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Unboxing : mais pourquoi des gens regardent d’autres gens ouvrir des colis sur YouTube ?

Après avoir acheté et reçu des produits, des internautes déballent leur achats sur Youtube. Un phénomène particulièrement étrange, appelé le « unboxing », qui s'éclaire grâce à la pensée du philosophe Jean Baudrillard.

Peu de philosophes ont eu autant d’influence sur la pop culture et sur l’explication du monde postmoderne que Jean Baudrillard. Son analyse des médias, de la technologie et de la culture contemporaine a eu des décennies d’avance et sa plus grande œuvre, Simulacres et Simulation a inspiré Matrix, Synecdoche, New York de Charlie Kaufman ainsi que bon nombre de films d’Adam Curtis. Mais Baudrillard est mort en 2007, sans pouvoir assister au phénomène de détresse postmoderne créditant sa théorie plus que n’importe quel autre : les vidéos de unboxing.

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Les vidéos de unboxing parlent d’elles-mêmes : quelqu’un achète un produit et se filme en train de l’ouvrir avant de mettre en ligne sa vidéo sur YouTube, là où d’autres personnes perdront leur temps à regarder et commenter ce rituel bizarre. À l’inverse des haul videos,les vidéos de unboxing mettent rarement en scène une star de YouTube. Elles se contentent de montrer une paire de mains désincarnée, un narrateur sans visage caressant un produit empaqueté.

Ce qui est curieux, c’est que ces vidéos ne sont en rien des démonstrations de fétichisme du luxe. Bien qu’elles soient nombreuses à dévoiler le dernier iPhone ou des sneakers introuvables, l’une des plus fortes tendances tourne autour de jouets pour enfants bon marché. Pour DisneyCollectorBR par exemple, un Brésilien d’une vingtaine d’années, ces vidéos ne sont justes des démonstrations de consumérisme compulsif : elles représentent une aventure commerciale savamment orchestrée. Dans l’économie actuelle du net, les plus jeunes sont des cibles de premier choix, capables de regarder la même vidéo plusieurs fois d’affilée, permettant un fort retour sur peu d’investissement. Si ce type de contenu sert un but sans équivoque, ce n’est pourtant pas le cas de la majorité de ces vidéos, dont beaucoup sont mises en ligne par des internautes anonymes recueillant bien trop peu de vues pour en tirer un quelconque bénéfice. Mais quelles sont donc les motivations de ces grands férus de déballage ?

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Baudrillard défend l’idée que les sociétés postmodernes sont incapables de vivre dans la réalité tant notre perception est distendue par les médias et la technologie : nous sommes devenus incapables de séparer le réel de l’imaginaire. Au lieu de ça, nous dérivons dans un état d’hyper-réalité, où les faits et les illusions se mélangent pour ne faire plus qu’un. Un peu comme Matrix mais en beaucoup plus banal, parce que vous ne pouvez pas vous arracher à la réalité fallacieuse en taxant des pastilles colorées à Laurence Fishburne – votre matrice personnelle relève de vos souvenirs et de votre expérience vécue. La réalité est inextricable et plus on essaie d’y échapper, plus on augmente ses chances de se transformer en meme de Keanu le conspirationniste.

Prenons les réseaux sociaux : vous êtes seul chez vous un samedi soir, scrollant votre fil Instagram pour voir des gens de votre âge en club, probablement en train de passer le meilleur moment de leur vie. Des sentiments contradictoires se bousculent alors en vous. Sont-ils vraiment en train de s’éclater ou de s’ennuyer à mourir dans un club à moitié vide qui a l’air bien plus excitant sur l’écran d’un smartphone qu’il ne l’est en réalité ? Aucun moyen d’en être sûr, mais vous êtes au bout du rouleau. Voilà un exemple d’hyper-réalité vue à travers le simulacre d’une story Instagram.

Vous êtes vous déjà senti abattu après avoir acheté quelque chose dont vous rêviez pourtant depuis longtemps ? Engourdi lorsque la satisfaction d’avoir acheté cet objet ne s’est pas montrée à la hauteur du désir que vous éprouviez en le désirant ? L’explication tient en une phrase : nous achetons le simulacre plutôt que l’objet – le sportswear est donc censé faire de nous des athlètes, la montre nous donner l’allure de James Bond. Et promouvoir la fuite aspirationnelle, un produit qui n’existe pas vraiment. S’il avait assisté à la prolifération des vidéos de unboxing , Baudrillard les aurait sans doute perçues comme une tentative névrosée de recréer l’illusion hyper-réelle de la publicité.

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Plutôt que questionner la nature de la consommation, ces unboxers créent un nouveau simulacre du produit : la vidéo de unboxing. Vu à travers le prisme de YouTube, le produit devient une hyper-réalité fantastique semblable à la publicité – plein de potentiel, l’objet magique génère des vues, des likes et des commentaires qui valident son existence. Il y a clairement un procédé d’identification en jeu ici, ces vloggers essayant de forcer leur réalité à s’accorder avec l’hyper-réalité de la publicité.

Le contenu de la boîte est finalement secondaire : il passe après l’excitation que procurent l’achat et le déballage. Pour plébisciter cette tendance, l’entreprise Zavvi propose un service de souscription mensuel permettant de recevoir des boîtes remplies d’objets populaires auprès des vloggers unboxing. L’illusion vole en éclats : le produit est devenu réel.

Filmer ce grand déballage permet aussi de garder le produit suspendu dans l’hyper-réalité. En effet, en passant d’un simulacre (l’image marketing) à un autre (la vidéo unboxing), il n’atteint jamais le statut d’objet inanimé banal à finalité matérielle. Cela maintient l’illusion consumériste et permet aux unboxers d’éluder une grande question existentielle : si dépenser ne permet pas de satisfaire notre soif de sens, alors, qu’est-ce qui est en mesure de le faire ?

Pour plus de Vice, c’est par ici.