à court d'options thérapeutiques, l'a envoyé à Tijuana pour un traitement à base de cellules souches. Son rétablissement a été miraculeux ; son fils a même affirmé qu'après le traitement, son père était encore en forme qu'avant son AVC.

Il s'agit là d'une bien belle histoire, optimiste et rafraichissante – et pas seulement pour les fans de sport. Quand Caulfield a tenté de replacer le cas Howe dans le contexte plus large du tourisme de cellules souches, l'ancien journaliste sportif Keith Olbermann a été extrêmement choqué : « Qui êtes-vous pour dire une chose pareille ? Un connard sans âme ? Vous êtes contre la vaccination, aussi ? » (Caulfield a répondu qu'il avait passé toute sa carrière soutenir la recherche sur les cellules souches et à lutter contre les pseudosciences.) Une grande partie de la presse, crédule, a suivi l'exemple d'Olbermann, et s'est montrée incapable d'adopter un point de vue critique et sceptique sur cette histoire charmante.

Hélas, le problème ne nous est que trop familier aujourd'hui : désinformation, mésinformation, fake news sont une catastrophe pour l'éducation scientifique du grand public, qui est la proie des établissements frauduleux habiles en marketing médical. L'an dernier, la confusion sur les applications réelles de la recherche sur les cellules souches a poussé la Société internationale pour la recherche sur les cellules souches (ISSCR) à publier une série de recommandations visant à alerter les chercheurs contre la mésinterprétation de leur travail dans les médias. Caulfield a aidé à rédiger ces recommandations, car il est persuadé que les scientifiques devraient discuter de la portée et de la perception de leurs recherches auprès du grand public. « Nous devons nous assurer que nous identifierons la désinformation dans les médias et sur les réseaux sociaux, et que nous saurons comment lutter », explique-il.

Ce problème est étroitement lié à un manque cruel d'une réglementation sur les cliniques privées qui exploitent l'ignorance des patients, notamment aux États-Unis. La FDA n'est jamais intervenue sur le sujet des cellules souches. Parce que les procédures les plus courantes consistent à prélever des cellules du patient, à leur faire subir un traitement minimal (et souvent sans le moindre effet) et à les réinjecter dans le corps, la FDA considère qu'il ne s'agit pas là d'un traitement médical, et que réglementer la technique n'est donc pas de son ressort.

Pourtant, les cliniques se sont multipliées et les problèmes de sécurité ont commencé à émerger. Une étude publiée l'année dernière dans le journal Cell Stem Cell a montré que 570 cliniques américaines proposaient des traitements à base de cellules souches, sans que leurs activités ne soient le moins du monde évaluées et contrôlées. « Une telle activité commerciale suggère que les organismes de réglementation devraient mieux surveiller le marché », notent les auteurs. L'an dernier, la FDA a envisagé une forme de répression sévère à l'encontre des cliniques frauduleuses, puis y a renoncé devant les plaintes des établissements de santé privés et des associations de patients. Depuis lors, la question semble avoir au point mort. Et avec l'administration Trump aux commandes, il est peu probable que les choses s'améliorent. « Je ne suis pas optimiste. La FDA n'osera jamais proposer une régulation agressive, ce qui est regrettable », ajoute Caulfield.

Cela laisse les patients dans une position délicate, entre désinformation et clandestinité. Caulfield encourage les scientifiques, journalistes et enseignants à promouvoir une information médicale de qualité susceptible d'atteindre des personnes cherchant à toute force un traitement miracle. Mais en ces temps troublés, l'espoir que la littérature scientifique parviennent à détrôner le boniment est mince, il est vrai.