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Pourquoi on se gratte ?

Ça commence par une piqûre de moustique, et ça finit avec une cuisse en sang, des larmes, et beaucoup de haine de soi.
Image : Edouard aux Mains d'Argent (1990) / Twentieth Century Fox

Avec la série "Le Pourquoi du moment", Motherboard répond aux questions les plus posées sur Google en 2015. Aujourd'hui, nous nous attaquons à un problème qui nous concerne tous : pourquoi on se gratte ?

« La gratterie est des gratifications de la nature des plus douces ; mais elle a la pénitence trop importunément voisine », écrivait Montaigne au 16ème siècle. Rarement philosophe a été aussi juste : il n'y a rien de plus plaisant que de se gratter, mais au bref soulagement (voire au plaisir) engendré par le grattage succède invariablement le regret de voir la démangeaison s'amplifier encore.

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À vrai dire, on est encore loin de savoir pourquoi on se gratte, ce qui cause les démangeaisons, ou à quel moment de notre évolution la nature a décidé qu'il serait une bonne idée de nous condamner à nous gratter presque en permanence. Dans un article fabuleux publié dans le New Yorker en 2008, le chirurgien Atul Gawande remarque à juste titre que les démangeaisons constituent « une sensation aussi étrange que diabolique. »

« Les scientifiques pensent que les démangeaisons, et le réflexe de se gratter qui les accompagne, nous ont servi au cours de l'évolution à nous protéger des insectes et des toxines émises par les plantes. On pense ainsi à la malaria, la fièvre jaune ou la dengue, transmises par les moustiques ; la tularémie, l'onchocercose (ou cécité des rivières) et la maladie du sommeil, transmises par les mouches ; ou encore au typhus, dont les puces sont porteuses, aux diverses formes de peste, et aux araignées venimeuses, écrivait-il. Mais on ne sait pas vraiment comment les démangeaisons fonctionnent. »

En fait, si. On le sait un peu, désormais. En 2013, des chercheurs américains de l'université du Maryland ont découvert que la sensation de prurit est en fait causée par une molécule produite par notre système nerveux, la bien-nommée BNP ("peptide cérébral natriurétique", en français). Les démangeaisons surviennent quand les terminaisons nerveuses situées sous la peau sont stimulées par un élément extérieur, qu'il s'agisse d'une piqûre ou d'une allergie. Elles libèrent alors la BNP, laquelle produit la sensation et donne au cerveau le signal de se gratter ; le grattage stimule à son tour le cerveau en bloquant l'activité électrique générée par les cellules nerveuses et en « noyant » les signaux préalablement envoyés, tout en activant le système de récompense. C'est ce qui explique que se gratter soulage autant.

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Sauf qu'en général, ça ne soulage pas vraiment. Ce qui soulève une autre question, tout aussi capitale : pourquoi le fait de se gratter donne-t-il encore plus envie de se gratter à nouveau ?

"Bah ça me grattait, alors je me suis gratté…"

Les démangeaisons sont cousines de la douleur, mais ne sont pas exactement de la douleur. Cela a été prouvé à la fin des années 1980, quand des chercheurs allemands se sont amusés à torturer des gens en stimulant la production d'histamine dans leur corps. Même quand leurs démangeaisons se firent extrêmement intenses, ils affirmèrent ne ressentir aucune douleur, ce qui conduisit le chercheur H. O. Handwerker à conclure que la douleur et les démangeaisons étaient deux sensations distinctes passant par des chemins neurologiques différents.

Ce qui nous amène à un article publié en 2014, qui prouve qu'en réalité, se gratter provoque de la douleur, ce qui explique bien des choses.

Dans cet article, publié dans la revue Neuron, le chercheur Zhou-Feng Chen, du Centre d'études sur les démangeaisons (eh oui !) de l'université de Saint Louis, remarque que le fait de se gratter cause davantage de démangeaisons.

« Le grattage permet d'inhiber la sensation de démangeaison. Mais il provoque aussi une inflammation de la peau, qui à son tour entraîne des démangeaisons et un besoin incontrôlable de se gratter », écrit-il.

Plus spécifiquement, ce qu'il se passe, c'est que quand on se gratte, le cerveau reçoit des signaux qui lui font produire de la sérotonine afin de nous empêcher d'avoir mal. Mais la sérotonine rend aussi notre peau plus sensible aux démangeaisons, si l'on en croit l'étude.

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Pour le prouver, notre ami Chen s'est amusé à modifier génétiquement des souris afin qu'elles ne produisent plus de sérotonine. Dès lors, elles se grattaient nettement moins que des souris normales, même quand on leur injectait une substance qui les fait traditionnellement se gratter en permanence. Puis, quand on leur injecta de la sérotonine, elles recommencèrent à se gratter normalement.

Tout cela est passionnant. Mais soyons clair : ça ne veut absolument pas dire qu'un jour, on pourra faire en sorte de ne plus jamais se gratter, et ainsi défier d'un regard fier tous les moustiques dont l'existence aussi infime qu'infâme semble dédiée à nous persécuter. La sérotonine est un neurotransmetteur d'une importance capitale, puisqu'elle est associée aussi bien à notre humeur qu'à notre appétit, notre sommeil, notre douleur, et j'en passe. Trafiquer vos niveaux de sérotonine peut se justifier si vous êtes profondément dépressif ; beaucoup moins si vous en avez juste marre des moustiques.

Pour l'heure, contentez-vous de respirer un grand coup, de penser à tous ces moustiques sympas qui ont transmis des maladies horribles à des criminels de guerre, et couvrez-vous de spray comme tout le monde.

Évidemment, la partie du corps qui gratte le plus est toujours celle qu'on ne peut pas gratter.