Centre d'hébergement géré association Aurore
CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Société

Après la maternité, le 115 ou la rue

En 2017, près de deux milles mères n’avaient nulle part où loger avec leur nouveau-né. Depuis juin, 50 femmes sortant de maternité sans hébergement ni ressource ont trouvé refuge au centre « La Rochefoucauld ». Nous avons rencontré plusieurs d'entre elles

Dans les bras de sa mère, Hawa*, deux mois et déjà une touffe abondante de cheveux frisés, dévore son biberon de lait. Totalement insouciante alors qu’elle vient d’éviter de justesse de se retrouver à la rue. Sa maman Véronique se voyait déjà essayant de survivre au froid automnal avec sa fille âgée de quelques semaines. Jusqu’à ce message du 115 après dix jours d’hospitalisation, l’informant qu’une place leur est réservée dans un centre dédié à l’hébergement de femmes sortant de maternité. Comme elle, « 50 mères avec leur nouveau-né, sans logement ni ressources, sont accueillies depuis fin juin dans l’ancien hôpital "La Rochefoucauld" à Paris », recense Sihem Habchi, directrice d’activités à l’Association Aurore.

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Véronique et ses colocataires ne sont pas les seules à connaître cette situation. 2 400 femmes avec leur bébé sous le bras n’avaient nulle part où loger à leur sortie de maternité en 2017 en Île-de-France selon l’ARS. Et le phénomène explose, au point de saturer l’unique centre dédié qui a accueilli en 18 mois 181 mères et 188 bébés, d’après l’association Aurore. Un second lieu a donc ouvert ses portes « afin de désengorger les hôpitaux qui prolongent l’hospitalisation de ces femmes pour leur éviter la rue, précise Sihem Habchi. Elles bénéficient ici d’une puéricultrice et d’une surveillance médicale accrue, car leur parcours et l’accouchement fragilisent leur santé ». Dans ce bâtiment qui a conservé ses panneaux Chirurgie – Radiologie, elles prennent le temps de se poser parfois après avoir connu l’exode, la précarité et les violences.

« Dès que tu quittes le centre d’hébergement, tu perds ta place. À mon accouchement, mes affaires ont même été mises dans le hall où j’ai eu le droit de les récupérer »

Certaines ont quitté leur pays enceinte, ne concevant même pas l’idée de finir à la rue en France. Comme Véronique qui a fui le Cameroun et un mari violent, ou Melinda* à la recherche d’un travail pour subvenir aux besoins de son fils de 4 ans laissé en Côte d’Ivoire. Quant à Blanche* qui a dormi dehors pendant sa grossesse, il en allait de la vie de son enfant à naître : « Dans mon village ivoirien, on tue les enfants des femmes qui n’ont pas subi un rite religieux comme moi. On m’avait déjà provoqué une fausse couche en 2017, alors pour protéger le bébé dans mon ventre, je suis partie ». Souvent le couperet tombe à l’annonce de leur grossesse. « Une amie m’hébergeait dans son deux pièces. Mais une fois mon bébé né, son mari ne voulait plus que je reste à cause du manque de place » regrette Melinda. C’est aussi à ce moment-là que Priscillia venue du Congo, a dû se débrouiller seule, son compagnon ayant omis de l’informer qu’il était marié. Avoir une place au 115 durant leur grossesse ne les met pas à l’abri de la rue après la naissance de leur enfant. Thérèse, originaire du Bénin, en a fait l’amère expérience : « Dès que tu quittes le centre d’hébergement, tu perds ta place. À mon accouchement, mes affaires ont même été mises dans le hall où j’ai eu le droit de les récupérer ».

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Malgré la joie d’accueillir leur bébé, ces jeunes mamans ont souvent compté les jours passés à l’hôpital, à attendre le message du 115 qui leur donnera accès à un logement. 7 jours pour Véronique, 10 jours pour Théresse, 3 semaines pour Priscillia. Pour leur éviter la rue, les maternités n’ont d’autre choix que de prolonger leur séjour, quand les assistants sociaux ne se chargent pas d’appeler eux-mêmes le 115. C’est comme ça que Véronique et Thérèse ont rejoint le centre d’Aurore, il y a deux mois. Melinda, elle remercie encore « la dame de l’hôpital qui a convaincu mon amie de m’accueillir quelques jours supplémentaires après mon accouchement, le temps de me trouver une place ».

« Tu dors sur un fauteuil, tu ne peux pas laver ton bébé et tes habits alors on t’indique une adresse où tu peux le faire… On ne peut pas prendre soin d’un enfant dans ces conditions »

Toutes n’ont pas cette chance. Trois jours après son accouchement, Blanche est contrainte de passer ses nuits avec son fils dans le hall de la Pitié Salpêtrière et de quitter les lieux dès le matin. Comme Priscillia et Alice, originaire de Roumanie, qui se souviennent de la galère que c’était : « Tu dors sur un fauteuil, tu ne peux pas laver ton bébé et tes habits alors on t’indique une adresse où tu peux le faire… On ne peut pas prendre soin d’un enfant dans ces conditions ». « Laisser sortir un nouveau-né sans solution d’hébergement relève de la maltraitance » s’emporte Sihem Habchi d’Aurore.

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Une mère de famille, au centre d'hébergement d'urgence de l'Hotel Dieu

Estelle EMONET / AFP

À La Rochefoucauld, ce n’est pas le grand luxe. Mais « avoir un endroit au chaud où se laver et dormir, du lait et des couches pour notre bébé…, c’est tout ce que l’on demande » d’après Melinda et Blanche qui se promènent leur fils dans les bras. Autant de besoins essentiels dont la satisfaction leur permet de se vider la tête et de se reposer, la plupart étant très fatigués à leur arrivée. « Au début, je dormais beaucoup ou je restais dans ma chambre avec ma fille, car ma césarienne m’avait enlevé toute énergie » précise Véronique. Les journées s’écoulent au rythme des balades dans le jardin, des cours de français, des siestes… Le plus clair de leur temps, elles préfèrent s’occuper de leur enfant, « leur seul confident et leur seule famille » comme dit Véronique. Il leur arrive parfois de discuter entre elles assises dans le hall, et de s’entraider avec leur colocataire. Priscillia, elle s’est même liée d’amitié avec une maman originaire comme elle du Congo.


Mais des tensions naissent à force de partager une pièce où s’entassent deux lits, deux berceaux et leurs affaires. « Quand un bébé pleure, il réveille celui qui dort, déplore Thérèse. Et on n’a pas les mêmes habitudes que l’autre mère ». Certains comme Blanche et son fils de 2 mois, se sont tellement habitués qu’ils s’endorment peu importe le bruit. L’association est obligée de les mettre à deux par chambre, si elle veut répondre à l’afflux de femmes sortant de maternité sans hébergement. Alice, elle, se montre plus vindicative : « Le centre ne m’aide pas pour obtenir le RSA, ne me donne pas d’habits pour la petite, alors je dois m’arranger avec son papa. Et je ne parle pas aux autres filles vu que je m’énerve vite ». « Les rapports tendus avec le père – qui l’a frappée- et sa situation la perturbent énormément » tempère son assistante sociale Baya Mostefaoui.

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Au-delà d’une fragilité psychologique, la précarité, les violences, l’exode altèrent aussi leur santé et celle de leur bambin. « D’où des risques médicaux accrus surtout des infections après l’accouchement ou une césarienne, très fréquente dans leur cas » précise Linda Mokri, la puéricultrice. Vaccinations, suivis post-natal et pédiatrique, alimentation sont assurés en partenariat avec leur maternité. « Je soigne les petits bobos de leur bébé, ce qui leur évite le stress d’aller aux Urgences pour rien, poursuit Linda Mokri. Et mes conseils sur l’allaitement et les soins remplacent ceux de leurs proches ». Des recommandations qui peuvent sembler dérisoires, mais qui rassurent nombre de ces jeunes mamans.

« La suite pour elles se fera dans un hôtel du 115 ou un Centre d’Hébergement d’Urgence plus pérenne »

De jeunes mamans suffisamment accaparées par leur nouveau-né et les problèmes administratifs. À charge alors aux assistantes sociales « de leur ouvrir en priorité des droits sociaux comme l’AME, la solidarité transport… et de les accompagner dans leur demande de papiers, liste Baya Mostefaoui. Je les informe aussi des aides financières dont elles peuvent bénéficier une fois régularisée (N.D.L.R., tant qu’elles ne sont pas régularisées, ces mères ne touchent aucune autre aide financière) ». Leur séjour à La Rochefoucauld n’excédant – normalement - pas trois mois, ces assistantes sociales se limitent donc à poser les jalons de leurs futures démarches. Ce matin de septembre après avoir procédé à la domiciliation de Thérèse, Baya Mostefaoui prépare son dossier de renouvellement d’AME qu’elle n’aura plus qu’à envoyer en novembre. Quand elle aura quitté le centre.

Ces trois mois, Véronique s’en ait servi pour réfléchir à la manière de s’en sortir. Avec son titre de séjour de 3 mois en poche, elle a décroché un travail dans une société de nettoyage et voit la suite plus sereinement. « Pourquoi pas en trouvant un studio pour laisser ma place ici à une fille qui en a besoin » se prend-t-elle à rêver. Alice, Melinda ou Priscillia ont aussi la volonté de construire un bel avenir pour elle et leur bébé. La première via une formation en gardiennage « pour que la petite aille à l’école et devienne avocate », tandis que les secondes s’orienteraient vers l’aide aux personnes âgées une fois leurs papiers obtenus. Si leur progéniture les aide à tenir bon, beaucoup redoutent le départ du centre.

La suite pour elles se fera dans un hôtel du 115 ou un Centre d’Hébergement d’Urgence plus pérenne, d’après Sihem Habchi qui assure « qu’aucune ne quittera la structure sans solution d’hébergement ». Mais à Paris et en Île-de-France, ces dispositifs sont au bord de l’implosion faute de places suffisantes. Melinda, Priscillia, Thérèse et toutes les autres risquent fort de devoir prolonger leur séjour dans l’ancien hôpital La Rochefoucauld, censé fermer ses portes en avril 2020. Où iront-elles alors ? C’est toute la question.

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