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Culture

« The Florida Project » nous parle d’enfance, d’aventure et de précarité

Le réalisateur Sean Baker explore les dessous du rêve américain à travers le monde merveilleux des enfants de la banlieue de Disney world.
Hannah Ewens
London, GB

Trois enfants sont assis dans l’herbe et regardent le feu d’artifice du Walt Disney World Resort. « Fais un vœu », dit Halley à Jansey, la meilleure amie de sa fille, au moment où elle souffle la bougie de son cupcake. Mais quand la caméra dézoome, on s’aperçoit qu’ils sont en fait très loin du complexe de loisirs.

Avec The Florida Project, le réalisateur Sean Baker met en avant les dessous du rêve américain. Il nous livre le portrait d’une population précarisée habitant les motels d’Orlando, à travers l’histoire d’une mère célibataire, Halley, et de sa fille de 6 ans, Moonee. Il dépeint la pauvreté avec une toile de fond surprenante : l’univers de Disney – autoproclamé paradis sur Terre – et le flux continu d’hommes bronzés, mocassins aux pieds, et de femmes à la peau hâlée, visière sur la tête, qui accompagnent leurs enfants dans le temple de Mickey Mouse – un contraste frappant avec le quotidien des enfants du motel.

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Moonee jure et négocie comme une adulte, son langage est un mélange entre le vocabulaire pioché dans les chansons hip-hop qu’elle écoute à la radio et celui de sa mère, une jeune femme grossière aux cheveux bleus. Dans l’une des scènes, Halley lave les cheveux de sa fille ; dans une autre, c’est Moonee qui lave les cheveux bleus de sa poupée. La métaphore est claire : on ne sait pas qui prend le plus soin de l’autre. Heureusement que le gentil gérant du motel, Bobby – interprété par Willem Dafoe –, est là pour s’occuper d’elles.

The Florida Project pourrait être implacablement sérieux si ce n’était l’humour des enfants – élément central du film. Tels des petits rois et reines de leur royaume, la caméra ne les prends jamais de haut, souvent en contre-plongée, les laissant dominer le cadre.

Nous avons rencontré Sean Baker, le réalisateur et coscénariste de ce qui est sans aucun doute le film le plus touchant de l’année, quelques heures avant son avant-première au festival du film de Londres.

VICE : Bonjour, Sean. Ce film est inspiré de faits réels. Quelle a été votre approche ?
Sean Baker : C’était une approche très journalistique – nous avons reçu une subvention pour interviewer les gens vivant dans ces motels, les petits propriétaires, ainsi que les organismes fournissant des aides sociales aux personnes dans le besoin. Certains motels étaient vraiment trop crasseux – je veux dire par là qu’il y avait beaucoup de gangs et d’activités criminelles – donc nous avons mené une enquête tout en sachant que nous ne pourrions probablement pas tourner là-bas. Nous avons tout de même essayé. Ces communautés ont assez mal réagi, étant donné qu’elles ont souvent été épinglées par les médias. Ce n’est qu’en nous plongeant dans leur quotidien que nous avons compris à quel point les plus pauvres avaient été affectés par la récession. Et je ne parle pas seulement des résidents, mais aussi des propriétaires de petits commerces qui luttaient pour rester ouverts, comme nous le montrons dans le film. Ils faisaient au mieux pour rafraîchir leur motel, qui était miteux et infesté de punaises de lit.

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Les personnages sont-ils inspirés des personnes que vous avez rencontrées ?
Bien sûr. Un gérant de motel en particulier nous a vraiment laissés entrer dans son monde et nous a inspirés pour le rôle de Bobby, alors même que ce personnage n’était pas du tout prévu à la base. Il faisait preuve de beaucoup de compassion envers ses clients, tout en gardant ses distances et en restant professionnel, puisqu’il savait qu’à tout moment, il pourrait être contraint d’expulser ces familles. Au moment où nous l’avons rencontré, il travaillait dans le motel qui faisait face au Château Magique – il a fermé ses portes depuis. Il a été racheté par des promoteurs immobiliers qui l’ont transformé en motel exclusivement touristique. 125 familles ont été évacuées, dont certaines se sont retrouvées à la rue.

On se demande vraiment ce que Moonee et Halley auraient fait sans cette figure paternelle. Le caractère de Bobby est-il également inspiré de ce propriétaire que vous avez rencontré ?
Absolument. Il m’a raconté qu’il avait offert un vélo à un gamin car il était le seul à ne pas en avoir un. Il n’hésitait pas à transgresser quelque peu les règles pour eux. La scène traitant de la pédophilie est inspirée de notre première rencontre avec lui. La première fois que nous avons visité le motel, nous sommes passés par le terrain de jeux et avons parlé à des enfants âgés de 6 à 12 ans. Quelques secondes plus tard, il était là, une perceuse à la main, et nous a demandé : « Je peux vous aider ? ». Il avait dû nous repérer grâce à son système de sécurité. Il nous a ensuite emmenés dans son bureau pour nous faire passer un interrogatoire, jusqu’à être convaincu de notre honnêteté.

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Comment avez-vous trouvé l’enfant qui interprète Moonee ?
Grâce à un casting local. Nous voulions que tous les enfants soient originaires de la région, pour qu’ils aient l’accent, mais aussi pour qu’ils puissent rentrer chez eux tous les soirs. Je ne voulais pas d’enfants issus d’Hollywood. En seulement quelques secondes, Brooklyn [Prince, qui joue Moonee] nous a convaincus. Elle avait l’esprit, l’énergie et le côté mignon que nous recherchions. Elle avait déjà joué dans un film indépendant et quelques publicités. Surtout, elle comprend le métier d’acteur – sa performance n’a pas été modifiée ou manipulée. Elle était capable de pleurer simplement en se mettant à la place du personnage. Nous n’avons pas eu besoin de lui demander de penser à des choses tristes qui lui étaient arrivées. Elle n’arrêtait pas de parler du fait qu’elle avait envie d’emmener les vrais enfants du motel à Disneyland. Elle vient de Winter Park, une banlieue de classe moyenne en périphérie d’Orlando, son histoire est donc diamétralement différente. Mais malgré son jeune âge, elle est assez mature pour comprendre la chance qu’elle a. C’est une petite surdouée. Elle est aussi très émotive, à tel point que nous ne l’avons pas laissée regarder le film.

Elle a le don de dire des choses hilarantes sans avoir l’air de s’en rendre compte.
Tout à fait. Dans la scène où elle fait tomber de la glace sur le sol, par exemple, les deux personnages récitaient leur script mot pour mot. Puis Willem lui dit « Merci beaucoup » et elle commence à improviser et lui lance « Pas de rien ! ». Quand elle mange à la fin du film, c’est pareil, je suis derrière la caméra, je lui dicte de nouvelles lignes, et elle les improvise.

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« Selon certaines critiques, ce genre de quotidien ne devrait pas être adapté à l’écran. J'estime pourtant que mes films viennent combler un manque. Le cinéma américain ne donne pas assez de visibilité à ces histoires. Et toutes les histoires ne sont-elles pas intéressantes à raconter, finalement ? »

J’imagine que certaines personnes, qui nont pas conscience du travail de recherche que vous avez effectué en amont, pensent que cest un mauvais film sur la pauvreté.
Bien sûr, surtout de nos jours. Je leur réponds que je sais à quoi ressemble un mauvais film sur la pauvreté. Dans ce genre de film, la mère célibataire qui galère est incarnée par une jeune star hollywoodienne bien coiffée et bien gaulée. Souvent, les réalisateurs ont le sentiment de devoir sacraliser la pauvreté du personnage, ce que je trouve grossier et condescendant. Ils les présentent comme des « anges » ou des « saints ». Selon certaines critiques, ce genre de quotidien ne devrait pas être adapté à l’écran. J'estime pourtant que mes films viennent combler un manque. Le cinéma américain ne donne pas assez de visibilité à ces histoires. Et toutes les histoires ne sont-elles pas intéressantes à raconter, finalement ?

Et je pense qu’après avoir vu le film, les gens auront forcément envie d’en apprendre plus sur le sujet.
Exactement. J’espère que mon film sensibilisera le public sur la question de la précarité. Ces résidents paient un loyer presque équivalent au nôtre, finalement. Je paie 1 200 dollars par mois pour un appartement à West Hollywood et eux paient 1 000 dollars pour un deux-pièces dans un motel miteux. C’est une arnaque. Ils ne peuvent pas louer d’appartement pour une pléthore de raisons : soit ils n’ont pas de garants, soit ils n’ont pas les moyens de payer le premier mois de loyer en avance. Ils sont dans l’impasse. Il leur faut un toit sur leur tête et la seule solution est donc de payer 38 dollars la nuit – le prix le plus bas que l’on peut trouver sur le marché – dans un motel délabré. Imaginez devoir débourser 1 000 dollars par mois alors que vous touchez le SMIC et/ou que vous êtes une famille monoparentale. C’est presque impossible.

Je n’arrive pas me souvenir de la dernière fois que j’ai trouvé un film aussi touchant. Pour tout vous dire, j’ai sangloté durant les dix dernières minutes du film. Est-ce la réaction que vous espériez ?
Tout le monde a pleuré à la fin du film et je trouve ça fantastique – les films qui m’ont fait pleurer sont mes films préférés. Les Idiots de Lars Von Trier en fait partie, par exemple. Je ne pleure pourtant jamais sur mon propre plateau, mais quand Brooklyn nous a livré cette performance finale, je n’ai pas pu retenir mes larmes non plus.

Hannah est sur Twitter.