Une brève mais instructive histoire de l’infiltration du fascisme dans le punk et le métal
Lia Kantrowitz

FYI.

This story is over 5 years old.

Musique

Une brève mais instructive histoire de l’infiltration du fascisme dans le punk et le métal

Les fascistes essaient de convertir les punks et les métalleux à leur idéologie depuis les années 70.

À l'éclosion du métal et du punk dans les années 70, ils portaient les revendications d'une classe ouvrière trahie par le gouvernement travailliste britannique. En parallèle, exploitant le déclin économique, un parti politique fasciste appelé le National Front a émergé, mais ses membres se sont heurtés à une violente opposition de la gauche. Des membres du parti se sont donc tournés vers une approche « métapolitique » : s'infiltrer dans des mouvements culturels, comme le punk et le métal, pour les changer en terreau du fascisme. Cette approche glanée dans un groupe d'idéologues fascistes appelés la Nouvelle Droite serait quelques décennies plus tard reprises par l'alt-right.

Publicité

S'inspirant d'un réseau de cellules terroristes « nationales révolutionnaires » elles-mêmes inspirées du fasciste et ésotériste Julius Evola, ce groupe a fondé l'Official National Front et a officiellement commencé à recruter des skinheads pour en faire des « soldats politiques ». Leur penseur principal à cet égard, Ian Stuart Donaldson, était le chanteur d'un groupe nommé Skrewdriver, qui a émergé en 1976 dans la vague de la oi!, un sous-genre du punk.

Quand la gauche a organisé le concert annuel Rock Against Racism afin de créer un mouvement opposé au fascisme, Donaldson a répliqué avec son propre concert intitulé Rock Against Communism, mais aussi plus tard un réseau de distribution de musique appelé Blood & Honour. Les deux existent toujours.

Avant-garde national-bolchevik en puissance

Au début des années 80, deux musiciens se revendiquant de gauche qui avait joué à Rock Against Racism se sont exilés en Allemagne, désillusionnés de la gauche britannique, et ont adhéré à une troisième position (ni le capitalisme ni le communisme, mais le national-socialisme). C'était une sorte d'avant-garde fasciste qui attirait ceux qui se préféraient se tenir à distance des exubérants skinheads.

Puisant des idées à gauche et à droite, adoptant des caractéristiques de l'occultisme d'Evola, mais extérieures à son idéologie, leur nouveau groupe, Death in June, avait un son pesant et monotone souvent accompagné de paroles lugubres à propos des ruines de la civilisation et du désir d'un renouveau, un phœnix qui renaîtrait des cendres. Death in June et ses sympathisants ont créé un réseau de groupes autour d'un genre musical, le néofolk, vaguement associé au National Front ainsi qu'à des groupes fascistes comme Islands of the North Atlantic (IONA) et Transeuropa.

Publicité

Pendant que le réseau de promotion de musique Blood & Honour contribuait à propager l'idéologie du National Front et du nazisme dans les concerts et partys de skinheads autour du monde, des groupes de néofolk, ainsi que des artistes expérimentaux comme Boyd Rice et Michael Moynihan, exploitaient de plus en plus les possibilités de la métapolitique, en s'infiltrant dans le satanisme, le paganisme et le fascisme. Des musiciens dévoués veillaient à ce que les fascistes ne s'approprient complètement aucune scène musicale, exception faite du haterock, mais la lutte était difficile et souvent violente.

À San Francisco, les skinheads fascistes et l'avant-garde ont convergé avec l'American Front, qui a noué des liens à des ensembles politiques plus vastes du Canada, de l'Angleterre, de la France, de la Belgique, de l'Espagne et de l'Australie, pour former un nouveau réseau qui a pris le nom de Front européen de libération. Beaucoup de ces groupes soutenaient des idées nationales-bolcheviks, notamment que le monde devait s'organiser en ethno-États dans une version fédérée ultranationaliste de l'URSS. C'était l'émergence d'une association fasciste internationale qui serait plus tard influencée par le Russe Alexandre Douguine et sa philosophie de l'eurasisme. On retrouve aujourd'hui les deux dans l'alt-right.

Des organisateurs du Front de libération européen comme Troy Southgate, anciennement de l'Official National Front, ont cherché à exploiter l'idéologie anarchiste des sous-cultures punk et métal, ainsi que des groupes rebelles autonomes. En nommant leur amalgame idéologique « national-anarchisme », ces fascistes ont mis en œuvre une stratégie trotskiste : l'entrisme, qui consiste à s'infiltrer dans des groupes et soit les pousser à bifurquer vers une idéologie, soit les détruire. Avec cette approche reprise aujourd'hui par l'alt-right, les fascistes ont emprunté des idées gauchistes pour s'introduire discrètement dans des groupes de gauche et ensuite éroder les tendances égalitaires et anarchistes au sein des sous-cultures qui ne sont restées que superficiellement anarchistes.

Publicité

Le black métal national-socialiste

Par l'entremise d'étiquettes de disque comme Resistance Records, Elegy Records et Unholy Records, des distributeurs comme Rouge et Noir et des magazines comme Requiem Gothique et Napalm Rock, les fascistes sont parvenus à intégrer des idées anarchistes et nihilistes dans le haterock et le néofolk pour ensuite transmettre leur idéologie aux contre-cultures subversives, mais politiquement ambivalentes. Parmi les thèmes importants, il y avait l'occultisme spirituel et le nihilisme (tout doit être détruit pour qu'une véritable vie nationaliste puisse naître), ainsi que des rapprochements entre l'écologie locale et l'essence et l'esprit de la nation, souvent avec des airs tirant sur le folk ou la musique tribale.

Les fascistes chérissaient aussi la mythologie de la race aryenne et un retour à un paganisme naturellement plus proche du peuple européen, une tendance devenue manifeste quand ils ont pris fait et cause pour le black métal scandinave. Créé en réaction aux glam métal clinquant et aux groupes de death métal confus des années 80, le black métal scandinave, à ses débuts, visait la brutalité et propageait une théorie basée sur le sang, la violence et les sacrifices rituels.

Avec le black métal qui se répandait et de plus en plus de groupes de musique qui se joignaient Blood & Honour, la question du nationalisme blanc s'est faite de plus en plus présente. Après que le leader de Burzum, Varg Vikernes, a tué un membre d'un groupe rival, Michael Moynihan a coécrit un livre sur le black métal et le satanisme, Lords of Chaos, qui est devenu la référence sur la scène du black métal. C'est ainsi que Michael Moynihan, un « anarcho-fascisme païen » selon l'éminent spécialiste des religions comparées Matthias Gardell, a fait connaître le black métal à de nombreux jeunes, qui ont par la suite fait croître les rangs d'un réseau international de groupes et de fans de black métal national-socialiste (NSBM).

Publicité

Un événement de mauvais augure à Portland

Les conséquences d'une fusion d'idées anarchistes et fascistes peuvent être graves. En mai 2010, au cours d'une confrontation entre des antifascistes et des militants d'une violente organisation fasciste, Volksfront, un fasciste a tiré sur un antifasciste, Luke V. Querner, qui a survécu, mais est devenu paraplégique. Après cet incident, Rose City Antifa a publié un texte à propos de deux groupes de musique associés au NSBM, Immortal Pride et Fanisk, qu'ils ont mis en garde : « les sous-cultures sont aussi contestées sur le plan idéologique, une réalité dont on ne se préoccupe pas à ses propres risques ».

Immortal Pride, un groupe lié à Volksfront, se serait alors fièrement déclaré fasciste, tandis que Fanisk aurait soutenu que son art transcendant a été mal compris par de vulgaires chasseurs de sorcières antifascistes. Le groupe a tenté d'éluder les accusations de la même manière que les fascistes essaient de faire passer leurs idées pour des positions consensuelles : parler de « droit à la différence » plutôt que d'ethno-États ségrégationnistes ou « être en faveur du pouvoir blanc, mais aussi, simultanément, du pouvoir jaune, du pouvoir noir et du pouvoir rouge ».

Au cours de cette polémique, un fan d'Immortal Pride nommé Tom Christensen a discrètement annoncé sur Stormfront, un forum suprémaciste blanc et néonazi, qu'il avait infiltré les scènes métal et punk et obtenu des renseignements sur les antifascistes :

Publicité

« J'étais un grand fan de punk et il y avait des antis qui fréquentaient aussi cette scène musicale. J'étais ami avec quelques-uns d'entre eux. J'ai gardé mes opinions pour moi. […] Ç'a été très utile de connaître quelques-uns d'entre eux. Maintenant, je sais qui sont tous les acteurs principaux des antis et des skinheads contre les préjugés raciaux. »

Toujours sur le forum, il a plus tard demandé s'il devait ou non dévoiler l'identité des antifascistes. Rose City Antifa l'a repéré puis dénoncé dans un texte publié en mai 2013, mais seulement après une série d'accusations contre des anarchistes antifascistes qui, selon certains, n'ont été possibles que parce que Tom Christensen avait fourni des renseignements à la police. D'autres ont laissé entendre que ce pourrait même être lui qui avait tiré sur Luke V. Querner, ce qui lui aurait valu le surnom de Trigger Tom. Le 8 août dernier, il a été arrêté pour avoir poignardé une personne à un concert de Rancid et Dropkick Murphys à Chicago. L'infiltration de Christensen dans des sous-cultures radicales a créé de profondes vulnérabilités chez les antifascistes.

La fin de l'entrisme

Encore aujourd'hui, les fascistes restent hors d'atteinte en passant d'une sous-culture politiquement ambivalente à l'autre. Paul Waggener, le leader de Wolves of Vinland, un groupe fasciste néopaïen qui comprend plusieurs sections aux États-Unis, tente de propager sa vision ethnoséparatiste avec des projets black métal et néofolk. Le chef de la section de Portland de Wolves of Vinland, Jack Donovan, se dit « anarchofasciste » et a pris la parole à des conférences de l'alt-right.

Le leader du groupe nazi Northwest Front, Harold Covington, qui a fait partie d'un groupe qui a massacré des Noires lors d'une manifestation à Greensboro en 1979, le « massacre de Greensboro » (Covington n'y a cependant pas participé) et a plus tard mis sur pied Combat 18, un groupe de skinheads fascistes britanniques liés à Blood & Honour, est aussi partisan de l'entrisme. Il tente actuellement de s'introduire dans le mouvement pour l'indépendance de la Cascadie (formé par l'union de la province canadienne de la Colombie-Britannique et des États américains de Washington et d'Oregon) et de l'orienter vers le fascisme.

Publicité

Le métal, le punk et d'autres sous-cultures continuent de donner un sentiment d'appartenance à ceux qui y entrent et qui en ont besoin. Mais, souvent, devant les critiques extérieures, ils se referment sur eux-mêmes et adoptent une attitude défensive. Cet isolement est une vulnérabilité que peuvent exploiter les persistants fascistes qui ont adopté l'entrisme.

Par contre, au fur et à mesure que ceux qui font partie de ces sous-cultures se rendent compte des dangers que pose le fascisme rampant, une opposition émerge. Dans les dernières années, des manifestations ont eu lieu à l'extérieur des salles où devaient se produire des groupes de métal et de néofolk associés au fascisme. Contre Death in June dans plusieurs villes américaines de Portland au sud de la Floride; contre Graveland à Montréal; contre Satanic Warmaster à Glasgow; contre Blood and Sun dans le Midwest; contre Marduk à Oakland et à Austin. En parallèle, des groupes de black métal antifascistes comme Ancst et Dawn Ray'd gagnent en notoriété entre autres pour leur rejet du sexisme et du racisme.

Même si la prise de position politique des musiciens ne fait pas l'unanimité, la scène métal prend de plus en plus conscience de son rôle, soit de choisir entre souffler sur les braises d'un fascisme renaissant ou aider à l'étouffer.

Suivez Alexander Reid Ross sur Twitter.