Le Bitcoin n'est toujours pas viable

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Le Bitcoin n'est toujours pas viable

Même si la monnaie virtuelle est de moins en moins gourmande en énergie, les transactions consomment encore plusieurs milliers de fois l’électricité nécessaire à un paiement par carte bleue.

Le Bitcoin est de retour sous le feu des projecteurs. Ces derniers jours, sa valeur a dépassé celle de l'or et semble désormais stabilisée autour de 1200 dollars, suscitant quelques conseils de guerre dans les banques centrales. Mais quand le cours du bitcoin plafonne et que les plus optimistes crient de nouveau sur tous les toits qu'il s'agit de la monnaie du futur, la triste réalité nous revient en pleine face : les transactions bitcoin constituent un véritable gouffre énergétique.

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En 2015, j'écrivais que le Bitcoin avait, intrinsèquement, un gros problème de viabilité à long terme. À l'époque, chaque transaction bitcoin consommait assez d'électricité pour alimenter 1,57 ménage américain pendant une journée – ce qui correspond à environ 5000 fois la quantité d'énergie nécessaire à une transaction par carte de crédit. Où en est-on aujourd'hui ?

Première difficulté : il est impossible de savoir exactement combien d'électricité est réellement « consommée » lors d'une transaction bitcoin. On peut tout de même estimer une fourchette de consommation d'énergie pour le minage de bitcoins en général (le minage consiste en ce procédé par lequel les transactions sont sécurisées sur la blockchain, une sorte de registre géant de toutes les transactions effectuées).

Malgré tout, il est intéressant d'estimer le coût énergétique moyen d'une transaction bitcoin, parce que cela permet de comparer ce coût à celui des systèmes de paiement existants. Il existe également une façon plus tangible de représenter le rapport qualité-électricité : pour cela, il faut connaître le nombre total de bitcoins minés et le total d'énergie consommée en minage de bitcoins sur le réseau, mais surtout, évaluer combien de transactions sont effectuées pour le total d'énergie considéré.

Les calculs effectués en partant des hypothèses les plus optimistes montrent que dans le meilleur des cas, chaque transaction Bitcoin revient à environ 90% de la consommation d'électricité quotidienne moyenne d'un ménage américain. Ainsi, même si cette valeur est l'équivalent énergétique de 3994 transactions par carte de crédit, il y a une bonne nouvelle : les choses vont mieux depuis 2015. La monnaie virtuelle est moins gourmande en énergie qu'elle ne l'était il y a deux ans.

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Malheureusement, cet état de fait ne devrait pas durer. Un nouvel index, qui modélise les coûts énergétiques potentiels par transaction, affiche des valeurs aussi élevées que 94 kWh, soit l'énergie moyenne utilisée par 3.17 ménages américains en une journée. C'est assez d'énergie pour charger complètement la batterie d'un Tesla Model S P100D et la faire rouler sur 482 km.

Comment se fait-il qu'une transaction Bitcoin puisse utiliser une telle quantité d'énergie ? D'abord revenons au principe du minage.

Les transactions Bitcoin sont sécurisées par des ordinateurs « mineurs », qui sont en concurrence pour obtenir des bitcoins flambant neufs en provenance du réseau (le bloc récompense). Plus vous déployez de puissance de calcul en minant, mieux vos chances d'obtenir la récompense sont élevées. En ce sens, les utilisateurs sont encouragés à allouer toujours plus de puissance de calcul au minage tant que la valeur totale des bitcoins obtenus couvre les frais engagés (investissement matériel et énergie).

En règle générale, à chaque fois le prix du bitcoin grimpe, il est plus économique de miner, peu importe la puissance de votre équipement. En ce sens, la consommation totale d'énergie liée au minage augmente logiquement lorsque les prix flambes, malgré les facteurs atténuants.

Le réseau Bitcoin augmente régulièrement la difficulté du minage afin de tenir compte de l'augmentation de la capacité d'extraction ainsi le minage ressemble plus ou moins à une course à l'armement : les mineurs doivent toujours investir davantage dans le minage afin de rivaliser avec les autres mineurs, pour des récompenses limitées. Parce que les mineurs sont de plus en plus efficaces, ils effectuent davantage de calculs pour un coût énergétique qui va en diminuant.

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Mais selon un article d'Adam Hayes de la New School, ce mécanisme tend à contrecarrer la tendance à la baisse des prix provoquée par l'augmentation de l'efficacité énergétique » du minage. Donc, même si le matériel des mineurs est de plus en plus performant, le code du système Bitcoin incite à miner davantage, ce qui nécessite une quantité d'énergie croissante.

Dans ce contexte, nous avons la possibilité définir une estimation de dépense énergétique de référence pour la maintenance globale du système Bitcoin et pour l'ensemble des transactions. Pour cela, il faut quelques données de base :

  • Actuellement, Bitcoin peut gérer un maximum théorique d'environ 7 transactions par seconde. Le nombre quotidien moyen de transactions Bitcoin était de 302 150 au 1er Mars, selon blockchain.info
  • Ensuite, il faut se pencher sur le hashrate, qui mesure la puissance de calcul réelle du réseau. J'utilise une moyenne hebdomadaire pour lisser le bruit dans les données récoltées. Au 1er Mars, ce chiffre était 3.387 millions terahashes/s). 
  • Nous connaissons également la consommation d'énergie des mineurs les plus efficaces du marché. Antminer et BitFury semblent être à égalité, avec .098 W/GH/s pour un S9 Antminer (BitFury possède un datacenter 2x plus efficace, mais il n'est probablement pas entièrement dédié au minage).

Pour fixer la limite inférieure de la consommation totale d'énergie du réseau, il faut multiplier la consommation d'énergie moyenne d'un mineur par hach par seconde au hashrate mondial par seconde. A partir du 1er Mars, il fallait compter environ 332 mégawatts. À première vue cette valeur ne me semble pas déraisonnable, étant donné qu'un entrepreneur Bitcoin vient d'annoncer la construction d'une usine de minage de 130 mégawatts en Chine.

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Maintenant, exprimons ces valeurs de manière à pouvoir se les représenter plus facilement. Si tous les mineurs possédaient des machines extrêmement efficaces, le réseau Bitcoin consommerait une quantité d'énergie équivalente à celle de 268 990 foyers américains moyens.

Étant donné que le nombre moyen de transactions quotidiennes est de 302 150, chaque transaction bitcoin représente au moins 26 kWh d'électricité dédiée au minage, ou assez d'électricité pour alimenter 0.89 ménage américain moyen pour une journée.

En 2015, ce chiffre était de 1,57. Les mineurs sont devenus plus efficaces depuis, effectuant davantage de calculs pour moins de dépenses énergétiques en maintenant un très grand nombre de transactions par jour. Dans ces conditions, le système Bitcoin est-il plus viable aujourd'hui qu'il ne l'était il y a deux ans ? Pas nécessairement.

D'une part, les mineurs ne possèdent pas tous des ordinateurs très performants. Dans un post critiquant mes estimations de 2015, l'ingénieur Marc Bevand propose un chiffre global de .15 J/GH, ce qui ajouterait immédiatement 50% à la consommation d'électricité consommée – ce qui nous donne l'équivalent de la consommation électrique d'1,34 ménage par jour. Cependant, personne ne connaît l'efficacité réelle du réseau, et .15J/GH est peut-être une valeur périmée. Restons-en donc à l'hypothèse d'un hardware plutôt performant, et gardons la valeur de 0,098 J/GH.

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Plus important, la plupart des experts du Bitcoin vous diront que la consommation totale d'électricité liée au minage n'est que peu influencée par l'efficacité des mineurs. Ittay Eyal, chercheur en informatique à l'Université de Cornell et directeur adjoint de the Initiative for Cryptocurrencies and Contracts, m'explique que « la consommation d'énergie du réseau Bitcoin est une fonction du taux de change de la monnaie et du bloc récompense. » En d'autres termes, si la valeur du bitcoin monte suffisamment, les mineurs investiront toujours dans du matériel informatique haut de gamme pour s'accaparer les récompenses.

Voyons maintenant le Bitcoin Electricity Consumption Index (BECI), un outil de modélisation en temps réel conçu par Alex de Vries de Digiconomist. Le BECI rassemble les valeurs quotidiennes sur le réseau Bitcoin et utilise un ensemble d'hypothèses pour estimer la quantité – économiquement viable – d'électricité que le réseau Bitcoin pourrait consommer tout en couvrant la facture d'électricité des mineurs.

La collecte de données utilisées pour l'index de Digiconomist est automatisée, et les chiffres de production sont recalculés tous les jours. Tandis que la valeur du bitcoin monte et descend, la consommation d'énergie estimée du réseau varie, elle aussi.

J'ai demandé à de Vries en quoi ses estimations étaient différentes, et selon lui, meilleures que les miennes. Il m'a répondu que mon modèle était utile pour calculer la limite inférieure de la consommation électrique du réseau Bitcoin, mais qu'il ne prenait pas assez en compte les incitations économiques qui peuvent pousser les mineurs à atteindre le point de rupture, c'est-à-dire quand la valeur du bitcoin est égale au coût marginal de production d'un bitcoin supplémentaire. Ce commentaire confirme un article de Hayes de 2015, « A cost of production model for bitcoin. » Son modèle n'est pas toujours capable de prédire la consommation actuelle d'énergie, mais à long terme, il devrait pouvoir proposer une moyenne proche de la réalité.

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« Dans la pire situation (c'est-à-dire dans une situation où la valeur du bitcoin est extrêmement élevée), mon index permet de prédire la consommation énergétique du réseau deux mois à l'avance » après la livraison de machines supplémentaires, ou le retour de machines en service.

De Vries note que mes chiffres de la consommation d'énergie étaient déraisonnablement optimistes parce qu'ils ne prenaient pas en compte le fait que certains ordinateurs mineurs vieillissant pouvaient toujours être rentables aujourd'hui.

« Les gens ont acheté des machines comme le Antminer S5+ (à 0,44 W/GH/ s qui sont encore rentables à 6 cents par KW/h) – il faut donc les prendre en compte pour décrire l'état de transition perpétuelle du réseau, explique-t-il. « Dans ce cadre, la stratégie économique des mineurs fait tout à fait sens. »

Depuis qu'il a publié son modèle, De Vries a ajusté ses paramètres pour matérialiser des hypothèses plus optimistes. Ses chiffres, dit-il, prennent désormais en compte les barrières à l'entrée du secteur minier, le capital des mineurs, l'instabilité du réseau électrique, etc. Malgré tout, le coût moyen de l'électricité d'une transaction unique se situe actuellement à 94 kWh, plus de trois fois mon hypothèse optimiste de base, qui était de 26 kWh.

Les critiques pourraient probablement trouver à redire en analysant l'indice de De Vries, mais parce qu'il repose sur des extrapolations, il ne peut en aucun cas être parfait. Au contraire, il nous donne une estimation approximative de la consommation d'énergie du réseau Bitcoin à partir de théories économiques de base.

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Même si 100 % du minage de bitcoins était soutenu par l'énergie éolienne et l'énergie solaire, le fait est que cette activité supplante d'autres usages de l'électricité plus économes en énergie. Avec une quantité d'énergie moindre, un centre de données Visa peut alimenter des milliers de fois plus de transactions par seconde que le réseau Bitcoin. Dans ces conditions, les transactions bitcoin peuvent-elles vraiment soutenir des activités économiques plusieurs milliers de fois plus ambitieuses ? J'en doute fort, même si Visa n'est pas vraiment mon meilleur pote.

Les critiques pourraient arguer qu'un certain nombre de transactions bitcoin facilitent les activités improductives, voire illégales. Les dealers d'armes du dark web, les instigateurs de ransomware, et les services prélèvant des frais sur les transactions pourraient profiter de ce système, par exemple.

Il y a de l'espoir, néanmoins. Il est important de garder à l'esprit que, si les transactions Bitcoin sont garanties par le système de minage, le montant total des opérations de minage n'est pas lié au nombre de transactions possibles. Ainsi, des projets comme Teechan se sont montrés extrêmement prometteurs pour augmenter le nombre de transactions par seconde de manière drastique, de même que les « canaux de paiement » comme le Lightning Network. Cela permet d'effectuer des transactions plus efficaces sans nul besoin d'électricité supplémentaire, ce qui est plutôt pas mal. Dans les deux cas, cependant, il faut renoncer en partie à la transparence qui est au cœur du système Bitcoin.

Nous ne savons pas si la majorité des utilisateurs sont prêts à effectuer ces améliorations. L'absence totale de centralisation dans la gouvernance et le contrôle du Bitcoin est une caractéristique fondamentale du système, mais elle peut également être considérée comme un défaut. Depuis ses débuts, des conflits idéologiques majeurs et autres divergences d'opinion ont divisé la base utilisateur en différents groupes possédant des intérêts divergents.

Autre point positif : le bloc récompense est en déclin perpétuel. Grâce au code du système Bitcoin, les mineurs finissent par gagner davantage grâce aux transactions que par la création de nouveaux bitcoins (l'offre est plafonnée à 21M BTC). On peut douter qu'un marché où seraient instituées des frais élevées sur les transactions compense le coût énergétique énorme desdites transactions tel que nous l'observons aujourd'hui.

En termes absolus, la consommation électrique du réseau Bitcoin est encore relativement faible : l'indice De Vries l'estime à 0,05% de la consommation mondiale d'énergie au 1er Mars, c'est-à-dire autant que la consommation d'énergie du Paraguay.

Cependant, le coût énergétique de chaque transaction est toujours incroyablement élevé selon les normes énergétiques modernes. Dans un futur où l'empreinte carbone des activités humaine est dramatique pour le climat de la planète, les conséquences environnementales de l'utilisation de monnaies virtuelles devront être prises en compte par les utilisateurs de Bitcoin, les programmeurs, et les défenseurs de la blockchain en général.