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Douce France

« En France, on me définit d’abord par mon handicap »

Son fauteuil roulant lui a interdit le droit d’étudier à l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) de Paris. Pour Vice, Tom Rousset, 22 ans, dénonce la violence sociale subie par les handicapés.
Illustration : Lucile Lissandre

Je m’appelle Tom Rousset, j’ai 22 ans et je suis handicapé de naissance. Je suis né prématuré, à 7 mois, ce qui a entraîné des problèmes de connexion entre le cerveau et certains muscles. À vrai dire, je n’ai jamais cherché à en savoir plus sur les causes de mon handicap. Mais ce que je sais, pour le vivre tous les jours, c’est que je me déplace en fauteuil dès que je sors de la maison - chez moi, je suis en béquilles.

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Depuis toujours, j’ai une vocation, nourrie par la voix de George Eddy, qui m’a bercé pendant des années : devenir journaliste sportif. Ce sont des commentateurs comme lui qui m’ont permis de comprendre toute la beauté de ce métier dans lequel on transmet non seulement ce qui se passe sur le terrain, mais aussi une passion et un savoir. J’ai donc postulé à l’ESJ Paris parce qu’ils proposent un cursus spécialisé en journalisme sportif. J’ai été sélectionné pour un entretien téléphonique mais, quelques jours plus tard, la sanction est tombée : mon handicap me fermait la porte de l’ESJ Paris. Le message était très clair. Il disait vraiment : « votre dossier est bien, mais nous ne sommes pas équipés pour accueillir des personnes en fauteuil roulant ». J’ai pris leur réponse en pleine tête. C’était hyper violent. Je suis passé par tous les sentiments : la colère, la tristesse, l’abattement… Émotionnellement, j’étais vidé. Dans le fond de mon cœur, j’avais toujours espéré que mon handicap n’interférerait dans ma carrière. Là, on me faisait comprendre que je m’étais bercé d’illusions.

« Cela n’a gêné personne d’affirmer haut et fort que j’étais pas le bienvenu à l’ESJ non à cause de mon dossier, mais en raison de mon fauteuil »

Au-delà de mon cas personnel, cette histoire est marquante parce qu’elle révèle les deux grandes souffrances subies par les handicapés de France. D’abord, le sempiternel problème de l’accès des bâtiments quand on est en fauteuil. C’est scandaleux qu’on en soit encore là parce que depuis 2005 (depuis 13 ans !), la loi oblige les établissements qui accueillent du public à se rendre accessibles à tous les citoyens. Mais bon, ça encore, j’y suis habitué : c’est tellement fréquent que les bâtiments ne soient pas équipés de rampe… Ce qui m’a le plus choqué, en réalité, c’est que ça a été verbalisé sans complexe par l’école. Ça n’a apparemment gêné personne d’affirmer haut et fort que je n’étais pas le bienvenu à l’ESJ non à cause de mon dossier, mais en raison de mon fauteuil. Ça m’a blessé parce que c’était la première fois de ma vie qu’on me réduisait aussi brutalement à mon handicap.

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Cette violence sociale à l’égard des handicapés est très spécifique à la France. Je le mesure depuis que je suis parti étudier à l’étranger : je suis actuellement en troisième année de licence d’Anglais à Austin, Texas, aux États-Unis. Il y a des rampes partout sur le campus ! Pareil dans les bus : le chauffeur fait descendre une rampe à chaque arrêt (sans que j’aie besoin de le demander) et les sièges rétractables sont conçus pour caler les fauteuils roulants. Alors qu’à Paris, dans le métro, c’est la galère ! Lors de mon dernier passage, mon ami a dû porter le fauteuil pendant que moi, je m’accrochais à la rampe pour descendre les escaliers. C’était humiliant et tout simplement dangereux.

« En France, on me fixe sans complexe. Aux Etats-Unis, mon handicap interpelle mais on ne me le fait pas sentir aussi violemment »

Mais ce sont surtout les mentalités qui sont différentes. En France, les enfants me fixent sans complexe. Ici, aux États-Unis, ça n’arrive jamais. Bien sûr, mon handicap les interpelle les gamins, c’est normal, mais ils ne me l’ont pas fait sentir aussi violemment. Disons qu’ici, le handicap donne davantage lieu à des encouragements qu’à des questions. Alors qu’en France, la première chose qu’on me disait au lycée quand je rencontrais de nouvelles personnes c’est : « Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? ». La question peut paraître innocente, mais elle est révélatrice : on me définit d’abord par mon handicap, et pas par le reste. En recevant cette réponse de l’école de journalisme, j’ai là encore été ramené à mon handicap. C’est ça qui a été le plus douloureux, au fond.

Je suis heureux, bien sûr, que mon histoire puisse servir à alerter l’opinion publique le manque d’accessibilité des bâtiments publics aux handicapés. Mais je ne voudrais pas demeurer « le gars connu pour son coup de gueule sur le handicap ». Encore une fois, cela reviendrait à me réduire à ça. Depuis le refus de l’ESJ, d’autres écoles m’ont contacté. Je compte passer les concours. Alors, dans deux ou trois ans, j’aimerais être célèbre pour autre chose… mon travail de journaliste, par exemple !

Propos recueillis par Barthelemy Gaillard